La mondialisation aide à diffuser les connaissances et la technologie à travers les frontières
Par Aqib Aslam, Johannes Eugster, Giang Ho, Florence Jaumotte, Carolina Osorio-Buitron et Roberto Piazza9 avril 2018
L'intelligence artificielle est utilisée dans un hôpital de Qingdao en Chine : la diffusion des connaissances et de la technologie entre les pays s'est intensifiée (photo : Sipa Asia/Sipa USA/Newscom).
Il a fallu 1 000 ans pour que le papier, inventé en Chine, arrive jusqu'en Europe. De nos jours, dans un monde plus intégré, les innovations se diffusent plus rapidement et par de nombreux canaux.
Nos recherches dans le chapitre 4 de l'édition d'avril 2018 des Perspectives de l'économie mondiale étudient plus en détail la manière dont la technologie voyage entre les pays. Nous constatons que la diffusion des connaissances et de la technologie à travers les frontières s'est intensifiée du fait de la mondialisation. Dans les pays émergents, les transferts de technologie ont aidé à stimuler l'innovation et la productivité, même pendant la période récente de mollesse de la croissance mondiale de la productivité.
L'importance de la diffusion technologique
Le progrès technologique est un facteur essentiel des améliorations des revenus et du niveau de vie. Cependant, les nouvelles connaissances et technologies ne se développent pas nécessairement partout et en même temps. Ainsi, la manière dont la technologie se répand d'un pays à l'autre est cruciale pour générer de la croissance et la partager entre les pays.
En effet, entre 1995 et 2017, les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni (le G-5) ont produit trois quarts de toutes les innovations brevetées dans le monde. Les autres grands pays — notamment la Chine et la Corée — ont commencé à apporter des contributions significatives au stock mondial de connaissances ces dernières années, rejoignant ainsi les cinq grands leaders dans un certain nombre de secteurs. Même si cela indique qu'à l'avenir, ces pays seront aussi des sources importantes de nouvelles technologies, pendant la période étudiée, le G-5 a constitué la majeure partie de la frontière technologique.
Pour suivre les flux de connaissances, notre étude utilise la mesure dans laquelle les pays citent, comme connaissances antérieures dans leurs propres demandes de brevets, les innovations brevetées par les chefs de file technologiques. Le graphique ci-dessous donne une représentation de ces liens internationaux en matière de connaissances. Deux caractéristiques sautent aux yeux. Premièrement, tandis qu'en 1995, les États-Unis, l'Europe et le Japon dominaient les citations mondiales de brevets, la Chine et la Corée (représentées ensemble comme «autre Asie») ont de plus en plus utilisé le stock mondial de connaissances, mesuré par leurs citations de brevets. Deuxièmement, les liens en matière de connaissances se sont intensifiés en général, à la fois au sein des régions (flèches rouges) et entre les régions (flèches bleues). Une autre façon de mesurer à quel point les connaissances étrangères sont disponibles pour être utilisées dans le pays est de considérer l'intensité du commerce international avec les leaders technologiques — ce que fait également notre étude.
La mondialisation dope le développement technologique
L'intensité croissante des flux mondiaux de connaissances indique que les avantages de la mondialisation sont importants. Tandis que l'on a beaucoup critiqué la mondialisation pour ses éventuels effets secondaires négatifs, notre étude démontre que la mondialisation a amplifié la diffusion internationale de la technologie de deux manières. Premièrement, la mondialisation permet aux pays d'avoir plus facilement accès aux connaissances étrangères. Deuxièmement, elle renforce la concurrence internationale — notamment du fait de l'essor des entreprises des pays émergents — et cela incite plus les entreprises à innover et à adopter les technologies étrangères.
Les effets positifs ont été particulièrement forts dans les pays émergents, qui ont de plus en plus utilisé les connaissances étrangères et les technologies disponibles pour stimuler leur capacité d'innovation et la croissance de leur productivité du travail. Par exemple, en 2004–14, les flux de connaissances des chefs de file technologiques pourraient avoir généré, pour le pays-secteur moyen, environ 0,7 point de croissance de la productivité du travail par an. Cela représente environ 40 % de la croissance moyenne constatée de la productivité entre 2004 et 2014. Nous constatons que la participation croissante des pays émergents aux chaînes d'approvisionnement mondiales des entreprises multinationales a été un facteur important expliquant la hausse de la capacité d'innovation de ces pays, même si toutes les entreprises n'en ont pas profité car les multinationales réaffectent parfois certaines activités d'innovation dans d'autres parties de la chaîne de valeur mondiale.
L'intensification des transferts de connaissances et de technologie dans les pays émergents a partiellement compensé les effets du ralentissement récent de l'innovation à la frontière technologique et a favorisé la convergence des revenus dans beaucoup de pays émergents. À l'inverse, les pays avancés ont été plus touchés par le ralentissement technologique à la frontière.
Enfin, notre étude révèle que les leaders technologiques eux-mêmes profitent réciproquement de leurs innovations. Cela indique qu'à l'avenir, comme la Chine et la Corée contribuent de plus en plus à l'expansion de la frontière technologique, il serait possible d'observer des retombées positives de ces nouveaux pays innovants sur les innovateurs traditionnels. Les connaissances et la technologie ne circulent pas que dans une seule direction.
Répartir les savoir-faire
La mondialisation a un avantage essentiel — elle stimule la diffusion des connaissances et de la technologie, ce qui a aidé à répartir le potentiel de croissance entre les pays. Mais en soi, l'interconnexion n'est pas suffisante. Pour assimiler des connaissances étrangères et pouvoir en tirer parti, il convient souvent d'avoir des savoir-faire en science et en ingénierie. Il est donc essentiel d'investir nationalement dans l'éducation, le capital humain et la recherche et le développement pour développer les capacités nécessaires pour absorber et utiliser efficacement les connaissances étrangères. Il est aussi nécessaire d'offrir une protection et un respect adéquats des droits de propriété intellectuelle — dans le pays et à l'international — pour préserver la capacité qu'ont les innovateurs à recouvrer les coûts tout en garantissant que les nouvelles connaissances soutiendront la croissance dans le monde.
Les dirigeants doivent aussi s'assurer que les progrès de la croissance tirés de la mondialisation et de l'innovation technologique soient largement partagés dans la population, notamment en garantissant que les entreprises innovantes n'exploitent pas les technologies nouvellement acquises pour s'arroger un contrôle excessif sur un marché, aux dépens des consommateurs.
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Aqib Aslam est économiste dans la division études économiques internationales du département des études du Fonds monétaire international, après avoir travaillé au département Europe et au département des finances publiques. Avant de rejoindre le FMI en 2010, il a travaillé chez Goldman Sachs International, à la Banque d'Angleterre et au service économique du gouvernement britannique, tout en préparant un doctorat à l'Université de Cambridge. Ses recherches portent notamment sur la macroéconomie et l'économétrie appliquées.
Johannes Eugster est économiste dans la division surveillance multilatérale du département des études du Fonds monétaire international et travaille surtout sur les retombées internationales et les questions liées au G-20. Il travaillait précédemment au département Europe et au département de la stratégie, des politiques et de l'évaluation. Ses recherches portent sur des sujets liés aux déséquilibres internationaux, aux retombées économiques et aux effets des réformes structurelles. Il est titulaire d'un doctorat d'économie de l'Institut des hautes études de Genève.
Giang Ho est économiste au département des études du Fonds monétaire international. Elle est titulaire d'un doctorat de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Ses recherches portent principalement sur les domaines de la macroéconomie appliquée, notamment la croissance, la productivité et le marché du travail.
Florence Jaumotte est économiste principale au département des études du FMI. Elle a travaillé à la division surveillance multilatérale et à la division études économiques internationales du département des études, ainsi que dans un certain nombre d'équipes pays. Ses recherches sont axées sur les institutions et les politiques du marché du travail, les inégalités de revenu et la macroéconomie des économies ouvertes. Auparavant, elle travaillait au département des affaires économiques de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à Paris. Elle a obtenu son doctorat en économie à l'Université d'Harvard.
Carolina Osorio-Buitron travaille actuellement comme économiste au département des études du FMI. Elle est titulaire d'un doctorat d'économie de l'Université d'Oxford. Ses recherches portent sur l'économie internationale et financière. Son programme actuel de recherche porte sur les retombées internationales des politiques des pays avancés. Avant de rejoindre le FMI, Carolina était économiste à la Banque centrale de Colombie.
Roberto Piazza est économiste au département des études du Fonds monétaire international (FMI), où il travaille à la division surveillance multilatérale. Avant cela, il travaillait dans le département des marchés monétaires et de capitaux et le département Moyen-Orient et Asie Centrale du FMI, ainsi qu'à la Banque d'Italie. Il est titulaire d'un doctorat d'économie de l'Université du Minnesota. Ses recherches portent sur la théorie de la croissance, la politique monétaire et la macroéconomie internationale.