Il faut améliorer les dispositifs internationaux de sauvetage des pays surendettés
Le gonflement de la dette dans les pays en développement est un motif d’inquiétude croissant. Certains pays comme Sri Lanka et la Zambie ont déjà fait savoir qu’ils ne pouvaient pas assurer le service de leur dette et demandé une aide internationale. De nombreux autres font face à de lourdes obligations au titre du service de la dette, qui représentent plusieurs points de pourcentage du PIB.
La dette est une bénédiction et une malédiction. Elle permet aux pays en développement dont les perspectives sont prometteuses d’investir dans des routes, des écoles, des hôpitaux et d’autres domaines nécessaires pour concrétiser leurs perspectives. Si le taux de rendement de leurs investissements est conforme aux attentes, les pays concernés peuvent s’acquitter du service de la dette, comme l’a fait la Corée dans les années 60.
À l’époque, la Corée était un pays pauvre où le taux d’épargne était inférieur à 10 %. Elle a emprunté environ 10 % de son PIB par an, mais la croissance rapide de son économie a produit des rendements tellement élevés que le ratio du service de sa dette a en réalité chuté. Son taux d’épargne a progressivement augmenté, lui permettant de conserver une croissance soutenue tirée par l’investissement, sans avoir à emprunter à l’étranger. Aujourd’hui, la Corée fait partie des pays les plus riches de la planète.
Mais la dette peut aussi devenir un problème quand elle finance la consommation courante ou des investissements malavisés. Lorsque les investissements ne sont pas rentables, le pays emprunteur s’appauvrit, car il doit continuer d’assurer le service des prêts contractés pour investir. En général, la probabilité que de nouveaux emprunts produisent un meilleur rendement diminue, parce que les inquiétudes croissantes concernant la solvabilité du débiteur font grimper les taux d’intérêt. Si les perspectives économiques de l’emprunteur s’assombrissent, les créanciers peuvent refuser de refinancer la dette et s’y refusent effectivement.
Éventail des risques
Avant de décider d’accorder ou non un nouveau prêt à un pays en développement, il faut évaluer une série de risques, des politiques et perspectives macroéconomiques du pays concerné aux fluctuations possibles des prix des principaux produits de base qu’il exporte. Il arrive parfois que les promesses de réformes faites par un gouvernement sortant ou entrant, éventuellement en lien avec un programme du FMI, arrivent à convaincre les prêteurs que le pays redeviendra solvable. Le cas échéant, les prêteurs acceptent généralement de refinancer la dette arrivant à échéance.
Mais quand l’action des pouvoirs publics ne produit guère de résultats et que le personnel politique refuse de changer de cap, les prêteurs sont susceptibles d’exiger un remboursement à l’échéance, ce qui débouche sur une crise de la dette. Les difficultés de financement de la balance des paiements peuvent s’accentuer au point que l’emprunteur n’arrive même plus à financer ses importations de biens et services essentiels.
Sri Lanka a connu cette situation en 2021. Quand la crise a éclaté, le pays ne pouvait plus se permettre d’importer que des produits essentiels (denrées alimentaires, carburants, etc.). Les bus ne roulant plus, la population ne pouvait pas aller travailler. De nombreuses usines ne parvenaient pas à se fournir en matières premières, biens intermédiaires ou pièces détachées. Les pannes d’électricité prolongées étaient fréquentes. L’activité économique s’est fortement contractée, de 7,8 % en 2022 et d’encore 3,8 % en 2023. Les épiceries ont été dévalisées des produits de première nécessité et l’inflation a atteint un pic.
Trois choses étaient nécessaires pour que la signature sri-lankaise redevienne crédible et que le pays puisse créer les conditions préalables à un redressement de l’économie et une croissance durable. Premièrement, il fallait que Sri Lanka ait accès à une source de devises afin de payer les importations requises pour relancer ses centrales électriques, ses usines, ses transports et autres services essentiels. Deuxièmement, il fallait restructurer la dette pour rassurer les créanciers sur le paiement ultérieur du service de la dette. Et troisièmement, il fallait réformer les politiques intérieures.
Résistances politiques
En l’absence de réformes, des devises auraient pu apporter un répit à court terme. Mais Sri Lanka ne pouvait pas recevoir de capitaux privés pour financer ses importations avant d’avoir réglé le problème de son niveau d’endettement intenable. La situation est devenue tellement dramatique que le gouvernement a été renversé par la rue. Les réformes ne sont devenues possibles qu’après l’entrée en fonction d’un nouveau président, en 2024.
Les responsables politiques sont presque toujours réticents à l’égard des réformes susceptibles de susciter une vive résistance. Mais l’alternative est la suivante : prendre des décisions pénibles à court terme ou laisser la situation empirer et devoir prendre des décisions encore plus pénibles à long terme. Le risque principal est que les réformes n’aillent pas assez loin et échouent. Les réformateurs eux-mêmes s’en voient alors injustement blâmés.
Le FMI joue un rôle d’appui dans le dénouement de situations difficiles comme celle de Sri Lanka. En tant qu’institution chargée de préserver le système monétaire international, son principal atout est sa capacité à évaluer les résultats macroéconomiques d’un pays. Le Fonds dispose de ressources prêtables (pour une durée de trois à cinq ans, habituellement) aux pays en difficulté. Toutefois, les Statuts du FMI sont clairs : il ne peut le faire que s’il est raisonnablement fondé à penser que l’emprunteur pourra assurer le service de son prêt. Les autorités sri-lankaises et le FMI se sont accordés sur un programme de réformes. Mais Sri Lanka devait aussi restructurer sa dette pour faire face aux arriérés et avoir de nouveau accès aux marchés de crédit internationaux.
Créanciers récalcitrants
Auparavant, quand un pays était en grande difficulté, les créanciers souverains se réunissaient dans le cadre du Club de Paris. Ils étudiaient un programme visant à restaurer la croissance et la solvabilité, et sur lequel les autorités et le FMI s’étaient déjà entendus. Les créanciers privés se réunissaient aussi. Le FMI était consulté tandis que les créanciers négociaient des ajustements du service de la dette (avec souvent une décote, c’est-à-dire une réduction de la valeur faciale de l’encours), voire une pause dans les paiements. Quand toutes les parties étaient convenues d’un plan de restructuration, le FMI prêtait des fonds (souvent en lien avec de nouveaux prêts contractés auprès de créanciers souverains bilatéraux).
Durant la dernière décennie, la Chine est devenue un emprunteur souverain important, mais a choisi de rester en dehors du Club de Paris. Bien qu’ayant souvent accordé des allégements de dette, le Club n’a pas encore de processus internes vraiment opérationnels pour envisager des « décotes » (réductions du principal d’une dette) et les créanciers qui en sont membres n’ont qu’un pouvoir discrétionnaire limité pour rééchelonner les paiements au titre du service de la dette.
Sri Lanka a été l’un des premiers pays ayant la Chine comme créancier important à arriver au point où sa dette s’est révélée intenable. Il a fallu presque deux ans au reste de la communauté internationale pour élaborer un accord agréant la Chine ; de ce fait, le programme du FMI a été différé de presque un an, prolongeant d’autant l’épreuve pour les Sri-Lankais.
On ne peut évidemment pas demander au FMI de prêter si les créanciers et les bailleurs de fonds privés pensent que leurs prêts pourraient servir à régler le service de la dette à un pays récalcitrant. Dans le cas de Sri Lanka, aucun créancier ne voulant restructurer, le FMI ne pouvait pas résoudre les problèmes du pays. Et la restructuration tardait en attendant la décision du créancier intraitable, accentuant la pression sur l’emprunteur pris à la gorge et différant le redressement de son économie.
Améliorer le dispositif
Nous devons trouver comment mieux résoudre le problème de l’endettement des pays en développement. Les pays en crise doivent au moins être capables d’élaborer un plan de restructuration avec le FMI, le Club de Paris et les autres créanciers. Il faut un accord plus contraignant (que les incitations des politiques du FMI pour le prêt aux pays en situation d’arriérés), aux termes duquel un créancier souverain récalcitrant ne pourra recevoir le service de sa dette qu’après avoir accepté les mêmes modalités que les autres créanciers. Ce serait encore mieux si la Chine devenait membre du Club de Paris.
Une procédure adoptée au niveau international et un tribunal où créanciers et débiteurs pourraient présenter leurs doléances seraient mieux encore. Une telle juridiction pourrait définir un accord permettant une activité économique normale et la reprise d’une croissance durable tout en prévoyant pour les créanciers un règlement aussi juste que possible au vu des circonstances. Les problèmes de dette se multipliant, il est temps de réformer les dispositions existantes.
Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.