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Épisode inflationniste mondial : enseignements pour la politique monétaire

L’accélération de l’inflation a suivi une période inédite de perturbation de l’économie mondiale, mais elle offre tout de même d’importants enseignements aux banques centrales .

L’accélération de l’inflation des trois dernières années a suivi une période inédite de perturbation de l’économie mondiale, mais elle offre tout de même d’importants enseignements aux banques centrales.

Les confinements liés à la pandémie ont d’abord fait basculer la demande des services vers les biens. Mais cela s’est produit à un moment où des mesures de relance budgétaire et monétaire sans précédent ont stimulé la demande, et de nombreuses entreprises n’ont pas pu augmenter leur production assez rapidement, ce qui a entraîné des asymétries entre l’offre et la demande ainsi qu’une hausse des prix dans certains secteurs.

Par exemple, les ports ont atteint ou dépassé leur capacité maximale, en partie en raison des pénuries de personnel liées à la pandémie, de sorte que lorsque la demande de marchandises a augmenté, cela a entraîné des commandes en souffrance. Une fois que les économies ont rouvert, la demande de services a rebondi et l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait grimper les prix des matières premières, poussant l’inflation mondiale à son plus haut niveau depuis les années 70.

Notre chapitre de la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale se penche sur cet épisode et en tire des enseignements, aussi bien nouveaux qu’anciens, pour la politique monétaire.

Pour comprendre la récente poussée inflationniste mondiale, nous devons aller au-delà des agrégats macroéconomiques traditionnels. Notre modélisation montre comment les flambées de l’inflation dans des secteurs particuliers se sont intégrées à l’inflation sous-jacente, un indicateur moins volatil qui exclut l’alimentation et l’énergie. Notre analyse met l’accent sur l’interaction entre l’envolée de la demande, d’une part, et les goulets d’étranglement et chocs sectoriels, d’autre part. Ceux-ci ont entraîné des variations considérables des prix relatifs, avec pour corollaire une dispersion inhabituelle des prix.Lorsque les goulets d’étranglement de l’offre se sont généralisés et ont interagi avec une forte demande, la courbe de Phillips — principal indicateur du lien entre inflation et ralentissement économique — s’est accentuée et s’est déplacée vers le haut. Plus pentue, la courbe de Phillips indiquait que des variations relativement faibles du ralentissement économique pouvaient avoir un effet important sur l’inflation. Cela s’est accompagné d’une mauvaise et d’une bonne nouvelle.

Mauvaise nouvelle : l’inflation a bondi en raison des contraintes de capacité dans de nombreux secteurs. Bonne nouvelle : il était possible de freiner l’inflation à un coût moindre du point de vue de la production économique.

Ce dernier éclairage apporte un nouvel enseignement : les goulets d’étranglement généralisés de l’offre peuvent offrir un arbitrage favorable aux banques centrales lorsque celles-ci sont confrontées à une accélération de la demande. Étant donné que la courbe de Phillips s’accentue dans de tels cas, le resserrement de la politique monétaire peut être particulièrement efficace pour freiner rapidement l’inflation à des coûts de production limités.

Cependant, lorsque les goulets d’étranglement sont limités à des secteurs particuliers où les prix sont relativement flexibles, comme les produits de base, cela rappelle un vieil enseignement : la pratique courante consistant à axer la politique monétaire sur les mesures de l’inflation sous-jacente reste appropriée. Dans de tels cas, un resserrement excessif de la politique monétaire peut être contre-productif, entraînant une contraction économique coûteuse et une mauvaise allocation des ressources.

À la lumière de ces informations, les cadres de politique monétaire des banques centrales devraient déterminer les conditions dans lesquelles un resserrement anticipé est approprié. Cela nécessite des modèles améliorés et de meilleures données sectorielles pour évaluer les forces inflationnistes sous-jacentes, améliorer les prévisions et guider le peaufinage des réponses. Un premier pas dans la bonne direction pourrait consister à collecter plus fréquemment des données sur les prix par secteur et sur les contraintes d’approvisionnement afin de déterminer si les secteurs clés se heurtent à des goulets d’étranglement de l’offre. De plus, appréhender des facteurs structurels tels que la façon dont les différents secteurs fixent les prix et les liens qui existent entre eux fournirait de précieuses informations supplémentaires.

Plusieurs banques centrales prévoient de revoir leur cadre de politique monétaire au cours des prochains mois. Ces examens offrent l’occasion d’incorporer des clauses dérogatoires bien définies dans leur cadre de politique monétaire pour faire face aux pressions inflationnistes lorsque les courbes de Phillips agrégées s’accentuent. Les orientations prospectives devraient intégrer ces clauses dérogatoires et favoriser un resserrement monétaire anticipé dans de telles situations.

Cette souplesse accrue devrait permettre aux banques centrales d’être mieux préparées à l’avenir et contribuer à préserver leur crédibilité durement acquise.

— Le présent blog s’inspire du chapitre 2 des Perspectives del’économie mondiale d’octobre 2024, qui traitent du grand resserrement monétaire à la lumière des enseignements du récent épisode inflationniste. Il reflète également les contributions d’Emine Boz, Thomas Kroen, Galip Kemal Ozhan, Nicholas Sander et Sihwan Yang.