Faible au départ, la croissance s’améliore
La période qui a suivi la crise financière mondiale et le Printemps arabe a été difficile pour les pays importateurs de pétrole de la région MOANAP. Si la baisse des cours du pétrole leur a offert un certain répit ces dernières années, les problèmes de sécurité et les conflits régionaux continuent de peser sur la confiance et l’activité. Dans ces conditions, les taux de croissance n’ont pas été suffisants pour lutter contre le chômage élevé et améliorer le niveau de vie (graphique 2.1). Cela dit, des indicateurs récents permettent de penser qu’une reprise progressive est en cours.
La croissance régionale devrait être portée de 3,7 % en 2016 à 4 % en 2017 et à 4,4 % en 2018. Cette reprise s’explique en partie par une dissipation de chocs idiosyncratiques survenus en 2016 (sécheresse au Maroc, récolte médiocre de coton au Pakistan). Plus généralement, cette amélioration est le fruit des réformes passées, qui ont réduit les déficits budgétaires et amélioré le climat des affaires (au Maroc et au Pakistan), et elle a été favorisée par une intensification des investissements publics (Pakistan). De plus, la croissance sera soutenue par la reprise à l’échelle mondiale, qui devrait stimuler la demande des principaux marchés d’exportation de la région (graphique 2.2).
Cependant, l’activité des différents pays importateurs de la région varie considérablement. La croissance sera particulièrement vigoureuse à Djibouti, où elle sera principalement tirée par les dépenses d’infrastructures financées par les ressources extérieures, et au Pakistan, où la mise en place du couloir économique Chine–Pakistan va stimuler l’investissement. En revanche, en Jordanie et au Liban, la croissance restera relativement modérée, car les conflits régionaux continuent
d’avoir des répercussions sur le tourisme, la confiance et l’investissement. Enfin en Tunisie, les prévisions de reprise à court terme ont été légèrement revues à la baisse, car les incertitudes persistent et les activités du tourisme restent faibles.
Les tensions inflationnistes s’atténuent à moyen terme
Bien que l’inflation devrait s’accroître dans de nombreux pays en 2017, elle devrait ralentir à moyen terme. Poursuivant la tendance amorcée en 2016, l’inflation moyenne de la région devrait de nouveau progresser en 2017, pour atteindre près de 13 %. Une partie de cette hausse s’explique par l’augmentation des cours internationaux du pétrole. Dans de nombreux cas cependant, l’accélération de l’inflation est également due aux réductions des subventions énergétiques (Égypte et Soudan), à la mise en place d’une taxe sur la valeur ajoutée (Égypte), à la suppression d’exonérations fiscales (Jordanie), à la hausse des prix alimentaires (Djibouti, Égypte, Somalie) et aux répercussions des dépréciations récentes des taux de change (Égypte, Soudan). Dans le cas de l’Égypte, l’assouplissement du régime de change s’est accompagné d’une forte dépréciation de la livre, qui a poussé l’inflation au dessus de 25 %. Alors que l’effet de ces facteurs exceptionnels va s’atténuer avec le temps, et grâce à des politiques budgétaires et monétaires prudentes, l’inflation devrait ralentir à moyen terme.
Des politiques budgétaires judicieuses sont necessaires pour renforcer la résilience
Malgré des améliorations observées ces dernières années, des facteurs importants de vulnérabilité budgétaire persistent. La dette publique reste élevée, et représente plus de 90 % du PIB dans plusieurs pays importateurs de pétrole de la région MOANAP (Égypte, Jordanie, Liban). Ce lourd endettement non seulement entame la confiance des investisseurs, mais peut aussi accroître les risques d’instabilité financière, car le secteur bancaire détient un volume élevé de dette et les marchés financiers sont généralement peu développés. De plus, la charge du service de la dette qui l’accompagne est importante pour un grand nombre de pays importateurs de pétrole de la région MOANAP (Égypte, Liban et Pakistan, où elle absorbait entre 28 % et 48 % des recettes en 2016), ce qui réduit la marge de manœuvre pour financer des dépenses sociales ou des investissements publics.
Les tendances budgétaires récentes sont cependant encourageantes. Dans l’ensemble de la région, le déficit budgétaire moyen a été ramené à 7 % environ du PIB en 2016, après avoir culminé à 9¼ % du PIB en 2013. Cette amélioration s’explique essentiellement par la réduction des subventions des combustibles (Égypte, Maroc, Soudan), une baisse des transferts vers les entreprises énergétiques publiques (Jordanie, Liban) et les efforts d’augmentation des recettes (Pakistan) (graphique 2.3).
Néanmoins, il sera difficil de maintenir le rythme du rééquilibrage budg’etaire. En 2016, les recettes ont été inférieures aux prévisions des PER d’octobre 2016, en raison d’un recouvrement plus faible des impôts (Maroc, Tunisie), de retard dans lesréformes (Tunisie) et d’une faible croissance (Jordanie, Maroc, Tunisie). De plus, même si les économies réalisées grâce à la baisse des subventions et des prix du pétrole ont permis d’accroître les dépenses consacrées aux infrastructures, à la santé, à l’éducation et aux services sociaux (Égypte, Maroc, Pakistan, Tunisie), il sera de plus en plus difficile de maintenir ces dépenses alors que l’on s’attend à une hausse des cours du pétrole. Il faut donc mener à bien les réformes des subventions (Égypte, Soudan, Tunisie) et endiguer les pertes des entreprises publiques — notamment par des mécanismes d’ajustement automatique des tarifs pour les compagnies énergétiques (Jordanie, Liban, Tunisie).
Plus généralement, les pays importateurs de pétrole doivent avoir comme objectif prioritaire de dégager des recettes en élargissant l’assiette de l’impôt. À cet effet, ils devront prendre des mesures pour rationnaliser les multiples taux de la taxe sur la valeur ajoutée (Maroc, Tunisie), tout en simplifiant le barème des impôts et en supprimant les exonérations (Djibouti, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Pakistan, Soudan, Tunisie). Il faudra égalementrenouveler les efforts afin de renforcer l’administration fiscale (Afghanistan, Maroc, Mauritanie, Pakistan, Somalie, Soudan, Tunisie). Dans ce contexte, l’assistance technique du FMI et son action dans certains pays touchés par des conflits (encadré 2.1) contribuent à renforcer l’administration des recettes (Afghanistan, Iraq).
L’espace budgétaire étant limité, une croissance durable et inclusive passe par une poursuite des réformes structurelles
Dans tous les pays importateurs de pétrole de la région MOANAP, les taux de croissance sont trop faibles pour faire reculer le chômage ou apporter une amélioration généralisée et durable des revenus. De plus, les contraintes budgétaires vont empêcher les autorités nationales de stimuler la croissance en recourant uniquement aux dépenses publiques. Il est donc absolument nécessaire d’appliquer des réformes structurelles qui encouragent l’activité du secteur privé et stimulent la productivité (graphique 2.4).
Des progrès ont déjà été enregistrés dans ce sens, notamment un renforcement de la protection des investisseurs et de la réglementation (Jordanie, Maroc, Mauritanie, Tunisie) et une réduction des principaux goulets d’étranglement dans les infrastructures comme l’insuffisance de l’offre énergétique (Égypte, Jordanie, Pakistan). Des mesures complémentaires restent cependant nécessaires pour encourager la concurrence (Égypte, Jordanie, Maroc), réduire le déficit d’infrastructures (Liban) et remédier à l’inadéquation chronique entre les compétences des demandeurs d’emploi et celles recherchées par les employeurs (Djibouti, Égypte, Jordanie, Maroc, Tunisie). Plus généralement, un chômage persistant élevé exige que les réformes du marché du travail progressent davantage, et notamment les efforts en vue d’accroître le taux d’activité des femmes (Égypte, Jordanie, Maroc).
Des réformes destinées à augmenter la productivité s’imposent également pour améliorer la compétitivité. Malgré une demande extérieure soutenue, de nombreux pays importateurs de pétrole de la région MOANAP ont vu la part de leurs exportations diminuer (voir l’édition d’octobre 2016 des PER), ce qui semble indiquer un affaiblissement de la compétitivité et une aggravation des vulnérabilités aux chocs extérieurs. Une partie de ce déclin peut s’expliquer par des problèmes régionaux de sécurité et par la baisse du tourisme (Égypte, Jordanie, Liban, Tunisie), ainsi que par une rupture des axes commerciaux traditionnels (Jordanie, Liban). Un autre facteur pourrait être le renforcement récent du dollar qui a contribué à augmenter les taux de change réels, en particulier dans les pays dotés de régimes de change rigides (graphique 2.5). Ce déclin pourrait cependant être dû en grande partie à un problème sous-jacent de productivité des entreprises exportatrices. Des réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité, conjuguées à un assouplissement des taux de change dans les pays ayant un ancrage monétaire approprié, aideront ces entreprises à affronter la concurrence sur des bases plus solides, et leur permettront de bénéficier plus pleinement de la reprise mondiale attendue.
Un secteur financier solide favorisera aussi la croissance
Une croissance durable et généralisée passe par un système financier sain. Dans leur majorité, les banques de la région sont stables, liquides et bien capitalisées. Cependant, après cinq années consécutives de croissance atone, et des perspectives incertaines, ces banques se trouvent dans une conjoncture délicate, en particulier lorsque les ratios de créances improductives sont élevés. La croissance du crédit reste néanmoins modérée, la situation demeurant quasiment inchangée depuis l’édition d’octobre 2016 des PER (l’Égypte fait ici exception, car un durcissement de la politique monétaire pourrait compromettre l’expansion du crédit en 2017). Les autorités doivent renforcer leurs cadres réglementaires et prudentiels (Djibouti, Mauritanie, Tunisie), leurs régimes d’insolvabilité et de faillite, et dans certains cas, leurs dispositifs de garantie des dépôts (Égypte, Jordanie, Pakistan, Tunisie).
Les risques demeurent baissiers en raison des incertitudes de la conjoncture internationale
Les perspectives restent vulnérables à l’évolution des cours du pétrole et de la conjoncture internationale, ainsi qu’aux événements géopolitiques.
- Bien que les perspectives des cours du pétrole à moyen terme demeurent globalement inchangées depuis l’édition d’octobre 2016 des PER, le prix à court terme devrait augmenter d’environ 5 dollars (voir la section sur l’évolution de l’économie mondiale). En 2017, le prix des importations de pétrole sera donc près de 30 % plus élevé que l’année dernière, et toute hausse supplémentaire risque de compromettre la consommation, d’accroître les risques budgétaires et d’aggraver les déséquilibres extérieurs. Ce risque baissier devrait cependant être compensé par une hausse des envois de fonds et d’autres aides extérieures de la part de pays exportateurs de pétrole de la région, qui bénéficieront essentiellement à l’Égypte, à la Jordanie, au Liban et au Pakistan.
- L’incertitude des politiques économiques mondiales s’est également accrue (voir la section sur l’évolution de l’économie mondiale). Une montée du protectionnisme pourrait mettre en péril la reprise mondiale et affaiblir la demande d’exportations provenant des pays de la région MOANAP importateurs de pétrole, ce qui toucherait particulièrement les pays ayant des liens très étroits avec le commerce et les transports maritimes internationaux (Djibouti).
- Les pays sont également exposés à l’évolution de la situation financière mondiale. Alors que les écarts de taux sur les obligations souveraines de nombreux pays importateurs de pétrole se sont réduits récemment (graphique 2.6), les taux d’intérêt américains ont augmenté et le durcissement et la plus grande instabilité des conditions financières mondiales pourraient faire augmenter le coût du crédit pour les pays importateurs de pétrole de la région MOANAP et leurs banques, ce qui aggraverait les préoccupations quant à la viabilité des finances publiques, pèserait sur les bilans des banques et fragiliserait l’activité du secteur privé. Ce durcissement pourrait être particulièrement difficile pour des pays comme l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Pakistan et la Tunisie, qui vont rivaliser pour obtenir des financements sur les marchés internationaux[1].
- Dans ces conditions, alors que l’on s’attend à une légère réduction du déficit des transactions courantes à court terme (qui devrait être ramené de plus de 4,8 % du PIB en 2016 à 4,3 % d’ici à 2018), les déséquilibres extérieurs vont rester considérables dans de nombreux pays (Djibouti, Égypte, Jordanie, Liban, Mauritanie, Tunisie), ce qui semble indiquer un besoin permanent de nouvelles entrées de capitaux.
La dégradation de la situation sécuritaire ou des tensions sociales (Afghanistan, Égypte, Liban, Pakistan, Somalie, Soudan, Tunisie), le ralentissement des réformes (Afghanistan, Égypte, Jordanie, Maroc, Mauritanie, Pakistan, Tunisie) et l’aggravation des retombées des conflits régionaux (Jordanie, Liban, Soudan, Tunisie) pourraient compromettre la mise en œuvre des politiques et affaiblir l’activité économique.
Cependant, certains pays commencent également à présenter des perspectives favorables. Au Soudan, l’allégement récent des sanctions américaines pourrait stimuler les investissements tandis qu’au Liban, une série de réformes lancée à la fin d’une longue période d’impasse politique pourrait améliorer la confiance, renforcer les entrées de capitaux et accélérer la croissance.
[1] Il faut relever que l’Égypte et la Tunisie ont déjà fait appel avec succès aux marchés internationaux, respectivement en janvier et en février.
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Encadré 2. Comment travaille le FMI dans les pays de la région MOANAP touchés par un conflit
De concert avec ses partenaires internationaux, le FMI aide les pays touchés par un conflit à faire face aux conséquences économiques défavorables et éviter un effondrement de leur économie, et soutient les efforts de reconstruction lorsque les conflits s’apaisent. Le FMI apporte aussi son concours aux pays voisins pour atténuer les répercussions économiques des conflits.
Outre leurs graves coûts humanitaires, les conflits ont des coûts économiques massifs, non seulement pour les pays directement touchés, mais aussi pour leurs voisins.[1] Les pays exposés à un conflit peuvent être confrontés à des récessions profondes, une inflation élevée, une aggravation de leur situation budgétaire et financière et un affaiblissement de la qualité de leurs institutions. De plus, leur capacité à assurer des services de base s’effondre, ce qui a des conséquences dramatiques sur la santé et l’éducation, et limite leur capacité à réagir à d’autres catastrophes, famines et épidémies par exemple. Les pays voisins en subissent les répercussions avec des arrivées massives de réfugiés, des conséquences sur le commerce et les effets économiques de l’aggravation de la sécurité, notamment sur la confiance des investisseurs. Une fois que les conflits s’apaisent, la difficulté consiste à parvenir à une reprise durable, notamment en reconstruisant les institutions et les infrastructures et en renforçant la résilience économique et sociale[2].
Pour aider à atténuer les retombées économiques des conflits et leurs effets secondaires, le FMI fournit des conseils adaptés à la situation des pays dans les domaines suivants : 1) mise en place de cadres macroéconomiques fiables; 2) politiques monétaires et de change; 3) hiérarchisation des dépenses, notamment pour protéger les dépenses sociales essentielles, et assurer la viabilité de la dette et 4) favorisation d’une croissance inclusive. Lorsqu’il y a lieu, le FMI fournit également une assistance technique importante à ses membres (graphique 2.1.1)[3], notamment par l’intermédiaire du Centre d’assistance technique du Moyen-Orient au Liban. Cette assistance porte principalement sur la reconstruction et la consolidation des institutions économiques, en particulier les banques centrales, afin de renforcer la résilience des systèmes de paiement et des systèmes bancaires (Afghanistan, Cisjordanie et Gaza, Iraq); l’amélioration de l’élaboration de la politique économique, notamment la gestion des finances publiques (Afghanistan, Iraq) et la politique et l’administration fiscales (Tunisie, Somalie); le respect des règles en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Cisjordanie et Gaza, Libye) et la préparation des statistiques (Afghanistan, Cisjordanie et Gaza, Iraq). Ainsi, dans le cadre d’un fonds fiduciaire multidonateurs, le FMI apporte une assistance technique diversifiée sur mesure à la Somalie, qui a aidé les autorités à développer leur capacité à préparer un budget national, et la banque centrale à élaborer des outils de supervision bancaire modernes. Le FMI coordonne étroitement son assistance technique avec les partenaires extérieurs (Somalie).
Outre son propre concours financier (Afghanistan, Iraq), le FMI aide aussi à mobiliser des ressources auprès de bailleurs de fonds et d’autres institutions financières internationales (Iraq, Jordanie, Somalie) et joue un rôle essentiel en faveur du dialogue de la communauté internationale en analysant l’évolution de la situation économique et en participant à des réunions avec les bailleurs de fonds (Cisjordanie et Gaza, Libye).
Le caractère aigu de la crise des réfugiés dans la région MOANAP, avec plus de dix millions de réfugiés recensés[4] provenant de la région (essentiellement d’Afghanistan, de Somalie, du Soudan et de Syrie), dont plus de la moitié accueillis dans la région même (essentiellement en Iran, en Jordanie, au Liban et au Pakistan), exige un soutien international important et coordonné. Conscient de cette nécessité, le FMI a soutenu énergiquement les efforts de mobilisation de fonds pour faire face à la crise des réfugiés, notamment dans le cadre de la conférence de haut niveau sur l’aide à la Syrie et à la région (Supporting Syria and the Region) qui s’est tenue à Londres en 2016. Les accords conclus par le FMI avec les pays touchés directement ou indirectement par des conflits ont été spécialement adaptés pour tenir compte des conséquences de la situation des réfugiés et des personnes déplacées dans leur propre pays (Iraq, Jordanie).
Cet encadré a été préparé par Anta Ndoye et Gaelle Pierre.
[1]Les pays suivants subissent les conséquences directes ou indirectes de conflits dans la région MOANAP : Afghanistan, Cisjordanie et Gaza, Égypte, Iraq, Jordanie, Liban, Libye, Pakistan, Somalie, Soudan, Syrie, Tunisie et Yémen.
[2]Voir Rother, B, et al., 2016, The Economic Impact of Conflict and the Refugee Crisis in the Middle East and North Africa, FMI, Staff Discussion Note.
[3]Bien que la Cisjordanie et Gaza ne soient pas membres du FMI, ce dernier leur fournit des services techniques, notamment des conseils de politique macroéconomique, budgétaire et financière, ainsi qu’une assistance technique.
[4] Les données ne tiennent pas compte des réfugiés palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie qui sont enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.