Le changement climatique est le grand défi existentiel de notre époque. Il concerne toutes les régions du monde et ses conséquences sont particulièrement graves pour les pays à faible revenu.
D’ici la fin du siècle, en l’absence de mesures d’atténuation, les températures mondiales devraient augmenter de 4 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle et engendrer ainsi des risques croissants et irréversibles : effondrement des calottes glaciaires, submersion de pays insulaires de faible altitude, phénomènes météorologiques extrêmes et scénarios de réchauffement incontrôlé.
Le réchauffement de la planète pourrait aussi signifier une augmentation du risque d’extinction pour un grand nombre d’espèces, la propagation de maladies, une remise en cause de la sécurité alimentaire et un appauvrissement des ressources renouvelables en eaux de surface et en eau souterraine.
Cette menace imminente a heureusement suscité une riposte multilatérale sans précédent : au total, 190 parties ont proposé des stratégies dans le sillage de l’Accord de Paris; elles comportaient presque systématiquement une forme ou une autre d’engagement à atténuer le réchauffement. À présent, l’heure est venue de réfléchir avec réalisme à la manière d’honorer ces engagements.
La nécessité d’une juste tarification du carbone
L’idée que la tarification du carbone (en fait de la teneur en carbone des combustibles fossiles ou de leurs émissions) est l’instrument le plus efficace pour atténuer le changement climatique suscite un consensus de plus en plus large; cet instrument permet d’inciter tous les secteurs et tous les acteurs à réduire leur consommation énergétique, à utiliser des combustibles plus propres et à mobiliser des financements privés.
En outre, la tarification du carbone génère des recettes dont nous avons grandement besoin et qui devraient être affectées de façon à réorienter les finances publiques en faveur d’une croissance durable et inclusive. La meilleure méthode pour y parvenir différera selon les pays. Dans certains, il faudra investir dans les ressources humaines et l’infrastructure pour atteindre les Objectifs de développement durable. Ailleurs, il faudra diminuer les taxes qui sapent l’efficacité des mesures d’incitation au travail et freinent la croissance.
Un document du FMI récent examine comment la tarification du carbone pourrait être utilisée pour tenir les engagements d’atténuation pris à Paris. Les engagements et la tarification nécessaire pour les tenir varient d’un pays à l’autre, et le document examine l’impact de prix de 35 et de 70 dollars la tonne sur les émissions de carbone. Un prix sensiblement inférieur à 35 dollars la tonne serait suffisant pour que les pays du G‑20 (qui, ensemble, sont responsables des quatre cinquièmes des émissions mondiales) tiennent leurs engagements, et cela vaut aussi pour des membres importants du G-20 tels que la Chine et l’Inde.
Si un prix de 35 dollars la tonne doublerait plus ou moins le prix du charbon, il ne relèverait que d’environ 5 à 7 % le prix à la pompe des carburants routiers. Cependant, pour quelques pays ayant des engagements plus ambitieux, même un prix de 70 dollars la tonne serait insuffisant.
Pourtant, même si les promesses actuelles étaient tenues, elles permettraient au mieux de limiter le réchauffement prévu à un niveau quand même effrayant de 3°C, au lieu de l’objectif de 1,5-2°C figurant dans l’Accord de Paris. Pour empêcher la température de s’élever de plus de 2°C, il faudrait réduire les émissions d’environ un tiers d’ici 2030 et porter le prix mondial du carbone aux environs de 70 dollars la tonne.
La première avancée en matière de tarification du carbone a été l’établissement de plus de 50 systèmes de taxes ou d’échanges d’émissions, qui sont actuellement en vigueur à l’échelle régionale, nationale et infranationale. Mais il reste clairement des efforts considérables à fournir, étant donné que le prix mondial moyen n’est que de 2 dollars la tonne.
Il est clair aussi que la tarification du carbone peut être problématique sur le plan politique. Sous toutes les latitudes, divers événements nous le rappellent. Il est donc crucial de gérer le processus de manière globale; cela passe généralement par une introduction progressive de la tarification et une communication explicite sur l’utilisation des recettes générées, sachant qu’il faudra trouver des compromis entre répartition, efficience et considérations politiques.
Mais même dans ce scénario idéal, nous pourrions avoir besoin d’autres instruments pour renforcer la tarification du carbone, voire lui trouver un substitut. L’article du FMI illustre les arbitrages qui seraient pertinents pour 135 pays à l’aide d’un outil qui quantifie les émissions et les conséquences budgétaires et économiques d’une série d’instruments d’atténuation. Une des pistes prometteuses consiste à éviter une hausse politiquement délicate des prix des carburants en complétant la tarification du carbone par des systèmes de subventionnement fiscal sans incidence sur les recettes, afin d’accroître les incitations à produire une électricité plus propre, adopter des véhicules moins polluants et améliorer l’efficacité énergétique.
Au niveau international, les ambitions pourraient être revues à la hausse en renforçant le processus de Paris avec un engagement volontaire des principaux émetteurs à respecter un prix plancher pour le carbone, qui garantirait un effort minimal d’atténuation de la part des participants, tout en offrant une forme d’assurance contre les pertes de compétitivité. Les pays avancés pourraient accepter d’assumer une part plus importante des responsabilités avec une obligation de prix plancher plus élevé. Et le régime pourrait être adapté en fonction du contexte national et des politiques du pays.
Réformer les subventions à l’énergie
Un autre point est essentiel : les dommages liés à l’utilisation des combustibles fossiles ne se limitent pas au changement climatique. Ces sources d’énergie sont à l’origine de décès dus à la pollution atmosphérique, d’embouteillages et d’accidents.
Au vu de tous ces éléments, de nombreux pays ne prennent pas les bonnes décisions en ce qui concerne les prix de l’énergie, même si l’on fait abstraction des préoccupations climatiques.
D’après les estimations fournies par un nouveau document de travail du FMI (a), la sous-tarification de l’offre et la sous-estimation des coûts environnementaux équivalent à subventionner les énergies fossiles dans des proportions vertigineuses : à hauteur de 5.200 milliards de dollars en 2017, soit 6,5 % du PIB mondial, sans grand changement par rapport à nos estimations précédentes (a). Les bénéfices associés à une réforme du prix sont essentiellement locaux : les pays qui l’engagent peuvent donc améliorer leur situation tout en contribuant à atténuer le changement climatique à l’échelle planétaire. En l’occurrence, la solidarité est donc dans l’intérêt bien compris de tous les pays.
La quasi-totalité des spécialistes du climat sont favorables au principe d’une réforme de la tarification du carbone et de l’énergie. Les ministères des Finances, conscients de leurs responsabilités, devront profiter de toutes les occasions qui se présenteront pour proposer des incitations efficaces en tenant compte des impératifs politiques et de répartition, et créer et concevoir des instruments à cet effet. Au FMI, nous restons optimistes : les bonnes pratiques continueront de se renouveler et se multiplier et de jouer un rôle de catalyseur. Il est difficile de sous-estimer l’urgence de la tâche, alors que la fenêtre dont nous disposons pour contenir le réchauffement du climat mondial à des niveaux gérables se referme rapidement. Chacun, chaque institution, chaque pays doit agir. Chacun peut faire sa part !
(a) en anglais
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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des Finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au Commerce extérieur pendant deux ans.
Par ailleurs, Mme Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle est devenue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant d’intégrer Baker & McKenzie en 1981.
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Vitor Gaspar , ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne de 2007 à 2010 et a été directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’université nouvelle de Lisbonne. Il a aussi étudié à l’université catholique portugaise.