Pour la croissance : fiscalité et productivité
Par Vitor Gaspar et Laura JaramilloAffiché le 13 avril 2017 par le blog du FMI - iMFdirect
La productivité détermine notre niveau de vie. Dans l’édition d’avril 2017 du Moniteur des finances publiques, nous montrons que les pays peuvent accroître leur productivité en améliorant la conception de leur système fiscal (politique et administration). De cette manière, les entreprises prendraient leurs décisions en matière d’investissement et d’emploi pour des raisons économiques et non fiscales.
Les pays peuvent accroître sensiblement leur productivité en éliminant les obstacles qui freinent les entreprises plus productives. Parmi ces obstacles figurent des politiques économiques mal conçues, ou des marchés qui ne fonctionnent pas comme ils le devraient. Nous estimons que l’élimination de ces obstacles rehausserait, en moyenne dans l’ensemble des pays, la croissance annuelle du PIB réel d’environ 1 point sur 20 ans. Nous notons aussi que les pays émergents et les pays à faible revenu peuvent réaliser un quart de ces gains en améliorant la conception de leur politique et de leur administration fiscales.
Mieux utiliser les ressources
Les pays peuvent accroître leur productivité en s’attaquant aux obstacles qui conduisent à une mauvaise affectation des ressources. Ces obstacles empêchent les entreprises productives de se développer et permettent aux entreprises improductives de survivre.
Le contraste est frappant si l’on compare un pays moins efficient à un autre pays plus proche de la frontière de productivité mondiale. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, le pays moins efficient a plusieurs entreprises très productive. La principale différence tient au fait que le pays moins efficient a beaucoup plus d’entreprises improductives.
Comment une meilleure affectation des ressources parmi les entreprises peut-elle accroître la productivité ?
Imaginons deux entreprises qui produisent des logiciels, avec des technologies identiques, mais un comportement différent sur le plan fiscal. En raison des carences de l’administration, la première entreprise évite d’être détectée par le fisc et ne paie pas d’impôts, si bien que son coût d’usage du capital est moindre. L’autre entreprise est respectueuse de ses obligations fiscales car elle est surveillée plus étroitement par le fisc, et son coût d’usage du capital est donc plus élevé. La différence dans le coût d’usage signifie que l’entreprise frauduleuse peut se permettre d’engager des investissements dans des projets à plus faible rendement, tandis que l’entreprise qui est imposée ne peut entreprendre des investissements que dans des projets à rendement plus élevé. Dans cet exemple, la production globale serait plus élevée si le capital passait de l’entreprise non imposée à l’entreprise imposée, ce qui permettrait d’accroître l’investissement dans des projets à rendement plus élevé.
La fiscalité est importante pour la productivité
Comment en arrive-t-on à une mauvaise affectation des ressources ? Les ressources sont mal affectées lorsque les politiques publiques ou des marchés qui fonctionnent mal favorisent certaines entreprises par rapport à d’autres. Il s’agit par exemple d’incitations fiscales qui dépendent de la taille de l’entreprise ou du type d’investissement, de carences dans le recouvrement des impôts, de droits appliqués à certains biens, de réglementations des marchés de produits qui limitent l’accès aux marchés, de prêts préférentiels accordés à certaines entreprises ou de marchés financiers qui ne sont pas totalement développés. Il est très complexe de traiter toutes ces politiques et pratiques.
Le Moniteur des finances publiques explore une série de mesures fiscales qui défavorisent certaines entreprises de différentes manières, avec pour résultat une mauvaise affectation des ressources. Dans ce blog, nous nous intéressons à la fraude fiscale. Cet exemple est particulièrement important pour les pays émergents et les pays en développement à faible revenu. Il illustre clairement qu’une administration fiscale faible nuit non seulement au recouvrement des recettes, mais aussi à la productivité.
Grâce à la fraude fiscale, les entreprises fraudeuses, c’est-à-dire les entreprises qui sont inscrites auprès du fisc mais sous-déclarent leurs ventes aux fins de l’impôt, bénéficient d’une subvention implicite dont le montant peut être élevé et qui leur permet de rester en activité malgré la faiblesse de leur productivité. En conséquence, ces entreprises obtiennent une part de marché même si elles sont moins productives, ce qui réduit la part de marché des entreprises plus productives qui paient leurs impôts.
Nos résultats empiriques montrent qu’une administration de l’impôt plus solide réduit le nombre d’entreprises fraudeuses. Sans subvention implicite, les entreprises fraudeuses moins productives, incapable de faire face à la concurrence, feront faillite. Cela permettra aux entreprises productives qui paient leurs impôts d’accroître leur part de marché et d’absorber de plus grandes quantités de travail et de capital, ce qui accroît la productivité globale.
Nos estimations montrent que, dans les pays émergents et les pays en développement à faible revenu, la productivité globale augmenterait de ½ à 1 point si l’écart de productivité entre les entreprises qui paient leurs impôts et les entreprises fraudeuses était comblés.
Tous les pays ont beaucoup à gagner de l’élimination des politiques et des pratiques qui empêchent d’affecter les ressources là où elles seront les plus productives. La modernisation du système fiscal peut jouer un rôle important à cet égard.
******
Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé plusieurs postes de direction au Banco de Portugal, notamment en dernier lieu celui de Conseiller spécial. Il a été Ministre d’État et des finances du Portugal entre 2011 et 2013. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar détient un doctorat et un diplôme postdoctoral en économie de l’Universidade Nova de Lisboa; il a également fait des études à l’Universidade Católica Portuguesa.
Laura Jaramillo est Chef de division adjoint de la Division opérations budgétaires II du Département des finances publiques du FMI. Depuis qu’elle a rejoint le FMI en 2002, elle a travaillé sur un large éventail de pays, notamment d’Afrique, d’Europe et d’Amérique latine. Elle a travaillé aussi au Ministère des finances de la Colombie de 1998 à 2000. Elle a effectué ses études post-licence à l’université de Princeton et son premier cycle à la Universidad Externado de Colombia et à Sciences Po.