Pays émergents et pays en développement : pérenniser la croissance dans une conjoncture extérieure moins favorable
Par Bertrand Gruss, Malhar Nabar et Marcos Poplawski-RibeiroAffiché le 10 avril 2017 par le blog du FMI - iMFdirect
Il est fort probable que vous lisiez ce blog sur un smartphone ou une tablette assemblés dans un pays émergent, en buvant un thé qui a sans doute été cultivé au Sri Lanka ou au Kenya. Il se peut même que vous vous trouviez dans un avion en route vers Shanghai, Sao Paulo ou Saint-Pétersbourg.
Nous pourrions continuer ainsi longtemps. Nous nous contenterons de quelques exemples proches, qui montrent aisément que les pays émergents et les pays en développement sont omniprésents dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, et que leur rôle est devenu plus important avec le temps.
L’amélioration des cadres de politique économique et les réformes structurelles observées dans les pays émergents et les pays en développement ces vingt dernières années ont été essentielles dans cette transformation. Nous montrons cependant dans le chapitre 2 de l’édition d’avril 2017 des Perspectives de l’économie mondiale que la conjoncture extérieure a également joué un rôle dans l’expansion de ces pays.
Ceux-ci sont aujourd’hui confrontés à un contexte extérieur sans doute plus complexe que celui auquel ils s’étaient habitués ces dernières décennies. Cependant, malgré cette conjoncture moins favorable, ils peuvent encore amplifier l’élan de croissance à condition de prendre des mesures bien dosées et de continuer à renforcer leur cadre institutionnel.
Rôle de la conjoncture extérieure
Les pays émergents et les pays en développement représentent aujourd’hui près de 80 % de la croissance économique mondiale. Leur part a ainsi quasiment doublé en vingt ans. Leur rôle dans l’économie mondiale ne se limite pas à être des centres de production ou des pôles commerciaux qui conditionnent et expédient des produits aux pays avancés. Ils sont aussi la destination finale de plus en plus importante de biens et services de consommation, et sont responsables aujourd’hui de près de 85 % de la croissance de la consommation mondiale, plus de deux fois plus que dans les années 90.
Depuis cette époque, ces économies se sont davantage intégrées dans le système commercial mondial et les marchés de capitaux internationaux. Durant ce processus, le prix relatif de leurs exportations et de leurs importations, la demande extérieure, et surtout la situation financière internationale, ont de plus en plus favorisé la croissance de leur revenu réel par habitant.
Notre étude montre ainsi qu’un tiers environ de la hausse de 1½ point de pourcentage du taux de croissance moyen du revenu par habitant depuis 2005, par rapport à la période 1995-2004, peut s’expliquer par les entrées accrues de capitaux. Avec le temps, la demande d’exportations d’autres pays émergents et d’autres pays en développement est elle aussi devenue un facteur plus puissant de la croissance à moyen terme de ces pays.
Au-delà des chiffres, la conjoncture extérieure a également eu des répercussions sur la nature du processus de croissance de ces pays. Plusieurs ont connu des épisodes d’accélération et d’inversion de la croissance accompagnés de changements durables de leur taux de croissance. Il semble que ces épisodes aient eu un effet prolongé sur le revenu par habitant. On voit dans ce chapitre qu’une conjoncture extérieure favorable augmente les chances d’accélérations de la croissance, et diminue les risques de revirements.
La croissance dans un contexte extérieur plus complexe
Les pays émergents et les pays en développement ont bénéficié de conditions extérieures exceptionnellement favorables sur de longues périodes après 2000, caractérisées par une forte demande extérieure, des entrées de capitaux relativement abondantes et une remontée des cours des produits de base.
Depuis quelques années cependant, l’environnement extérieur de ces pays est devenu plus complexe. Les pays avancés se sont remis lentement de la crise, ce qui a affaibli la demande d’exportations provenant de pays émergents et de pays en développement. La Chine, qui réoriente son économie vers la consommation et les services, a moins fait appel aux importations de matières premières. Enfin, plus généralement, le cycle des produits de base s’est inversé depuis 2014, ce qui a réduit le taux de croissance des exportateurs de matières premières.
Certaines inflexions de l’environnement extérieur pourraient perdurer. Il faut ajouter à tous ces facteurs un risque de protectionnisme dans les pays avancés, et un durcissement général des conditions de financement extérieur qui accompagne la normalisation de la politique monétaire américaine. L’élan de croissance impulsé par la conjoncture extérieure risque donc de moins se faire sentir dans les pays émergents et les pays en développement que par le passé.
Des possibilités de convergence
En dépit de ce contexte plus complexe, ce chapitre montre que ces pays peuvent malgré tout profiter du ralentissement de la dynamique de croissance provoqué par la conjoncture extérieure s’ils renforcent leur cadre institutionnel, protègent l’intégration commerciale, permettent un assouplissement des taux de change et limitent les vulnérabilités liées aux dettes publiques et aux déficits des comptes courants élevés.
Certaines de ces mesures peuvent aussi directement stimuler la croissance dans les pays émergents et les pays en développement, indépendamment de l’évolution de la conjoncture extérieure. En effet, 90 % de ces pays ayant un revenu par habitant représentant moins de la moitié de celui des États-Unis, ils disposent encore d’une marge de manœuvre considérable pour bénéficier d’une convergence et d’une croissance de rattrapage.
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Bertrand Gruss est économiste à la Division études économiques mondiales au Département des études du FMI. Il a auparavant travaillé au Département des finances publiques, au Département Europe et au Département Hémisphère occidental du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a travaillé à la banque centrale de l’Uruguay. Il s’intéresse aux liens macrofinanciers, aux déterminants de l’autonomie de la politique monétaire, aux cours des produits de base et aux effets de l’arrêt brutal des flux de capitaux. M. Gruss est titulaire d’un doctorat en économie de l’Institut universitaire européen.
Malhar Nabar est Chef adjoint de la Division études économiques mondiales au Département des études du FMI. Il a travaillé auparavant au Département Asie et Pacifique du FMI, où il couvrait la Chine et le Japon, et a été Chef de mission pour la RAS de Hong Kong. Ses recherches portent sur le développement financier, l’investissement et la croissance de la productivité. M. Nabar est titulaire d’un doctorat de Brown University.
Marcos Poplawski-Ribeiro est économiste à la Division études économiques internationales au Département des études du FMI. Il a auparavant travaillé au Département des finances publiques et au Département Afrique du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a travaillé et enseigné dans différentes institutions et universités au Brésil, en Europe et aux États-Unis, et notamment à la Banque centrale européenne, à l’Organisation des Nations Unies, à l’Université d’Amsterdam et à Sciences Po Paris. Ses travaux portent sur la macroéconomie, l’économie internationale et la finance. M. Poplawski-Ribeiro est titulaire d’un doctorat de l’Université d’Amsterdam et d’un master en économie de la Fundação Getúlio Vargas de São Paulo.