(Photo : Dennis Gleiss/iStock par Getty Images) (Photo : Dennis Gleiss/iStock par Getty Images)

La crise de la COVID-19 en Europe et la riposte du FMI

 Poul M. Thomsen

Ce blog fait partie d’une série consacrée à l’analyse au niveau régional des effets du coronavirus.

La COVID-19 a frappé l’Europe avec une férocité inouïe. Nous ignorons combien de temps la crise durera, mais nous savons que ses répercussions économiques seront graves. Dans les plus grands pays européens, les services non essentiels fermés par décret représentent environ un tiers de la production. Ceci signifie que chaque mois de fermeture de ces secteurs se traduit par une chute de 3 % du PIB annuel, sans compter les autres perturbations et retombées sur le reste de l’économie. L’Europe connaîtra inéluctablement une profonde récession cette année.

Les dispositifs solides de protection sociale dont dispose généralement l’Europe, et son modèle social de marché, aideront à apporter une aide ciblée aux entreprises et aux ménages, mais il ne fait guère de doute que cette tâche sera complexe : ces dispositifs n’ont pas été bâtis pour répondre à des besoins d’une telle ampleur, auxquels les décideurs européens doivent aujourd’hui faire face. Les pays réagissent de façon novatrice et atypique et peuvent tirer les enseignements de l’expérience des autres pour trouver les méthodes les plus efficaces. À cet effet, le FMI a créé un site web qui donne des informations sur les moyens qu’ils emploient pour résoudre les problèmes pratiques auxquels ils sont confrontés, afin d’en dégager les meilleures pratiques internationales. Ce n’est qu’un exemple des mesures que nous avons prises rapidement pour adapter la surveillance exercée par le FMI aux changements radicaux de la situation.

Tous les pays européens devront riposter à cette crise de façon énergique et audacieuse, et proportionnellement à son ampleur. C’est le moment ou jamais d’utiliser les amortisseurs et la marge de manœuvre disponibles. Les possibilités d’agir varient toutefois considérablement selon les pays. Pour mieux comprendre les contraintes auxquelles se heurtent les pays qui cherchent à accélérer leur riposte à la crise, il est utile de distinguer trois catégories de pays : les pays européens avancés, les pays européens émergents membres de l’UE, mais pas de la zone euro, et les pays émergents non membres de l’UE, en particulier les plus petits d’entre eux.

Les décideurs des pays avancés ont fait bon usage de leur marge de manœuvre et de leurs institutions. Ils ont pris des mesures d’expansion monétaire et budgétaire de grande envergure pour atténuer l’effet de la crise. Ils ont suspendu, à juste titre, les règles et les limites budgétaires pour apporter une aide d’urgence massive, et laissent filer les déficits budgétaires. De même, les banques centrales ont lancé de vastes programmes d’achats d’actifs, et les autorités de réglementation financière ont assoupli leurs règles pour permettre aux banques de continuer d’aider les clients en difficulté, et l’économie de façon générale. Dans la zone euro, les interventions massives de la BCE, et l’appel par les dirigeants européens à employer le mécanisme européen de stabilité pour compléter, au niveau européen, les efforts budgétaires nationaux, sont particulièrement cruciaux pour donner aux pays dont la dette publique est élevée la marge de manœuvre budgétaire dont ils ont besoin pour réagir fermement à la crise. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la détermination des responsables de la zone euro à faire le nécessaire pour stabiliser l’euro.

Les pays émergents qui sont membres de l’UE mais qui n’appartiennent pas à la zone euro n’ont pas autant de marge de manœuvre que les pays avancés, mais la diminution de leurs déficits budgétaires et extérieurs et de leur dette enregistrée ces dernières années, et le renforcement de leur système bancaire, seront un atout appréciable. Ces pays ont déployé des efforts considérables pour constituer des marges de manœuvre, et le moment est venu d’y faire appel.

Pour l’heure, la marge de manœuvre qui nous préoccupe est celle des petits pays non membres de l’UE. Leur espace budgétaire varie largement, mais aucun ne possède les marchés financiers profonds et les liens avec l’UE qui sont importants pour libérer une marge de manœuvre. Beaucoup d’entre eux, qui ont un accès limité aux capitaux extérieurs et dont les systèmes bancaires sont moins vastes et développés, auront des difficultés à financer de fortes augmentations de leur déficit budgétaire. De plus, ils n’ont pas les mêmes possibilités d’accès aux aides financières que les États membres de l’UE, et ne bénéficient pas de la crédibilité stratégique et institutionnelle dont jouissent plus généralement les membres de l’UE. Il n’est donc pas étonnant que ces pays se tournent aujourd’hui vers le FMI pour solliciter une aide d’urgence. Sur les 9 pays émergents d’Europe centrale et orientale, hors Russie et Turquie, la plupart ont déjà demandé une aide d’urgence au titre des mécanismes d’aide financière rapide du FMI. Ils ont rejoint plus de 70 pays membres du monde entier qui ont déjà demandé à accéder aux dispositifs d’urgence du FMI à décaissement rapide assortis d’une faible conditionnalité qui totalisent quelque 50 milliards de dollars, afin de faire face aux besoins immédiats résultant de la crise de la COVID-19. Beaucoup d’autres pays vont sans doute faire de même, alors que déjà, le FMI n’a jamais reçu autant de demandes d’assistance d’un seul coup.

Le FMI agit aussi rapidement que possible pour aider ses États membres à l’heure où ils sont confrontés à des défis systémiques extraordinaires. Nous simplifions considérablement nos règles et procédures internes afin de pouvoir riposter de façon rapide, dynamique et proportionnelle, comme l’exigent ces difficultés inédites en temps de paix. Nos actionnaires, 189 pays dans le monde entier, n’en attendent pas moins de nous, et nous sommes prêts à participer à l’effort en aidant l’Europe à combattre cette pandémie. 

*****

Poul M. Thomsen, de nationalité danoise, est directeur du département Europe depuis novembre 2014. À ce titre, il supervise les travaux du FMI de surveillance bilatérale de 44 pays, le dialogue avec les institutions de l’Union européenne, et notamment la BCE, et les entretiens sur les programmes soutenus par le FMI. M. Thomsen est également chargé des activités de sensibilisation du FMI en Europe et des relations de l’institution avec les hauts fonctionnaires européens. Avant d’occuper ses fonctions actuelles, il était le principal responsable des programmes du FMI avec les pays européens touchés par la crise financière mondiale et la crise de la zone euro qui a suivi. Auparavant, M. Thomsen a acquis une vaste connaissance des pays d’Europe centrale et orientale en travaillant dans la région de 1987 à 2008, notamment en qualité de chef de mission dans de nombreux pays, chef de la division du FMI chargée de la Russie pendant la crise financière qu’a connue ce pays en 1998 et directeur du bureau de Moscou du FMI de 2001 à 2004.