Cultiver la transformation budgétaire dans le monde arabe

le 11 février 2024

Salam aleykoum. Je tiens à remercier Monsieur le Ministre Al Hussaini pour l’accueil chaleureux des Émirats arabes unis et à souhaiter la bienvenue au niveau directeur général avec qui nous organisons cet événement, Monsieur Alturki, auquel je souhaite la plus grande réussite à son poste. 

La région arabe joue un rôle de plus en plus important dans un monde en mutation rapide, comme en témoignent la profondeur et la qualité de nos échanges. Dans l’avenir immédiat, des ministres de la région vont tenir la barre à la Banque mondiale et au FMI, puisque les ministres Al Hussaini et Al-Jadaan président respectivement la commission de développement et le CMFI. Le fait que le monde arabe pilote ces deux organes constitue un nouveau jalon dans le rôle moteur de la région à l’échelle mondiale.

Ce huitième Forum arabe des finances publiques, de la même manière que notre assemblée annuelle à Marrakech à l’automne dernier, témoigne de la façon dont nous entretenons et renforçons le partenariat entre le monde arabe et le FMI depuis de nombreuses années.

Cela me rappelle un proverbe arabe bien connu, qui dit qu’« un arbre commence par une graine ».

En cette période de difficultés économiques, de tensions géopolitiques et de guerre, il est primordial de semer dès aujourd’hui les graines de la croissance et de la coopération, de la paix et de la prospérité. À quoi ressemble le sol à cultiver ?

Intéressons-nous à la situation actuelle ainsi qu’à ce qui se profile à l’horizon.

Bien que les incertitudes demeurent élevées, alimentées par l’évolution tragique du conflit à Gaza et en Israël, nous sommes un peu plus confiants quant aux perspectives économiques. L’économie mondiale fait preuve d’une résilience étonnante et dans la mesure où l’inflation ralentit de façon régulière, nous nous dirigeons vers un atterrissage en douceur en 2024. La croissance a dépassé les attentes l’an dernier et nous prévoyons qu’elle s’établira à 3,1 % cette année. Pourtant, il est trop tôt pour crier victoire.

Les perspectives de croissance à moyen terme restent en berne, à environ 3 %, pour une moyenne historique d’environ 3,8 % au cours des décennies d’avant-pandémie. Les possibilités de stimuler la croissance sont limitées par des taux d’intérêt toujours élevés et par la nécessité de rétablir la viabilité des finances publiques après des années d’accroissement des dépenses publiques. Elles peuvent être favorisées par les progrès technologiques, comme l’évolution de l’intelligence artificielle, à condition d’y être préparés. Sachant qu’environ 40 % des emplois sont exposés à l’IA, que ce soit à l’échelle mondiale ou dans le monde arabe, de nombreux pays sont insuffisamment préparés à l’échelle et l’envergure de la transformation que vont connaître nos économies, comme le montre notre analyse. Je tiens à saluer la clairvoyance dont font preuve certains des pays autour de cette table, comme notre pays hôte, les Émirats arabes unis, en renforçant leur capacité à exploiter le potentiel de l’IA. En revanche, les pays ne disposant pas des infrastructures et de la main-d’œuvre qualifiée pour tirer parti de cette technologie pourraient se retrouver à la traîne.

S’agissant des perspectives immédiates pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, nous prévoyons que la croissance du PIB atteindra 2,9 % cette année, un niveau supérieur à l’an dernier mais encore inférieur à nos projections d’octobre.

Cela s’explique en grande partie par des baisses de la production de pétrole à court terme, par le conflit à Gaza et en Israël, et par la rigidité des politiques monétaires, qui est encore de mise. Chez les pays exportateurs de pétrole, la faible croissance en dehors du secteur des hydrocarbures joue également un rôle. De plus, le déclin de la demande de pétrole va devenir un vent contraire de plus en plus fort à moyen terme. Quant aux pays importateurs nets d’énergie, ils sont freinés par des niveaux d’endettement et des besoins d’emprunt sans précédent, ainsi que par un accès limité aux financements extérieurs.

Sur le plan économique, les répercussions du conflit sont dévastatrices à Gaza, où l’activité a chuté de 80 % sur la période octobre–décembre par rapport à la même période un an plus tôt, et en Cisjordanie, où elle a reculé de 22 %. Les perspectives déjà sombres de l’économie palestinienne s’obscurcissent à mesure que le conflit persiste. Seules une paix et une solution politique durables pourront les infléchir réellement. Le FMI continuera de prodiguer des conseils de politique économique et de fournir une assistance technique à l’Autorité nationale palestinienne et à l’autorité monétaire palestinienne.

Dans le voisinage immédiat, le conflit pèse sur le tourisme, qui est pour beaucoup de gens une bouée de sauvetage. Nous surveillons de près les répercussions sur les finances publiques, qui pourraient prendre la forme d’une augmentation des dépenses consacrées aux dispositifs de protection sociale et à la défense.

Dans la région et au-delà, les répercussions se traduisent par une augmentation des coûts de fret et une chute des volumes de transit dans la mer Rouge —en baisse de plus de 40 % cette année d’après nos données PortWatch.

Cela ajoute aux difficultés de pays qui se relèvent encore de chocs antérieurs. Et plus les combats dureront, plus les risques d’élargissement du conflit augmenteront, ce qui aggravera le préjudice économique.

Malgré tout, le monde arabe peut planter la graine d’un avenir meilleur et plus stable dans ce contexte difficile. Il peut répondre aux besoins de reconstruction à venir, renforcer sa résilience et ouvrir des possibilités que ses populations croissantes exigent.

Pour cela, il a besoin d’espace budgétaire.

Voilà l’arbre que nous devons faire pousser. À l’image du ghaf, l’arbre national des Émirats arabes unis, il doit être robuste, capable de résister aux chocs tout en continuant à donner des fruits.

La première façon de nourrir cet arbre consiste à mobiliser des recettes. Les pays peuvent étoffer leur capacité fiscale avec des institutions plus fortes, des cadres mieux étudiés et un recouvrement des recettes plus efficace.

La conception de la politique fiscale joue un rôle capital. De nombreux pays ont amélioré leurs systèmes de TVA. Certains, comme le Maroc, ont élargi leur impôt sur le revenu des personnes physiques, sous-utilisé dans la région, et l’ont rendu plus progressif. Par ailleurs, 11 pays arabes ont déjà adhéré à l’accord sur un seuil minimum mondial pour l’impôt sur les sociétés.

Pour les pays exportateurs de pétrole, il est capital de diversifier l’économie en dehors des recettes issues des hydrocarbures. Aux Émirats arabes unis, le taux de l’impôt fédéral sur les sociétés à 9 % est ainsi entré en vigueur l’année dernière. Les pays non exportateurs de produits de base peuvent réduire les exonérations et limiter les taux préférentiels, comme l’a fait la Tunisie.

Et dans la mesure où les droits de douane et d’autres impôts indirects représentent jusqu’à 50 % des recettes fiscales de la région, la Jordanie et l’Arabie saoudite encouragent la facturation électronique. L’amélioration de la discipline fiscale peut rapporter gros !

Deuxièmement, nous pouvons faire pousser l’arbre en supprimant les subventions à l’énergie régressives.

Un rapport que nous publions ici demain montre que la suppression des subventions explicites à l’énergie, y compris dans les pays exportateurs de pétrole, pourrait générer 336 milliards de dollars d’économies dans la région, soit le poids cumulé des économies de l’Iraq et de la Libye. En plus des économies réalisées, ces mesures de suppression découragent la pollution et permettent d’accroître les dépenses sociales. Le dividende est donc triple.

L’Égypte, la Jordanie et le Maroc sont parvenus à mettre en œuvre des plans de réformes des subventions globaux avec une communication claire avec le grand public, un échelonnement adapté des hausses de prix et des transferts monétaires ciblés en faveur des plus vulnérables.

La troisième manière de nourrir l’arbre budgétaire consiste à améliorer les résultats des entreprises publiques. Nous avons une maxime au FMI : ce que l’on doit possède compte autant que ce que l’on doit. Or les entreprises publiques du monde arabe possèdent beaucoup de choses, leurs actifs dépassant 50 % du PIB et atteignant même 100 % dans certains pays.

Oman prend ce problème à bras-le-corps, en instituant une gouvernance plus robuste, en accroissant la responsabilité et en renforçant la gestion financière des entreprises publiques, et il prévoit de procéder à des cessions.

Résultat ? La dette des entreprises publiques a chuté de 41 % du PIB en 2021 à 30 % en 2022.

À mesure que notre arbre verra sa croissance stimulée par l’augmentation des recettes et la meilleure efficience des dépenses, il donnera plus de fruits. Cela vous permettra de dégager l’espace budgétaire nécessaire pour préserver la viabilité de la dette et renforcer la capacité d’adaptation aux chocs à court terme. À plus long terme, cela vous aidera à mettre en œuvre le nouveau contrat social sur lequel nous nous sommes entendus à Marrakech, à savoir accélérer la transformation de vos économies en vue d’un avenir plus inclusif et plus vert, plus numérique aussi. Il est ici question des investissements à réaliser pour se préparer à l’IA, comme la mise à niveau des travailleurs et l’amélioration de l’accès à Internet dans les pays à faible revenu. Ou encore de mesures comme l’élaboration d’une stratégie nationale et d’une réglementation claire de l’IA, qui valent aux Émirats de figurer dans la première partie de l’indicateur de préparation à l’IA du FMI.

Toutes les facettes de ce travail seront plus efficaces si la région fait preuve de collaboration et de solidarité. Il est essentiel que les pays du Conseil de coopération du Golfe maintiennent leur soutien robuste.

Le FMI est là pour vous aider dans vos actions destinées à transformer vos économies.

Depuis le début de pandémie, nous avons mis à disposition environ 64 milliards de dollars sous forme de liquidités et de réserves dans la région MOAN, dont 8 milliards de dollars l’année dernière. Et un montant de 1,6 milliard de dollars a été débloqué au titre de notre nouvel instrument, le fonds pour la résilience et la durabilité, pour accompagner la transition du Maroc et de la Mauritanie vers des économies plus vertes.

Avec la Banque mondiale, nous avons accordé un allègement de dette de 4,5 milliards de dollars à la Somalie, ce qui constitue l’aboutissement d’années de reconstruction.

Nous avons également étoffé nos activités de développement des capacités dans l’ensemble de la région, et notre nouveau bureau à Riyad renforce notre présence et nos partenariats avec les institutions arabes.

Autrement dit, nous nous inscrivons sur le long terme, pour vous aider à faire pousser un arbre budgétaire suffisamment robuste pour résister aux plus fortes tempêtes et aux sécheresses les plus dévastatrices.

Par sa durabilité, sa capacité d’adaptation et sa beauté, le ghaf est désormais bien plus qu’un arbre pour les Émirats arabes unis : il est devenu un symbole de stabilité et de paix.

Dans le processus de transformation de nos économies, notre champ des possibles n’est barré par aucune limite.

Choukran.