"Une gouvernance intelligente : des solutions pour l’économie mondiale d’aujourd’hui" ; Nemat Shafik, Directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, Le 5 décembre 2013
le 5 décembre 2013
Nemat ShafikDirectrice générale adjointe du Fonds monétaire international
Oxford, Royaume-Uni
Le 5 décembre 2013
Texte préparé pour l’intervention
Bonjour à tous! Je suis enchantée de me trouver parmi vous aujourd’hui. J’ai passé ici des jours très heureux pendant que je préparais mon doctorat en sciences économiques. Oxford est un lieu magique, qui regorge de beauté et de gens brillants. Mon seul regret est de ne pas y être restée plus longtemps.
Heureusement, mes bons amis Ngaire Woods et Max Watson ont eu la bonne idée de m’inviter à revenir pour prononcer la Conférence annuelle sur la gouvernance économique mondiale. Voici les grands thèmes que je compte développer aujourd’hui.
Pour une gouvernance intelligente
Les crises économiques mondiales ont tendance à raviver le débat sur la gouvernance mondiale et la coopération internationale. La dernière crise n’a pas fait exception à la règle. En effet, les crises dévoilent au grand jour les dysfonctionnements des règles et des institutions internationales existantes.
Nous avons vu comment les faiblesses et les défaillances des établissements bancaires et des marchés de capitaux peuvent se propager à l’ensemble du système financier international. Il en va de même des autres grands problèmes auxquels le monde doit faire face, qu’il s’agisse du changement climatique, de la prolifération nucléaire ou des pandémies sanitaires. Quel qu’en soit le point d’origine, tout le monde finit par être touché — et cela se vérifie de plus en plus souvent.
Il est donc manifeste que le monde a besoin de plus et non de moins de coordination et de coopération internationale. Mais comment y parvenir? Dans un récent éditorial du Financial Times, Martin Wolf, expliquait pourquoi les biens publics sont importants et comment les produire. «Les États, sur lesquels l’humanité compte pour lui fournir ces biens, qu’il s’agisse de sécurité ou de gestion du climat, sont impopulaires, débordés et en désaccord entre eux. Nous devons réfléchir à la manière de gérer ce monde. Cela demandera une extraordinaire créativité».
Martin a parfaitement raison. Nous devons être créatifs si nous voulons aller de l’avant. Nous avons besoin d’une gouvernance intelligente pour trouver des solutions adaptées à l’économie mondiale d’aujourd’hui.
Je centrerai mes propos sur trois sujets qui sont liés. Je décrirai d’abord brièvement les relations historiques entre les crises, d’une part, et les réformes de la gouvernance et la coordination internationale, d’autre part. J’évoquerai ensuite les conséquences des réformes de la gouvernance et des efforts de coordination internationale qui ont suivi la crise financière de 2008. Et pour finir, je vous livrerai quelques réflexions sur la manière dont la gouvernance économique mondiale pourrait évoluer à l’avenir — en quoi une «gouvernance intelligente» peut concilier la souplesse et l’efficacité nécessaires pour gérer la mondialisation.
Un monde en transition
L’économie mondiale est dans une phase de transition. Les centres de pouvoir économique se déplacent, de l’Ouest vers l’Est et le Sud. Les pays émergents et en développement comptent aujourd’hui pour plus de 50 % du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat) — et dans dix ans, ce chiffre sera passé à 64 %.
Parallèlement, les relations commerciales et financières ont pris une expansion phénoménale. Les créances transfrontalières sont passées de 6.000 à 30.000 milliards de dollars entre 1990 et 2008, et le volume des exportations mondiales de biens et services de 4.000 à 20.000 milliards de dollars. Ces chiffres se sont un peu tassés par la suite à cause de la crise mondiale, mais la croissance des 20 ou 30 dernières années n’en est pas moins impressionnante.
Sur le plan de la production, les chaînes d’approvisionnement mondiales sont devenues la règle et non plus l’exception. De nos jours, la moindre société manufacturière emploie des produits intermédiaires fabriqués par plus de 35 sous-traitants de par le monde — dans le cas de l’industrie aéronautique ou automobile, ce chiffre peut être multiplié par mille.
Au vu de la multiplication foudroyante des interconnexions et de la diffusion croissante de la puissance économique, on pourrait raisonnablement s’attendre à une transformation et une expansion simultanées de la gouvernance mondiale. En théorie, la demande de gouvernance aurait dû augmenter en même temps que l’intégration économique mondiale, afin d’assurer le bon ordre des choses et de limiter les effets pervers.
Mais, comme nul ne l’ignore, la gouvernance mondiale a été laissée pour compte pendant les années qui ont précédé la crise financière. Dans un contexte de croissance rapide et de faible volatilité de la production — ce qu’on a dénommé «la Grande Modération» — les observateurs sont allés jusqu’à se demander si la gouvernance mondiale n’était pas une chose du passé et si le FMI, la Banque mondiale et l’OMC avaient encore une quelconque utilité.
Ce n’est qu’en 2008, lorsque les déboires d’un compartiment relativement restreint du système financier américain se sont répercutés sur des marchés et des pays lointains, déclenchant une vraie crise planétaire, que l’on s’est rendu compte à quel point la gouvernance mondiale avait fait défaut depuis des années.
Crises et opportunités
Cinq ans après l’éclatement de la crise financière mondiale, la gouvernance économique reste au cœur du débat. Cela n’a rien de surprenant, à mon sens, puisqu’il y a toujours eu une relation symbiotique entre les crises et l’évolution de la gouvernance.
On a certes souvent l’impression que la gouvernance évolue lentement, par petits pas, à un train de sénateur, alors que les crises sont par définition perturbatrices et révolutionnaires. Pourtant, comme l’histoire l’a maintes fois prouvé, une crise met souvent en évidence les défaillances du dispositif de gouvernance en place, et la crainte d’un nouvel accident peut nourrir un appétit de réforme.
Prenons un exemple : à la suite de la Première Guerre Mondiale, la Société des Nations a été établie pour promouvoir la coopération internationale et assurer la paix et la sécurité dans le monde, cependant que l’hyperinflation qui a sévi dans les années 1920 a motivé les efforts de rétablissement de l’étalon-or. De même, la Grande Dépression et la Deuxième Guerre Mondiale ont débouché sur la création de la plupart des éléments du système de gouvernance actuel — l’ONU, le FMI, la Banque mondiale, et l’Accord général sur les tarifs et le commerce, qui est maintenant devenu l’Organisation mondiale du commerce. Le traumatisme de la Deuxième Guerre Mondiale a aussi donné une impulsion à l’intégration politique et économique de l’Europe.
Aux États-Unis, la crise financière de 1907 a ouvert la voie à la création de la Réserve fédérale, et l’ère désastreuse de la Grande Dépression a conduit à une remise à plat majeure de la réglementation financière, avec l’adoption en 1933 de la loi Glass-Steagall, qui a établi une séparation stricte entre banques de dépôt et banques d’affaires et est restée en application pendant plus de soixante ans. Plus récemment, les accords régionaux d’échanges monétaires entre les pays membres de l’ASEAN, connus sous le nom d’Initiative de Chiang Mai, ont vu le jour au lendemain de la crise asiatique.
Comme par le passé, la crise financière mondiale de 2008 a eu un coût énorme et des conséquences désastreuses pour les pays touchés. Mais, du point de vue de la gouvernance économique, elle a aussi donné l’occasion de faire progresser les réformes et de renforcer la coordination internationale. Avons-nous réussi à ne pas gâcher une bonne crise? (citation souvent attribuée à Rahm Emanuel, ancien secrétaire général du Président Obama, mais, comme tous les bons mots, due à Winston Churchill). Passons rapidement en revue ce que nous avons accompli ces cinq dernières années, avant de voir quelles sont les lacunes qui restent à combler.
Bilan en demi-teinte
On peut classer les efforts de réforme de la gouvernance entrepris depuis la crise dans trois grandes catégories — coordination des politiques macroéconomiques, réforme de la réglementation financière internationale et renforcement des systèmes de sécurité régionaux et mondiaux.
Primo, la coordination des politiques macroéconomiques. Cette coordination, bien qu’imparfaite, a été particulièrement énergique dans la phase initiale de la crise. À titre d’exemple, six grandes banques centrales ont annoncé, fait sans précédent, une réduction coordonnée de leurs taux directeurs en octobre 2008 pour détendre la situation économique mondiale. La Réserve fédérale américaine et 14 autres autorités monétaires ont mis en place des accords temporaires d’échanges monétaires en dollars, pour remédier à la pénurie de billets verts sur les marchés de financement à court terme. Et en novembre 2008, pour la première fois de son histoire, le G20 a réuni en Sommet les chefs d’État et de gouvernement, qui se sont engagés à entreprendre un effort concerté de relance budgétaire et à s’abstenir de toute pratique protectionniste.
Grâce à ces efforts massifs, au lieu d’une nouvelle Grande Dépression, nous avons connu une Grande Récession, ce qui est en fait un exploit remarquable, compte tenu de ce qui aurait pu advenir. Mais, depuis quelque temps, l’élan de coordination s’est essouflé et l’heure est désormais non plus à éviter une calamité, mais à prévenir de nouvelles crises et à accompagner la reprise naissante. Certains pensent que le G20 a fait ses preuves à la guerre, mais pourrait bien manquer d’efficacité en temps de paix.
Or, la tâche est loin d’être terminée.
L’un des enjeux d’avenir pour la communauté internationale sera de poursuivre le dialogue sur l’inflexion des politiques monétaires non conventionnelles et d’en gérer les conséquences éventuelles, ainsi que de désamorcer la poudrière du surendettement qui s’est accumulé durant la crise.
Secundo, la réforme de la réglementation financière. Pour remédier aux causes de la crise, les membres du G20 ont décidé de remettre à plat la réglementation financière internationale, en vue de promouvoir un système financier mondial plus transparent, sûr et résilient.
L’initiative la plus notable a été la création, en 2009, du Conseil de stabilité financière, qui a pour mission d’élaborer et de promouvoir une règlementation financière efficace. Des progrès considérables ont été accomplis sur plusieurs plans : renforcement de la supervision de l’ensemble du système, relèvement des coefficients de fonds propres et de liquidités, promotion des échanges d’information financière et mise en place de dispositifs macroprudentiels. Des efforts sont aussi engagés pour faciliter la résolution transfrontalière des défaillances bancaires.
Mais il subsiste plusieurs grands chantiers : solution du problème des établissements trop gros pour faire faillite, réforme de la banque parallèle et sécurisation des marchés des produits dérivés. Dans la zone euro les mesures adoptées récemment ont aidé à apaiser les tensions sur les marchés, mais il faut encore réfréner la fragmentation financière et avancer dans la voie de l’union bancaire pleine et entière.
Tertio, le renforcement des systèmes de sécurité régionaux et mondiaux. Pour atténuer les effets de la crise, les pays ont fait un effort concerté afin de consolider le dispositif de sécurité financière, notamment en triplant le montant des ressources du FMI et en augmentant les allocations de DTS. En Europe, l’architecture financière de la zone euro a été fortifiée par l’institution du Mécanisme européen de stabilité (MES) et du dispositif des Opérations monétaires sur titres (OMT) de la BCE. Dans d’autres parties du monde, les accords de financement régionaux tels que l’Initiative de Chang Mai et le Fonds anticrise de la Communauté économique eurasienne ont été renforcés.
Les progrès sont cependant inégaux dans d’autres domaines. Dans le cas du FMI, par exemple, l’accord conclu en 2010 sur d’importantes réformes des quotes-parts et de la gouvernance pour améliorer la participation et la représentation des pays émergents et en développement n’a pas encore pris effet. Deux des trois conditions requises sont remplies, mais il manque encore le soutien nécessaire pour remplir l’ultime condition qui permettrait l’application des réformes.
À tout prendre, le bilan de la réforme de la gouvernance mondiale depuis la crise est donc plutôt en demi-teinte. Il importe que les dirigeants du monde entier entretiennent la dynamique et saisissent l’occasion de promouvoir les réformes tant que le souvenir de la crise et le sentiment d’urgence restent présents dans les esprits. En effet, il y a un risque réel que la fenêtre de tir pour résoudre certains des problèmes mondiaux les plus épineux se referme bientôt. Comment inverser la tendance et parachever les réformes? Pour répondre à cette question, il est utile de passer en revue les diverses solutions mises au point en vue de fournir les biens publics mondiaux.
Coordination forte ou douce
Où va le système mondial de gouvernance et de coordination économiques? Pour répondre à cette question je crois qu’il est utile de distinguer la démarche «formelle» de la démarche «informelle».
La coordination «formelle» se caractérise par des accords réciproques visant des résultats spécifiques et tangibles. C’est par exemple ce qui s’est passé lors des deux premiers sommets des chefs d’État et de gouvernement du G20 qui ont eu lieu immédiatement après la crise et ont débouché sur l’effort concerté de relance budgétaire que j’ai évoqué tout à l’heure et sur la création du CSF.
Par contre, les formes de coordination plus «informelles» sont plutôt liées à des processus sans qu’il y ait d’accords ou de résultats prospectifs. Il s’agit de faciliter les échanges de vues et le partage des informations, comme par exemple les entretiens périodiques entre les banquiers centraux sous l’égide de la Banque des règlements internationaux (BRI).
Les deux méthodes peuvent être complémentaires. La démarche informelle peut entretenir le dialogue lorsque la situation est paisible et servir de cadre à une coopération plus formelle ou même à une véritable coordination des politiques, en temps de crise.
Gouvernance formelle ou informelle
Cela vaut aussi pour la gouvernance. La gouvernance «formelle» nécessite la création d’obligations juridiques et d’institutions indépendantes par voie de traités. L’ONU, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC en sont des exemples.
Ce type d’architecture formelle fondée sur des traités internationaux a l’avantage de renforcer la crédibilité des engagements des pays membres et de confier des pouvoirs juridiques aux institutions. Cependant, le processus de création et d’adaptation au changement est généralement assez lent, ce qui peut être un handicap si la conjoncture mondiale ou les besoins des pays membres évoluent.
Les structures de gouvernance «informelle» telles que les groupements de pays (G20 ou BRIC), le CSF ou le Groupe d’action financière (GAFI) n’ont pas de personnalité morale internationale ni d’obligations juridiques. Elles ont donc plus de souplesse et peuvent souvent être créées plus rapidement. Cependant, elles n’ont pas de mission inscrite dans un traité, ni de pouvoirs contraignants. Il leur est donc plus difficile de faire appliquer leurs décisions, ce qui peut à terme diminuer leur pertinence et leur efficacité.
Enfin, il y a bien sûr aussi des solutions privées aux problèmes de gouvernance. Exemple : les clauses d’action collective (CAC) qui permettent à une majorité qualifiée de détenteurs d’obligations de décider de s’associer d’un commun accord à de nouvelles conditions de paiement, de manière à faciliter la restructuration des dettes. Autre exemple : l’IFRS, qui est une fondation indépendante sans but lucratif qui s’occupe de promouvoir l’harmonisation des normes comptables internationales.
Une mosaïque de solutions
En somme, la gouvernance économique mondiale de l’avenir pourrait bien se présenter comme une mosaïque, ou un écosystème, fondés sur la complémentarité des volets «formels» et «informels». Dans ce système, les mécanismes de gouvernance seraient tributaires des questions à traiter et du contexte, et les structures formelles ou informelles interviendraient selon que les unes ou les autres seraient les plus efficaces et les plus pratiques pour réglementer et superviser la problématique en présence. Pour en faire un système «intelligent», il est crucial d’employer la méthode formelle ou informelle là où les circonstances l’exigent et au moment opportun.
Voyons maintenant trois exemples où les deux méthodes de gouvernance s’imbriquent :
- Premièrement, le commerce. Nous préférons tous les accords commerciaux multilatéraux aux accords régionaux. Puisque les bienfaits du commerce sont bien reconnus, le système de règlement des différends de l’OMC est vraiment «musclé» et peut imposer des sanctions à quiconque enfreint les règles du commerce mondial. De plus en plus, les accords méga-régionaux (entre les États-Unis et l’Europe ou entre les États-Unis et le Pacifique) visent moins les droits de douane que les normes et les obstacles non tarifaires. Dans la mesure où ils aident à établir des normes mondiales qui facilitent les échanges, ils nous rapprochent de solutions plus mondiales et peuvent renforcer le cadre de l’OMC (et éventuellement s’y intégrer à l’avenir).
- Deuxième exemple, le recours aux leviers formels et informels face à la crise de la zone euro. Disons que le FMI et la BCE représentaient la dimension formelle et l’Eurogroupe la dimension informelle. Le système complexe de la gouvernance européenne a bien fonctionné en tant de paix, mais les processus décisionnels se prêtaient mal à la gestion de crise.
- Troisième et dernier exemple : la régulation financière. Dans le cadre du Programme d’évaluation du système financier (PESF), le FMI procède tous les 5 ans à un examen approfondi des pays dont le système financier a une importance systémique. Le PESF obligatoire est un bon exemple de surveillance formelle, le secteur financier étant évalué à l’aune de normes mondiales et de tests de résistance qui mesurent les répercussions nationales et internationales. Deux ans après un PESF, le CSF effectue un examen par les pairs (forme de gouvernance informelle) pour vérifier la suite donnée aux recommandations du PESF, et contribuer à faire progresser les réformes essentielles pour assurer la stabilité financière.
La mise en place d’un système souple et efficace de gouvernance mondiale ne va pas de soi. Par exemple, lorsque des institutions internationales «formelles» comme le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC s’adaptent trop lentement à l’évolution de leur environnement, des failles peuvent s’ouvrir dans la gouvernance. Des institutions plus «informelles» peuvent combler les vides, mais en se substituant aux précédentes, au lieu de jouer un rôle complémentaire. Cela n’est pas efficace et affaiblit le système de gouvernance mondial.
Pour la réforme de la gouvernance du FMI
Voilà qui m’amène à mon dernier point. Dans l’évolution de l’écosystème que je viens de décrire, il est essentiel que les éléments de gouvernance «formelle» gardent toute leur pertinence en s’adaptant aux mutations de l’économie mondiale.
Au fil des ans, le FMI a fait preuve d’une remarquable faculté d’adaptation de son travail et de ses activités aux grands bouleversements de l’économie mondiale, dont le démantèlement du système des parités fixes au début des années 1970, la crise de la dette des années 1980 et l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.
Si le FMI a gardé sa pertinence, c’est essentiellement parce que sa structure de gouvernance politique s’adapte, lentement certes, à l’évolution de l’économie mondiale. Il a aussi un personnel indépendant, et une constitution (ses Statuts) qui lui permet de s’inscrire dans une perspective à long terme. De plus, il est aussi parvenu à concilier des éléments de gouvernance formelle (la surveillance, obligatoire) avec des éléments de gouvernance informelle (les rapports sur l’observation des normes et codes, facultatifs ou encore la facilitation des normes pour les fonds souverains). Toujours sur le plan «informel», le système de décision sur la base du consensus a permis de veiller à ce que les points de vue des pays membres soient pris en compte.
Pour l’avenir, il sera crucial pour l’efficacité et la légitimité du FMI de veiller à ce que sa structure de gouvernance reflète le poids relatif de ses pays membres dans l’économie mondiale. L’approbation des réformes décidées en 2010 sera un grand pas dans cette direction, mais il sera aussi nécessaire de redéployer des quotes-parts et des pourcentages de vote vers les économies dynamiques.
Il faudra pour ce faire que certains pays acceptent une diminution de leurs quotes-parts et du nombre de voix dont ils disposent. Ce ne sera pas une décision facile pour eux, ce qui est compréhensible, mais en échange, ils contribueront à préserver la solidité et la légitimité du FMI, dans l’intérêt de l’ensemble des pays membres — et de l’économie mondiale.
Conclusion
Si des efforts considérables ont bien été accomplis dans la phase initiale de la crise pour améliorer la gouvernance économique mondiale, l’élan de réforme et de coordination internationale s’est ralenti depuis quelque temps.
En vérité, le système actuel est en mesure d’assurer la gouvernance et la coordination lorsqu’il y a beaucoup à perdre — en cas de crise, par exemple —, mais il est nettement moins efficace pour mobiliser les énergies lorsqu’il y a quelque chose à gagner de part et d’autre — comme dans le rééquilibrage de l’économie mondiale.
Cela peut s’expliquer par le fait que la communauté internationale tend à rassembler ses forces en temps de crise, lorsque l’horizon est proche et les coûts immédiats élevés. Mais en temps normal, il peut être difficile de mobiliser les bonnes volontés car le coût de l’inaction n’apparaît que dans un avenir lointain.
Certains observateurs voient dans le plurilatéralisme et la montée de la gouvernance informelle une menace pour les piliers traditionnels de la gouvernance mondiale formelle, dont le FMI. Je suis bien moins pessimiste. Je pense que ces deux formes de gouvernance peuvent se compléter au lieu de se substituer imparfaitement l’une à l’autre. La gouvernance informelle est efficace lorsqu’il faut innover et qu’il y a du temps pour agir, lorsqu’il suffit de mobiliser un groupe de pays et que l’on peut se contenter d’une application ponctuelle des décisions. C’est la méthode formelle de gouvernance qui est nécessaire en temps de crise et quand des solutions mondiales et une approche concertée sont essentielles.
Alors, pour revenir à mon point de départ et au plaidoyer de Martin Wolf en faveur d’une créativité extraordinaire, dans la recherche de solutions aux multiples enjeux du monde d’aujourd’hui, je pense que nous pouvons aborder les problèmes en définissant judicieusement la gouvernance dont nous avons besoin et en exploitant au mieux les occasions politiques lorsqu’elles se présentent. En combinant plus intelligemment les dimensions «formelle» et «informelle», nous pouvons produire de meilleurs résultats pour tous les pays, petits et grands.i
i Je tiens à remercier Andreas Bauer, Sanjaya Panth, Niklas Westelius, Camilla Andersen et Dustin Smith pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans la préparation de cette intervention, ainsi qu’Olivier Blanchard, Sean Hagan et Jose Viñals, pour leurs commentaires éclairés.
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