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Comment l’argent sale provoque des distorsions sur les marchés immobiliers

Pourquoi les prix de l’immobilier s’envolent-ils au point de devenir inaccessibles ? Les causes ne résident pas seulement dans l’inflation, l’insuffisance de l’offre ou les règles de zonage : l’argent sale contribue aussi au problème. Réseaux criminels, politiciens corrompus et fraudeurs fiscaux trouvent dans l’immobilier mondial un moyen sûr de placer leur fortune illicite, ce qui fait grimper les prix de l’immobilier dans des villes comme New York, Miami, Londres ou Dubaï. En écoulant des milliards dans des propriétés de prestige, ces acquéreurs occultes alimentent des bulles immobilières qui évincent les acheteurs locaux du marché.

La stratégie est simple : au lieu d’acheter directement un appartement de luxe à 10 millions de dollars, ils ont recours à des sociétés écrans, à des fiducies et à des comptes offshore établis par des intermédiaires professionnels pour dissimuler leur identité. Les promoteurs immobiliers posent rarement la question de l’origine des fonds. Ainsi, des quartiers entiers, en particulier dans les grandes métropoles, regorgent de propriétés haut de gamme inoccupées, détenues par des entités anonymes. Rien qu’à Londres, des sociétés étrangères détenaient en 2018 des propriétés immobilières d’une valeur de 73 milliards de livres sterling, dont environ 90 % acquises par des entités enregistrées dans des paradis fiscaux, selon une publication des économistes Jeanne Bomare et Ségal Le Guern Herry.

Ce problème ne concerne pas uniquement les villes occidentales riches. Les investissements spéculatifs créent des bulles immobilières similaires dans certaines villes africaines comme Lagos, Nairobi et Johannesburg. Le manque de rigueur réglementaire et le caractère informel des marchés du logement rendent ces régions attrayantes pour les fonds d’origine douteuse. Par conséquent, les prix augmentent et les acheteurs locaux sont exclus du marché.

Il y a vingt ans, la communauté internationale demandait que les agents immobiliers, à l’instar des banques, soient soumis à une obligation de diligence et signalent les transactions suspectes. Or, contrairement aux banques, les acteurs du secteur immobilier ne sont pas systématiquement tenus de respecter des normes strictes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. La détection et la répression restent insuffisantes à l’échelle mondiale. Des actions sont engagées pour combler ces failles. Certains pays, comme le Canada et les États-Unis, envisagent d’obliger les acheteurs de propriétés à divulguer leur véritable identité, c’est-à-dire à indiquer le « bénéficiaire effectif ». Des organismes publics devraient vérifier ces informations sur la propriété et les mettre à la disposition des autorités chargées d’enquêter sur les transactions suspectes en cas de signaux d’alarme. Si les lois sur la protection de la vie privée le permettent, rendre ces informations publiques améliorerait également la transparence.

À moins d’une amélioration de la transparence et du respect des règles, l’immobilier restera un havre pour dissimuler des fortunes illicites. Les distorsions sur les marchés du logement s’accentueront et l’accession à la propriété ne sera qu’un rêve encore plus lointain pour les citoyens ordinaires.

CHADY EL KHOURY est chef de division adjoint au département juridique du FMI.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.