Les cinq clés d’une politique budgétaire intelligente
Par Vitor Gaspar et Luc EyraudAffiché le 9 avril 2017 par le blog du FMI - iMFdirect
Nous vivons dans un monde où l’économie change radicalement. La rapidité des innovations technologiques a fondamentalement bouleversé nos modes de vie et de travail. La finance, les échanges, les migrations et les télécommunications à l’échelle internationale ont rendu les pays plus interconnectés que jamais, et exposé les travailleurs à une concurrence étrangère croissante. Ces mutations ont apporté des avantages immenses, mais ont aussi installé un sentiment accru d’incertitude et d’insécurité, en particulier dans les pays avancés.
La situation actuelle exige des solutions nouvelles et plus novatrices, ce que le FMI appelle des politiques budgétaires intelligentes. Nous entendons par là des politiques qui facilitent le changement, exploitent son potentiel de croissance et protègent ceux qui en souffrent. Dans le même temps, un endettement excessif et des dettes publiques qui atteignent des niveaux record ont limité les moyens financiers à la disposition des pouvoirs publics. La politique budgétaire doit donc faire plus avec moins. Fort heureusement, les chercheurs et les décideurs ont pris conscience que la panoplie d’outils budgétaires est plus large qu’ils ne le pensaient, et les outils plus puissants. Cinq principes directeurs permettent d’ébaucher les contours de ces politiques budgétaires intelligentes, qui sont décrites au chapitre un de l’édition d’avril 2017 du Moniteur des finances publiques du FMI.
1. La politique budgétaire doit être anticyclique
La politique budgétaire peut servir à lisser le cycle conjoncturel. C’est ce qu’on appelle une politique anticyclique. Lorsque les temps sont difficiles, on réduit les impôts et on augmente les dépenses pour remplir les poches des entreprises et des consommateurs et en période faste, on diminue les dépenses et on relève les impôts. La politique budgétaire peut aujourd’hui jouer un plus grand rôle qu’autrefois dans la stabilisation de l’économie car dans de nombreux pays avancés, les banques centrales ont diminué les taux d’intérêts jusqu’à les rendre très proches de zéro, et les limites de la politique monétaire sont mises à l’épreuve.
En temps normal, une politique budgétaire anticyclique repose sur des « stabilisateurs automatiques » c’est-à-dire des dépenses et des recettes qui s’adaptent aux fluctuations de l’économie. L’assurance chômage en est un exemple. En période de ralentissement économique, les travailleurs qui perdent leur emploi peuvent automatiquement prétendre à des prestations sociales. Il arrive cependant que ces stabilisateurs automatiques soient insuffisants, dans les pays comme le Japon qui connaissent un ralentissement prolongé et où les taux d’intérêt ne peuvent pas baisser davantage. Des mesures temporaires de relance budgétaire peuvent alors faire sortir de la spirale d’une croissance faible, d’une inflation basse et d’une dette élevée.
À l’autre extrême, les pays qui ont peu de capacité inemployée doivent généralement rapporter les mesures de soutien budgétaire. Les États-Unis par exemple, qui sont proches du plein-emploi, pourraient commencer à réduire leur déficit budgétaire l’année prochaine de façon à orienter fermement la dette publique à la baisse.
Il n’est pourtant pas toujours possible d’utiliser la politique budgétaire pour lisser le cycle conjoncturel. Certains pays doivent s’attacher à réduire les déficits publics, quelle que soit la conjoncture. Ainsi, les pays exportateurs de pétrole comme l’Arabie saoudite ont été durement touchés par une baisse de plus de 50 % du cours du brut par rapport à son cours maximal en 2011. Ces pays doivent réduire leurs dépenses pour tenir compte de la baisse des recettes. Ils ont déjà commencé à faire cet ajustement : collectivement, leur déficit budgétaire devrait diminuer d’environ 150 milliards de dollars en 2017 et 2018.
2. La politique budgétaire doit favoriser la croissance
Les pays peuvent prendre des mesures qui jouent sur la fiscalité et les dépenses pour alimenter les trois moteurs de la croissance économique à long terme : le capital (machines, routes et ordinateurs par exemple), le travail et la productivité (combien chaque travailleur produit par heure).
• Capital. Beaucoup de pays ont d’excellentes raisons d’accroître l’investissement public car le coût de l’emprunt est faible et les infrastructures souffrent de grandes défaillances.
• Travail. Les pays devraient encourager la création d’emplois et l’activité. Les pays avancés pourraient réduire la fiscalité sur les salaires là où elle est élevée, recourir davantage à des politiques d’aide à la recherche d’emploi et de formation, et adopter des mesures de dépenses ciblées sur des groupes vulnérables comme les travailleurs peu qualifiés et les personnes âgées. Les pays émergents et les pays en développement pourraient améliorer l’accès à la santé et l’éducation.
• Productivité. Une panoplie de mesures peut favoriser la productivité, notamment une amélioration du système fiscal, comme le montre le chapitre 2 du Moniteur des finances publiques.
3. La politique budgétaire doit promouvoir l’inclusion
La mondialisation et les progrès de la technologie ont été les principaux moteurs de la croissance et de la convergence entre les pays. Plus d’un milliard de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté depuis le début des années 80, la plupart en Chine et en Inde. Dans le même temps, les inégalités de revenu se sont creusées dans de nombreux pays. Dans les pays avancés, les revenus de la tranche supérieure des 1 % ont connu un taux de croissance annuel près de trois fois plus élevé que ceux du reste de la population au cours des 30 dernières années.
La fiscalité et les dépenses publiques sont les moyens les plus puissants de partager les fruits de la croissance avec l’ensemble de la population. Ainsi, les transferts monétaires conditionnels (aux ménages pauvres par exemple, qui reçoivent des prestations à condition que leurs enfants se rendent dans des dispensaires ou des écoles) ont été utilisés avec succès pour réduire les inégalités dans
plusieurs pays d’Amérique latine.
La politique budgétaire doit également aider la population à participer pleinement à une économie en pleine évolution, et à s’y adapter. Un meilleur accès aux services d’éducation, de formation et de santé, ainsi qu’à une assurance sociale, peuvent aider les travailleurs à rebondir après une maladie ou la perte d’un emploi.
4. La politique budgétaire doit reposer sur de bonnes capacités fiscales
Comment les décideurs peuvent-ils appliquer cette politique budgétaire ambitieuse si la dette publique de leur pays est à un niveau historiquement élevé ? Quelles sont leurs ressources ?
Les pouvoirs publics doivent avoir une bonne capacité à imposer pour mener à bien les politiques que nous venons de décrire. La fiscalité fournit une source de revenus stable et modulable, qui est mobilisable en cas de besoin. C’est également un élément essentiel pour déterminer la capacité d’un pays à rembourser sa dette.
C’est particulièrement important pour les pays à faible revenu. On constate que près de la moitié d’entre eux ont un ratio impôts/PIB inférieur à 15 %. De plus, le paiement des intérêts absorbe souvent une grande partie de leurs recettes fiscales. Dans les pays à faible revenu, renforcer les capacités fiscales est une priorité majeure pour parvenir à un développement durable.
5. La politique budgétaire doit être prudente
La crise financière mondiale a montré que les finances publiques sont exposées à de gros risques qui sont souvent sous-estimés. Avec le sauvetage des banques défaillantes et un profond marasme économique, la dette publique des pays avancés a atteint un niveau sans précédent en temps de paix. Les gouvernements doivent mieux comprendre les risques auxquels ils sont exposés et adopter des stratégies pour les gérer. La Chine est un bon exemple de l’importance de politiques budgétaires prudentes. La dette a rapidement augmenté ces dix dernières années, plus vite que dans les autres grands pays. Les autorités ont reconnu la nécessité de ralentir le rythme de l’accumulation de la dette et de réduire les risques financiers, le tout dans le cadre d’un processus global de rééquilibrage du modèle de croissance du pays. En prenant en compte ces risques dès le départ, on améliore les perspectives d’une croissance durable à moyen et long termes. En Chine, la politique budgétaire peut jouer un rôle important en facilitant le processus d’ajustement. Des mesures significatives ont été prises ou sont en train de l’être dans les domaines de la gestion des finances publiques et des relations entre les différents niveaux de l’administration.
Globalement, on demande à la politique budgétaire de faire plus avec moins. Le Moniteur des finances publiques propose cinq principes pour guider les politiques dans ce climat difficile. Il est encore possible d’adopter des politiques plus anticycliques, inclusives, résolues, prudentes et propices à la croissance dans le monde entier.
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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé plusieurs postes de direction au Banco de Portugal, notamment en dernier lieu celui de Conseiller spécial. Il a été Ministre d’État et Ministre des finances du Portugal entre 2011 et 2013. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.
Luc Eyraud est Chef de division adjoint au Département des finances publiques du FMI. Ses recherches portent principalement sur l’élaboration des règles budgétaires, la décentralisation budgétaire, la fiscalité du patrimoine et les multiplicateurs budgétaires. Avant d’entrer au FMI, il était fonctionnaire du Trésor français.