Décapiter l’hydre : le FMI à l’assaut de la corruption
Par Alistair Thomson18 mai 2017
La Corruption—l’utilisation abusive de fonctions publiques à des fins privées – est un monstre à plusieurs têtes. Bien qu’elle soit omniprésente dans de nombreux pays, il est rare que la presse en fasse grand cas, et plus rare encore que des poursuites aboutissent. Pourtant, son coût cumulé est accablant. D’après certaines estimations, la pratique des pots-de-vin représente chaque année mille milliards de dollars, et l’ensemble de la corruption un montant bien plus considérable encore. Si le chiffrage du phénomène est l’objet de débats, son importance ne l’est pas.
Les premières victimes de ce fléau sont les personnes les plus démunies. La corruption siphonne les ressources publiques et plombe la croissance économique de plusieurs manières. D’après les travaux des économistes du FMI et de plusieurs autres chercheurs, la corruption va de pair avec une plus forte mortalité infantile et un niveau plus faible de dépenses publiques consacrées à l’éducation et à la santé – autant de maux qui pénalisent surtout les pauvres. Ainsi, la corruption exacerbe les inégalités. Par effet domino, cette interaction entre la corruption et les inégalités tire la politique vers le populisme, comme l’a récemment conclu l’organisation de lutte anti-corruption Transparency International.
«Quand la corruption est systémique, elle mine la capacité de l’État à mobiliser des investissements», a expliqué Sean Hagan, le Conseiller juridique du FMI au Réseau parlementaire mondial lors des Réunions de printemps du FMI. La corruption mine les établissements et systèmes financiers, freine l’investissement étranger et perturbe les flux internationaux de capitaux. C’est précisément à cause de ces menaces contre la croissance économique et la stabilité financière que le FMI collabore avec les pays membres pour améliorer les institutions publiques et les cadres juridiques, comme le soulignait il y a un an, une note de synthèse des services du FMI consacrée au coût de la corruption et aux mesures pour la contenir.
L’action du FMI pour lutter contre la corruption prend plusieurs formes :
• Lorsque les répercussions sont profondes, les experts juridiques et financiers du FMI dispensent des recommandations visant spécifiquement la lutte contre la corruption dans le cadre des «bilans de santé» annuels que constituent les consultations au titre de l’Article IV et des programmes de prêt. Des programmes ciblant les pays particulièrement touchés dispensent de l’assistance technique et des formations à l’intention des agents publics afin de prévenir le recyclage du produit de la corruption. Ce travail de lutte contre le blanchiment est également systématique dans l’Evaluation du secteur financier, à laquelle les pays du G20 – qui représentent quelque 85 % de l’économie mondiale – se sont engagés à se soumettre tous les cinq ans.
• Nos experts budgétaires et financiers aident les pays à améliorer la gestion de leurs finances publiques, la collecte de l’impôt et la transparence des dépenses publiques – permettant aux parlements et aux citoyens de demander des comptes aux gouvernements. Nous avons conçu une gamme d’outils d’évaluation : Évaluation de la transparence des finances publiques (FTE), Outil diagnostique d’évaluation de l’administration fiscale (TADAT), Évaluation de la gestion de l’investissement public (PIMA) et, en collaboration avec la Banque mondiale et d’autres institutions, nous avons élaboré le Cadre d’évaluation de la gestion des finances publiques (cadre PEFA) ainsi que l’ Outil d’évaluation de la performance de gestion de la dette (DeMPA).
• Le FMI contribue également à des initiatives internationales telles que l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives et le Groupe de travail anti-corruption du G20, auxquelles il apporte son expertise, sa connaissance des pays et sa dimension mondiale.
• Nos statisticiens aident les pays membres à améliorer la qualité de leurs statistiques sur l’économie nationale et la dissémination de leurs données, notamment par l’établissement de normes mondiales, contribuant ainsi à renforcer la gouvernance et la transparence.
• Les experts du FMI aident les banques centrales à améliorer leurs dispositifs de gouvernance, les contrôles internes et la transparence. En Albanie et au Bangladesh, par exemple, des contrôles plus rigoureux ont été mis en place pour mettre un terme aux vols dont avait fait l’objet la banque centrale. Lorsque nous prêtons des fonds, nos spécialistes financiers procèdent à une «évaluation des sauvegardes» pour s’assurer de la sécurité et de la transparence de leur gestion par la banque centrale.
Ces efforts portent leurs fruits. Avec le soutien du FMI, le Kenya, l’Indonésie et l’Ukraine, par exemple, ont amélioré leurs cadres législatifs de lutte contre la corruption et leurs fonctions de mise en application des lois. En 2014, nous avons sursis à des décaissements au profit du Mali en raison de l’achat hors-budget d’un nouvel avion présidentiel, ce qui a donné lieu à un audit qui s’est soldé par l’annulation de plusieurs contrats et l’instauration de procédures plus rigoureuses pour le budget et les marchés publics. En 2016 au Mozambique, après la découverte d’une dette extérieure non déclarée dépassant largement un milliard de dollars, nous avons suspendu un prêt au profit de ce pays dans l’attente d’une amélioration des audits et de la transparence. Au niveau mondial, pour empêcher le recours à des sociétés-écran et à des fiducies visant à dissimuler le véritable propriétaire d’actifs et de comptes, nous avons incorporé à notre travail régulier de lutte contre le blanchiment les normes élaborées par le Groupe d’action financière, afin que le produit des actes de corruption soit plus facile à débusquer et à suivre à la trace.
Sans préjuger de tous ces efforts, aux réunions de printemps du FMI en avril dernier, nos pays membres nous ont adressé un message sans équivoque : «Il faut insister!». Comme l’ont montré les cas récents de la Corée et du Brésil, la corruption peut atteindre les niveaux les plus élevés de l’État, et les moyens de se livrer à la corruption et d’en dissimuler les fruits ne cessent d’évoluer, à une époque où des innovations technologiques naissent tous les jours.
Le coût exorbitant de la corruption et la menace mondiale représentée par des groupes terroristes tels que Daech et Al Quaeda financés par l’argent sale justifient le caractère urgent de cette action. «Il est impératif que le FMI joue un rôle moteur dans la lutte contre la corruption», a déclaré le Secrétaire au Trésor américain, Stephen Mnuchin.
Le phénomène que constitue la corruption ne cesse d’évoluer, et notre action n’est pas statique. Répondant à la sollicitation exprimée il y a un an par ses membres, le FMI procède actuellement à une remise à plat de son mode d’action au regard de la corruption et d’un certain nombre d’autres aspects de la gouvernance. Nous étudions les moyens de collaborer plus étroitement avec d’autres organisations – par exemple en associant les experts de Transparency International à nos Évaluations de la transparence des finances publiques.
La corruption est comme l’Hydre de Lerne : si rien n’est fait pour la contenir, chaque fois qu’on tranchera une de ses têtes, il en poussera deux nouvelles à la place. En collaboration avec nos membres et d’autres partenaires, nous sommes déterminés à redoubler nos efforts de lutte : le tribut qu’elle impose à la croissance mondiale, aux économies des pays et aux citoyens en font un combat prioritaire.
* * * * * *
Alistair Thomson est Chef adjoint des relations avec les médias, au sein du Département de la communication du FMI. Avant de rejoindre le FMI en 2009, il a été pendant plus de dix ans correspondant de Reuters à l’étranger, où il portait un regard aigu sur les questions de développement international. Depuis ses postes successifs en Belgique, en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud et au Sénégal il a couvert de nombreux aspects de l’actualité : économie et commerce, sports, politiques et conflits armés. Originaire du Royaume-Uni, Alistair Thomson est titulaire d’une maîtrise de relations internationales de l’Université De Montfort.