Une amélioration de la stabilité financière dans le monde, à pérenniser à l’aide d’une panoplie de mesures adaptée
Par Tobias Adrian
19 avril 2017
Le système financier mondial est devenu plus sûr et plus stable depuis notre dernière évaluation il y a six mois. L’activité économique s’est accélérée, les perspectives se sont améliorées et les espoirs de reflation grandissent. La politique monétaire et financière reste très accommodante. Enfin les nouvelles politiques à l’étude aux États-Unis rendent les investisseurs optimistes et dopent le prix des actifs. Ce sont quelques unes des conclusions qui figurent dans la dernière édition du Rapport sur la stabilité financière dans le monde du FMI.
Il est cependant important que les autorités des États-Unis, d’Europe, de Chine et d’ailleurs ne déçoivent pas les attentes des investisseurs et adoptent un arsenal de mesures adapté. Il s’agit d’éviter les déséquilibres budgétaires, de résister aux appels à un renforcement des obstacles aux échanges et de poursuivre la coopération internationale sur les règles nécessaires pour rendre le système financier plus sûr.
Des mesures bien dosées
Aux États-Unis, les autorités doivent s’assurer que les mesures visant à réformer le système fiscal encouragent les entreprises à investir dans des machines, des ordinateurs et du matériel plutôt qu’à prendre des risques financiers. Les pays émergents doivent s’attacher à renforcer la santé des entreprises et du secteur bancaire. Enfin en Europe, les décideurs doivent s’attaquer aux causes structurelles du manque de rentabilité des banques.
Penchons-nous de plus près sur les défis que doit relever chaque région.
Aux États-Unis, les débats sur la réforme de la fiscalité des entreprises, les dépenses d’investissement et la simplification réglementaire ont dopé la confiance des entreprises et des investisseurs, ce qui laisse présager une reprise des investissements qui ont fait cruellement défaut depuis plus de 15 ans.
De nombreuses entreprises qui ont les moyens d’accroître leurs investissements en capitaux ont plutôt choisi de prendre des risques financiers, en achetant des actifs financiers et en s’endettant pour verser des dividendes à leurs actionnaires par exemple. De leur côté, les entreprises des secteurs qui représentent plus de la moitié des investissements aux États-Unis—énergie, services d’utilité publique et immobilier—sont déjà très endettées. Par conséquent, un développement des investissements, même accompagné d’allégements fiscaux, pourrait alourdir davantage une dette déjà élevée.
Pourquoi cela pose-t-il un problème ?
Une forte hausse des taux d’intérêt—provoquée par exemple par un creusement des déficits budgétaires—pourrait ramener la capacité des entreprises à assurer le service de leur dette à son niveau le plus bas depuis la crise financière mondiale. Dans un tel scénario, les entreprises dont les actifs représentent quelque 4.000 milliards de dollars, soit près d’un quart des actifs analysés, pourraient avoir des difficultés à honorer le service de leur dette.
Une économie mondiale intégrée
Il n’y a pas qu’aux États-Unis que la situation est préoccupante. Dans une économie mondiale intégrée, tout événement dans les pays avancés se répercute sur le reste du monde. C’est pourquoi les propositions de politique économique aux États-Unis doivent viser à stimuler la croissance économique tout en évitant des déséquilibres qui pourraient avoir des conséquences négatives sur le reste du monde. Il faut donc prendre les devants et s’attaquer aux domaines dans lesquels la prise de risque semble excessive, et contribuer à assurer la solidité du bilan des entreprises.
Dans les pays émergents, le risque est qu’un revirement soudain de l’état d’esprit des marchés, tout comme un virage protectionniste mondial, provoquent des sorties de capitaux et compromettent les perspectives de croissance.
Ce scénario rend-il les pays émergents vulnérables ? Nous estimons que la dette détenue par les entreprises les plus fragiles pourrait atteindre jusqu’à 230 milliards de dollars. Les banques de certains pays devraient alors reconstituer leur volant de fonds propres et leurs provisions. Or il s’agit de banques qui voient déjà une diminution de la qualité de leurs actifs après une longue période d’expansion du crédit.
Pour protéger leurs économies, les autorités des pays émergents doivent améliorer les mécanismes de restructuration des entreprises, surveiller les vulnérabilités des entreprises et veiller à ce que les banques conservent des capacités d’amortissement confortables.
Croissance du crédit en Chine
La Chine joue un rôle fondamental dans la croissance mondiale, mais possède cependant des sources importantes de vulnérabilité. Le poids du crédit a plus que doublé dans l’économie chinoise en moins de dix ans, à plus de 200 %. Une telle envolée du crédit peut être dangereuse et plus elle dure, plus elle le devient.
Les autorités chinoises continuent d’ajuster leurs politiques pour limiter la croissance du système bancaire traditionnel et parallèle, mais doivent faire davantage pour ralentir la croissance du crédit. Il est essentiel que les autorités enregistrent des progrès et des succès pour assurer la stabilité financière mondiale.
Banques européennes
En Europe, les autorités ont renforcé le système bancaire en relevant le ratio de fonds propres et en renforçant la réglementation et la supervision. Depuis six mois, le cours des actions bancaires a monté, la courbe des rendements s’est accentuée et la reprise économique s’est consolidée.
Mais il ne faut pas s’arrêter là. Une reprise conjoncturelle a peu de chances de résoudre totalement le problème de rentabilité auquel sont confrontées de nombreuses banques européennes. Leur faible rentabilité limite leur capacité à retenir les capitaux et à résister aux chocs et augmente les risques d’instabilité financière.
Dans le Rapport sur la stabilité financière dans le monde, nous avons analysé des banques européennes dont les actifs représentent 35.000 milliards de dollars et les avons classées en trois groupes—internationales, axées sur l’Europe et nationales.
Ce sont les banques nationales qui sont confrontées aux plus grandes difficultés, près des trois quarts d’entre elles ayant enregistré de très mauvais rendements en 2016. Pour beaucoup, la « surbancarisation » pose un problème. On entend par là les banques fragiles qui ont un faible volant de fonds propres, les banques trop nombreuses à vocation régionale et à mandat restreint, ou les agences trop nombreuses et peu efficientes.
Pour surmonter ces obstacles structurels, les autorités en Europe doivent prendre des mesures encourageant à regrouper les banques, à rationaliser les agences, à réformer les modèles commerciaux des banques et à s’attaquer aux créances improductives.
Réforme réglementaire
Nous avons décrit les mesures au niveau national propres à renforcer la stabilité financière. Au niveau international, il est primordial de mener à bien le programme de réformes réglementaires, qui passe par la poursuite de la coopération et de la coordination multilatérales. L’achèvement du programme de réformes assurera la sécurité du système financier mondial et lui permettra de continuer à favoriser l’activité économique et la croissance.
Des mesures bien dosées donneront des bases solides au système financier mondial et renforceront les perspectives de croissance et de fiabilité financière qui se sont améliorées récemment. Que ce soit aux États-Unis, en Europe, en Chine ou dans les pays émergents, les autorités ont toutes un rôle à jouer.
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Tobias Adrian est Conseiller financier et Directeur du Département des marches monétaires et de capitaux du Fonds monétaire international (FMI). À ce titre, il dirige les travaux du FMI sur la surveillance du secteur financier, les politiques monétaires et macroprudentielles, la régulation financière, la gestion de la dette et les marchés de capitaux. De plus, il supervise les activités de renforcement des capacités dans les pays membres du FMI, en particulier dans les domaines du contrôle et de la réglementation des systèmes financiers, des banques centrales, des régimes monétaires et des changes et de la gestion des actifs et passifs.
Avant d’entrer au FMI, M. Adrian était Premier vice-président de la Federal Reserve Bank de New York et Directeur adjoint du Research and Statistics Group. À la Federal Reserve Bank, il a participé aux travaux sur la politique monétaire, les politiques de stabilité financière et la gestion des crises.
M. Adrian a enseigné à Princeton University et à New York University et est l’auteur de nombreuses publications dans des revues économiques et financières, notamment l’American Economic Review, le Journal of Finance, le Journal of Financial Economics et la Review of Financial Studies. Son champ de recherche recouvre l’évaluation des actifs, les établissements financiers, la politique monétaire et la stabilité financière, et plus particulièrement les conséquences globales de l’évolution des marchés de capitaux.
M. Adrian est titulaire d’un doctorat du Massachusetts Institute of Technology, d’une maîtrise de la London School of Economics, d’un Diplom de Goethe University Frankfurt et d’une maîtrise de l’Université Paris-Dauphine. Il a obtenu son diplôme de fin d’études secondaires en littérature et mathématiques à Humboldtschule Bad Homburg.