Règles budgétaires : comment les aimer sans s’en lasser ?

Xavier Debrun, Luc Eyraud, Andrew Hodge, Victor Lledo, Catherine Pattillo et Abdelhak Senhadji
13 avril 2018

Horloge de la dette nationale à New York : une règle budgétaire, tout comme le plafond de la dette, ne doit être ni trop souple ni trop rigide (photo : Frances M. Roberts/Newscom)

Les règles visant à maîtriser des déficits publics excessifs sont le plus efficaces lorsqu’elles sont simples, souples, et applicables dans un paysage économique en mutation.

Dans une nouvelle étude, nous analysons les règles budgétaires dans plus de 90 pays et, d’après leur expérience, nous constatons que les règles mises en œuvre au cours des 30 dernières années étaient souvent trop complexes, extrêmement rigides et difficiles à faire appliquer.

Les règles budgétaires tracent la voie d’une politique budgétaire publique responsable. À titre d’exemple, un État peut décider de plafonner son endettement annuel à 3 % du revenu total de l’économie, comme c’est le cas dans beaucoup de pays européens. Des règles peuvent permettre de définir l’ordre de priorité des nombreuses attentes vis-à-vis du budget, de rendre les politiques publiques prévisibles et de maintenir la dette publique dans des limites raisonnables.

D’après l’analyse, une meilleure élaboration des règles peut permettre d’éviter des déficits excessifs qui compromettent la viabilité des finances publiques. Cela rassure les marchés financiers et les investisseurs, raison pour laquelle les pays respectant leurs règles budgétaires peuvent emprunter à des taux plus faibles. Les pays affichant des déficits excessifs et appliquant des règles laxistes empruntent à des taux plus élevés, car les investisseurs considèrent qu’ils sont plus à risque.

En témoignant de l’engagement d’un pays à bien gérer ses finances publiques, les règles budgétaires peuvent assurer une marge de manœuvre budgétaire pour financer des politiques promouvant la croissance, renforçant la résilience de l’économie à des chocs et réduisant les disparités de revenus.

Élaboration des règles : enseignements

L’expérience a montré que certaines caractéristiques principales améliorent l’efficacité des règles.

● Un vaste champ d’application : la règle doit s’appliquer à l’essentiel, sinon à l’ensemble du budget, afin de limiter d’éventuelles échappatoires.

● Une démarche qui encourage les pays à économiser pendant les périodes fastes, par exemple en empêchant des augmentations considérables de dépenses susceptibles d’absorber la totalité des recettes exceptionnelles.

● Des limites d’agrégats budgétaires fondées sur des principes économiques solides. À titre d’exemple, le plafond d’endettement doit être suffisamment bas pour promouvoir la responsabilité budgétaire et suffisamment élevé pour favoriser l’exécution de politiques souhaitables, notamment la résorption des déficits d’infrastructures publiques et l’atténuation des effets économiques de chocs graves.

● Des exceptions précises pour permettre au budget de s’adapter à des imprévus comme les catastrophes naturelles.

En outre, pour être couronnées de succès, les règles budgétaires requièrent une adhésion politique ainsi que des institutions qui contribuent à accroître la transparence et la responsabilité budgétaires, à l’instar des conseils budgétaires créés par les administrations et agissant comme gendarmes publics de la politique budgétaire. Par exemple, ces dernières années, la plupart des pays européens ont établi des conseils budgétaires.

Au cours des 10 dernières années, des réformes en profondeur ont favorisé l’avènement d’une deuxième génération de règles. Celles-ci sont, premièrement, plus souples, avec notamment de nouvelles exceptions mieux définies. Deuxièmement, elles sont plus faciles à faire appliquer, grâce entre autres à des mécanismes de correction qui prévoient ce que le gouvernement doit faire lorsqu’il enfreint une règle. La Jamaïque et la Grenade se sont dotées de mécanismes de correction en 2014 et 2015.

Nous constatons cependant que ces innovations ont davantage compliqué le fonctionnement des règles sans effet concret sur leur observation pour le moment.

Trois principes des futures réformes

Afin de combler ces lacunes, notre étude propose trois principes devant guider la conception de nouvelles règles et la réforme des règles actuelles.

● S’assurer que le dispositif réglementaire est cohérent, rigoureux et garant de la viabilité de la dette. Les règles budgétaires doivent comprendre à la fois une règle sur la dette pour tracer la voie de la politique budgétaire à moyen terme et un nombre réduit de règles opérationnelles pour guider les décisions relatives au budget annuel, notamment une règle de dépenses et une règle d’équilibre budgétaire. Les réformes doivent s’assurer que ces règles ne soient pas redondantes et n’envoient pas de signaux contradictoires.

● Inciter à un plus grand respect des règles. Nous constatons que les gouvernements respectent leurs règles environ la moitié du temps. Pour les encourager à faire mieux, il faudrait que le respect des règles produise des avantages plus concrets et que ceux qui ne respectent pas les règles paient un prix plus fort. Bien que les sanctions pécuniaires ne soient pas souvent crédibles, les récents efforts visant à accroître les coûts de réputation et les coûts politiques semblent plus prometteurs. C’est notamment le rôle des conseils budgétaires qui surveillent et dévoilent au grand jour d’éventuels détournements de deniers publics.

● Offrir suffisamment de souplesse sans trop sacrifier la simplicité. Les règles qui permettent de s’écarter des objectifs face à des chocs économiques, comme la règle d’équilibre budgétaire, sont souvent compliquées et difficiles à mettre en œuvre. Les règles de dépenses peuvent mieux allier souplesse et simplicité, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

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Bien entendu, les pays doivent adapter ces trois principes à leur propre situation. L’étude englobe aussi six documents de référence que vous pouvez lire ici. Ils abordent des sujets tels que l’évolution de l’élaboration des règles au fil du temps, leur capacité à maîtriser les déficits et la manière dont les pays ont observé les règles par le passé.

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Xavier Debrun est chef adjoint de la division politique budgétaire et surveillance du département des finances publiques du Fonds monétaire international. Depuis son arrivée au FMI en 2000, il a travaillé principalement au département des études, où il a contribué à la publication des Perspectives de l’économie mondiale, et au département des finances publiques comme économiste responsable des questions budgétaires dans les équipes chargées de l’Afrique du Sud et de la Hongrie. En 2006-07, il a été chercheur invité à Bruegel, un groupe de réflexion basé à Bruxelles, et professeur invité à l’Institut de hautes études internationales et du développement et à l’École des hautes études commerciales de Genève. Il a publié de nombreux articles sur l’intégration monétaire régionale, la politique budgétaire et l’analyse de la viabilité de la dette publique.

Luc Eyraud-IMF
Luc Eyraud est chef de division adjoint au département des finances publiques du FMI. Ses recherches portent principalement sur l’élaboration des règles budgétaires, la décentralisation budgétaire, la fiscalité du patrimoine et les multiplicateurs budgétaires. Avant d’entrer au FMI, il était fonctionnaire du Trésor français.

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Andrew Hodge est économiste au département des finances publiques du FMI. Ses recherches portent principalement sur les crises budgétaires, les effets de la politique budgétaire sur la croissance et les implications du vieillissement de la population pour la politique budgétaire. Avant d’intégrer le FMI, il a été économiste à la Reserve Bank of Australia. Il est titulaire d’un doctorat de la London School of Economics.


Victor Lledo est économiste principal au département des finances publiques du FMI. Ses recherches portent principalement sur les règles, les commissions et le fédéralisme budgétaires. Il a acquis une riche expérience professionnelle au sein de plusieurs départements du FMI, travaillant à la fois avec des pays avancés et des pays en développement. M. Lledo est titulaire d’un doctorat en études du développement de l’université de Madison au Wisconsin ainsi que d’un master en économie de l’école supérieure d’économie de la fondation Getúlio Vargas au Brésil et d’une licence en économie de l’université de Brasilia.

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Catherine Pattillo est conseillère et chef de l’unité stratégie pour les pays à faible revenu au département de la stratégie, des politiques et de l'évaluation du FMI. Après avoir occupé un poste à l’université d’Oxford, elle a travaillé au département des études du FMI et sur des pays d’Afrique et des Caraïbes, où elle a été chef de mission pour la Grenade et St-Vincent-et-les-Grenadines. Elle a publié de nombreuses études sur les questions relatives aux pays à faible revenu.

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Abdelhak Senhadji est actuellement directeur adjoint au département des finances publiques du FMI. Il est notamment responsable de l’élaboration du Moniteur des finances publiques, la publication phare du FMI consacrée à la politique budgétaire. Il a dirigé et contribué à de nombreuses études. Il a récemment été co-auteur d’un ouvrage publié par MIT Press sur la politique budgétaire au lendemain des crises. Il est titulaire de diplômes d’économie et d’économétrie de l’université de Bruxelles et d’un doctorat en économie de l’université de Pennsylvanie.



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