Les échanges avec la Chine dopent la productivité
Par JaeBin Ahn et Romain Duval24 mai 2017
Dans les pays avancés, les partisans du protectionnisme accusent l’accélération des échanges avec la Chine d’être responsable de la destruction des emplois, et des chercheurs influents ont apporté des preuves empiriques pour étayer leurs arguments. Or on oublie souvent que les échanges avec la Chine présentent des avantages, notamment une croissance plus rapide de la productivité, principal moyen d’améliorer le niveau de vie. Il y a donc lieu de penser que plutôt que de créer de nouveaux obstacles aux échanges, les pays avancées devraient continuer d’ouvrir leurs marchés, tout en agissant beaucoup plus pour aider ceux qui ont perdu leur emploi du fait de la concurrence étrangère.
Nos dernières recherches révèlent que dans les pays avancés :
• la croissance de la productivité a été plus rapide dans les pays et les secteurs les plus exposés à l’ouverture commerciale de la Chine, toutes choses égales par ailleurs ;
• l’intégration de la Chine dans le commerce mondial est responsable d’une hausse de la productivité de pas moins de 12 % en 12 ans, de 1995 à 2007.
Les échanges améliorent la productivité de trois façons importantes. Premièrement, les importations accroissent les pressions concurrentielles sur les entreprises locales, tout en leur donnant accès à des intrants plus nombreux et de meilleure qualité. Deuxièmement, les exportateurs accroissent leur productivité en apprenant de leurs clients à l’étranger et en affrontant la concurrence des producteurs étrangers. Troisièmement, les échanges créent des gains de productivité au sein des entreprises, mais aussi favorisent une réaffectation des ressources entre les entreprises, en faveur des plus productives.
Nous avons chiffré dans notre étude ces trois améliorations simultanément à partir de données sur la productivité et l’emploi, ainsi que sur les exportations (par pays de destination) et les exportations (par pays d’origine) dans 18 secteurs manufacturiers et non manufacturiers de 18 pays avancés. Les secteurs étudiés appartenaient à des catégories générales comme le textile et le matériel de transport.
Une lente reprise
Les échanges avec la Chine ont progressé régulièrement entre le milieu des années 90 et le milieu de la première décennie 2000, puis ont reculé du fait de la crise financière mondiale, et n’ont repris que lentement depuis, en particulier du côté des importations. Nous avons calculé que ces exportations et ces importations ont pu représenter 1,9 % environ de la hausse globale de 15,6 % de la productivité totale des facteurs—la productivité globale du travail et du capital, qui tient compte d’éléments tels que la technologie—dans le secteur type des pays avancés entre 1995 et 2007. Ce chiffre est élevé puisqu’il représente de l’ordre de 12 % de la hausse de la productivité totale dans le secteur type. De plus, nous estimons que l’ouverture aux importations chinoises et l’accès au marché chinois sont chacun responsable de la moitié environ de cette progression.
Ces gains de productivité ont cependant pour corollaire une destruction nette d’emplois. Nous avons constaté que dans les pays avancés, les pertes d’emplois dues à la hausse des importations en provenance de Chine compensent largement les gains liés à la hausse des exportations vers la Chine. Résultat : une destruction nette d’emplois de 0,8 % environ de l’emploi total dans le secteur type entre 1995 et 2007.
Recueillir les fruits des échanges, en atténuer les effets négatifs
Si la Chine ne s’était pas ouverte aux échanges internationaux, le ralentissement de la productivité déjà engagé avant la crise financière de 2008–2009 aurait été encore plus marqué. Pour les décideurs des pays avancés, les conséquences sont claires : ils doivent poursuivre l’ouverture aux échanges pour aider à relancer une croissance très médiocre de la productivité, la productivité étant un facteur fondamental d’amélioration du niveau de vie, mais aussi s’attaquer plus résolument aux bouleversements du marché de l’emploi qui l’accompagnent, en particulier en aidant les travailleurs licenciés à trouver de nouveaux emplois ou à changer de secteur. Cela passera par des politiques actives du marché du travail bien conçues, notamment des reconversions, des aides à la recherche d’emploi et des aides à la réinstallation, mais aussi par des programmes de formation continue pour accroître la faculté d’adaptation des travailleurs face à l’évolution des besoins du marché de l’emploi, qu’elle soit due au commerce, aux progrès de la technologie ou à d’autres facteurs.
On observe aujourd’hui un ralentissement des échanges de la Chine avec les pays avancés à mesure que le pays s’intègre plus complètement à l’économie mondiale. C’est pourquoi les gains de productivité que les pays avancés tirent des échanges avec la Chine se dissipent, tout comme ceux des entreprises chinoises. La suppression des derniers obstacles aux échanges, tant dans les pays avancés que dans les pays émergents, y compris en Chine, donnerait un coup de fouet à la productivité des entreprises dont les deux catégories de pays ont bien besoin. De nouvelles restrictions, en revanche, risquent de faire perdre une partie des gains de productivité obtenus jusqu’à présent.
Distinguer les causes et les effets |
Si le commerce stimulait la productivité, les pays et les secteurs les plus exposés à la montée en puissance de la Chine dans les échanges internationaux verraient leur productivité augmenter plus rapidement, toutes choses égales par ailleurs. Or il est difficile de trouver un lien de cause à effet entre le commerce et la croissance. Ainsi, il se peut que les pays et les secteurs dont la croissance de la productivité a été la plus rapide aient eu besoin de plus d’intrants et aient davantage exporté vers les marchés étrangers à mesure qu’ils devenaient plus compétitifs. Si c’était effectivement le cas, le développement des échanges avec la Chine s’expliquerait au moins en partie par la hausse de la productivité, et n’en serait pas à l’origine. On donnerait donc trop d’importance à ses avantages. Nous avons répondu à cette épineuse question en deux temps. En premier lieu, nous avons distingué la hausse des échanges avec la Chine due à l’ouverture du pays au commerce de celle due à la demande accrue des pays avancés. Pourquoi cette démarche ? Prenons l’exemple hypothétique des exportations chinoises de textiles vers l’Italie. Intuitivement, on pourrait penser que plus le taux de pénétration de la Chine dans tous les pays avancés est élevé, plus il est probable que la hausse des importations chinoises en Italie s’explique par la compétitivité accrue de la Chine plutôt que par la hausse de la demande italienne. Nous avons suivi la même intuition pour expliquer les exportations vers la Chine : plus la hausse des exportations d’un pays vers la Chine dans un secteur s’explique par la hausse des exportations d’autres pays avancés, plus il est probable qu’elle soit due à l’appétit croissant de la Chine pour des importations dans ce secteur. Nous avons ensuite estimé l’effet de cette intégration de la Chine dans le commerce mondial, induite par la libéralisation des échanges, sur la productivité industrielle des pays avancés. Nous avons alors constaté que les exportations vers la Chine, tout comme les importations depuis ce pays, ont fait progresser la productivité sectorielle dans les pays avancés. |
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JaeBin Ahn est économiste à la Division économie ouverte et macroéconomie du Département des études du FMI, et s’intéresse à l’évaluation du secteur extérieur. Il était auparavant au Département Asie et Pacifique du FMI, où il couvrait l’Indonésie et la Malaisie. Avant de rejoindre le programme-économistes du FMI, il a été stagiaire doctorant à la Federal Reserve Bank of New York. Ses recherches portent sur le commerce international et la finance, et plus particulièrement les conséquences macroéconomiques des théories et des données microéconomiques. Il est titulaire d’un doctorat en économie de Columbia University et d’un master en économie et d’une licence de sciences en science des matériaux de Yonsei University à Seoul (Corée du Sud).
Romain Duval est conseiller au sein du Département des études du FMI, où il pilote le programme consacré aux réformes structurelles. Il est l’auteur de nombreuses publications dans des revues universitaires et de politique économique sur des thèmes très divers tels que les réformes structurelles, la croissance, le chômage, l’économie politique des réformes, les cycles économiques, la politique monétaire, les taux de change et le changement climatique. Il est titulaire d’un doctorat en économie.