Dette souveraine : quelles stratégies — le point de vue du FMI

Par Sean Hagan, Maurice Obstfeld et Poul M. Thomsen
Affiché le 23 février 2017 par le blog du FMI - iMFdirect

L’endettement est un élément central du fonctionnement d’une économie moderne. Il permet aux entreprises de financer des investissements porteurs de productivité. Les ménages peuvent s’endetter pour financer des achats conséquents — produits de consommation durable ou logement. Mais il arrive que les investissements d’une entreprise ne produisent pas les résultats escomptés, ou que le ou la principal soutien de famille perde son emploi. La plupart des systèmes juridiques nationaux reconnaissent que, dans ce cas, il peut être préférable, pour les créanciers, pour les débiteurs comme pour l’ensemble de la société, qu’une procédure organisée existe pour réaménager la dette.

Bien entendu, les pouvoirs publics, eux aussi, empruntent, mais il n’existe pas de tribunaux pour diriger la restructuration de leurs dettes souveraines (dette due ou garantie par l’État) — et un pays tout entier ne peut pas se déclarer en faillite. C’est là qu’intervient de FMI. Depuis une quarantaine d’années, le surendettement souverain a été à l’origine d’une grande partie des crises de balance des paiements survenues dans nos pays membres. Idéalement, un programme soutenu par le FMI cherchera à résoudre ces crises en jouant un rôle «catalyseur» : un programme de fort resserrement des dépenses et de réformes structurelles mis en œuvre par le gouvernement du pays membre assorti d’un soutien financier du FMI sera conçu afin que le pays retrouve l’accès au marché du crédit et puisse assurer le service de la dette selon les termes prévus à l’origine.

Quand la dette n’est plus viable

Il se peut, toutefois, que le niveau d’endettement de l’État soit si élevé qu’il en devienne insoutenable : le service de la dette prévu à l’échéancier dépasse la capacité de remboursement du pays membre, même avec un programme d’ajustement drastique et un soutien financier conséquent du FMI. En pareille circonstance, il est impossible, tant politiquement qu’économiquement, de sortir de cette situation en imposant encore plus de rigueur. Toute évaluation de la viabilité de la dette doit s’appuyer sur des hypothèses réalistes — plutôt qu’héroïque — des perspectives de croissance, et prendre en compte le fait que les économies ont souvent mis plus de temps que prévu à se relever des crises.

Quand la dette souveraine n’est plus viable, le cadre juridique du FMI lui interdit d’apporter un soutien financier si le programme ne comprend pas certaines mesures spécifiques pour apporter une réponse crédible à moyen terme au problème de la viabilité de la dette, dont généralement une restructuration de la dette. Pourquoi cette exigence? Si ces mesures indispensables n’étaient pas prises, le soutien du FMI ne traiterait pas le problème sous-jacent de balance des paiements du pays, contrairement à l’exigence des statuts de l’organisation. En effet, un programme qui ne traiterait pas le problème du surendettement risquerait plutôt d’exacerber ces difficultés, car il aggraverait l’incertitude qui pèse déjà sur l’avenir du pays membre.

Une source importante d’incertitude est l’impact du poids excessif de la dette sur le soutien accordé par la population aux réformes, cette dernière pouvant estimer que ses sacrifices bénéficient principalement aux créanciers. L’incertitude provoquée par la non-résolution du problème de surendettement peut aussi décourager les investisseurs et donc entraver la reprise pourtant indispensable au succès du programme. De fait, le FMI ne peut conclure qu’un programme traite convenablement les difficultés sous-jacentes d’un pays si ce programme n’ouvre pas au pays une trajectoire lui permettant de retrouver l’accès aux marchés à moyenne échéance.

Évaluer la viabilité sous l’angle de la capacité d’un pays à accéder de nouveau aux marchés reste approprié lorsque le pays est membre d’une union monétaire. À moins que des règles particulières prévoient des transferts budgétaires entre les membres souverains d’une union monétaire, un pays ne résout pas ses problèmes de balance des paiements de manière durable aussi longtemps qu’il doit dépendre de l’aide d’autres membres de l’union pendant une période prolongée.

Un travail considérable a été réalisé par le FMI pour établir une méthode d’analyse de viabilité de la dette, mais son application exige quand même de faire preuve de jugement. En particulier, nous devons procéder à une évaluation réaliste des circonstances propres à chaque pays membre. L’analyse de viabilité de la dette effectuée par le FMI étant un élément central de son processus décisionnel, elle relève toujours de la responsabilité du FMI. Il nous est impossible de le déléguer. Les évaluations de la viabilité de la dette par le FMI sont réalisées conformément au cadre défini dans les publications suivantes : Public Debt Sustainability and Analysis in Market-Access Countries et The Fund’s Lending Framework and Sovereign Debt—Further Considerations.

Le cadre utilisé par le FMI pour l’évaluation de la viabilité de la dette

Le FMI utilise deux méthodes principales pour déterminer si la dette est viable ou non. La première consiste à voir si, à la fin du programme du FMI et une fois la dette remboursée selon les conditions initiales, les ratios dette/PIB seront suffisamment faibles ou sur une trajectoire suffisamment baissière pour rétablir la confiance des bailleurs de fonds et permettre à l’État de retrouver un accès aux marchés financiers. La seconde, surtout indiquée lorsque la dette est d’échéance longue et les taux d’intérêt particulièrement faibles, consiste à se demander s’il est raisonnable d’espérer que les besoins annuels de financement du pays (pour couvrir le remboursement brut des intérêts et du principal et le solde budgétaire primaire) pourront désormais être satisfaits par les marchés.

Dans un cas comme dans l’autre, il est essentiel que, dans nos projections des montants viables de remboursement, nous définissions des niveaux d’excédent primaire réalistes propres à améliorer progressivement la viabilité de la dette, et non des niveaux qui étoufferaient l’économie au point où les recettes fiscales s’effondreraient et les cibles budgétaires seraient abandonnées. Notre jugement se basera à la fois sur la situation du pays en question et sur notre longue expérience de travail avec les pays en difficulté. Le cadre du FMI suppose de tenir compte des risques liés tant à l’exécution du programme qu’aux prévisions économiques.

Ainsi, récemment, dans le cas de l’Ukraine, les créanciers ont accepté d’importantes décotes pour ramener le ratio dette/PIB à un niveau viable. Dans le cas de nos discussions actuelles avec la Grèce, cependant, nous avons considéré que le cadre axé sur les besoins annuels de financement était plus adapté, surtout parce que les partenaires de la zone euro ont préféré alléger la dette en allongeant considérablement les échéances et en réduisant les taux d’intérêt plutôt qu’en consentant dans l’immédiat à une décote.

Alléger la dette

Quand on estime que la dette n’est pas viable, il existe plusieurs manières de réaliser l’allégement nécessaire. Quand les dettes en question sont des créances détenues par le secteur privé, la restructuration est généralement effectuée au début du programme ou fait partie des conditions de la première revue du programme. Quand les créances sont détenues par des créanciers bilatéraux officiels, plusieurs approches sont possibles. Par exemple, si la dette est restructurée sous l’égide du Club de Paris, des engagements spécifiques d’allégement sont pris par chacun des créanciers bilatéraux officiels au moment du lancement du programme (dans le procès-verbal agréé) et ces engagements sont ensuite réalisés sous forme d’une modification des différents accords de prêt.

Dans certains cas, les créanciers préfèrent conditionner l’allégement à la mise en œuvre complète du programme. Cette approche peut être justifiée, par exemple, au vu des antécédents du pays en matière d’ajustement économique. Dans ce cas toutefois, l’engagement à accorder l’allégement nécessaire, tout en étant subordonné à l’exécution du programme, devrait être pris au début du programme et devrait être suffisamment crédible. La crédibilité de l’engagement devrait prendre en compte la spécificité des modalités de l’allégement. Un engagement trop vague créerait une incertitude, y compris sur les marchés, quant à la concrétisation de l’allégement, ce qui compromettrait les chances de succès du programme. De plus, s’il est acceptable que l’allégement soit subordonné à l’atteinte d’objectifs spécifiques par le pays, il importe que ces objectifs soient réalistes pour que la stratégie de désendettement reste crédible.

Il est important de souligner que si l’allégement de la dette peut être nécessaire pour que le FMI accorde un prêt, la décision de recourir à un tel allégement demeure celle du pays membre. De plus, lorsque l’allégement de la dette est demandé, les négociations se font entre le pays membre et ses créanciers, même s’il est souvent fait appel au FMI pour expliquer la base de son analyse de viabilité de la dette. Lorsque la dette d’un pays n’est pas viable, le FMI conseille en général au pays de la restructurer plutôt que de se déclarer en défaut, car cette dernière option peut être particulièrement déstabilisante.

Pour conclure, lorsque la dette souveraine n’est pas viable, sauf à obtenir un financement sous forme de don, le seul moyen de redresser la situation est de recourir à un allégement, accompagné d’un programme d’ajustement fort mais crédible. Prétendre qu’une dette peut être remboursée alors que c’est impossible ne peut que nuire à l’efficacité des efforts d’ajustement du débiteur, ce qui à terme est plus coûteux pour toutes les parties que si on avait regardé les choses en face d’entrée de jeu.

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Sean Hagan est Conseiller juridique et Directeur du Département juridique du FMI. Auparavant, il a exercé dans un cabinet privé à New York et au Japon. Il conseille la direction, le Conseil d’administration et les pays membres du FMI sur tous les aspects juridiques des activités du FMI, notamment sur le plan réglementaire et dans le cadre des activités de conseil et de prêt de l’institution. Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur le droit applicable au FMI et un large éventail de questions juridiques touchant à la prévention et à la résolution des crises financières, en s’intéressant tout particulièrement aux questions d’insolvabilité et à la restructuration des dettes.  


Maurice Obstfeld est le Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’Université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie Promotion de 1958 et anciennement directeur de la Faculté d’économie (1998–2001). Il a débuté à Berkeley en tant que professeur en 1991 et a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à Columbia (1979–86) et à l’Université de Pennsylvanie (1986–89), et de professeur invité à Harvard (1989–90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’Université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’Université de Cambridge (maîtrise, 1975).

De juillet 2014 à août 2015, M. Obstfeld a été membre du Conseil des conseillers économiques du Président Obama. De 2002 à 2014, il a occupé le poste de conseiller honoraire auprès de l’Institut d’études économiques et monétaires de la Banque du Japon. Il est en outre membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaine des arts et des sciences. M. Obstfeld a notamment reçu les distinctions suivantes : le prix Tjalling Koopmans de l’Université de Tilburg, le prix John von Neumann du Rajk Laszlo College of Advanced Studies (Budapest) et le prix de l’Institut Bernhard Harms de l’Université de Kiel. Il a participé à des conférences de renom, dont la conférence annuelle Richard T. Ely de l’American Economic Association, la conférence L. K. Jha Memorial de la Banque de réserve de l’Inde et la conférence Frank Graham Memorial de l’Université de Princeton. M. Obstfeld a été membre du Comité de direction ainsi que Vice-président de l’American Economic Association. Il a également été consultant et a donné des cours au FMI, ainsi que dans de nombreuses banques centrales dans le monde.

Il a par ailleurs coécrit deux des ouvrages phares en économie internationale :International Economics (10e édition, 2014, avec Paul Krugman et Marc Melitz) et Foundations of International Macroeconomics (1996, avec Kenneth Rogoff) —, ainsi qu’une centaine d’articles de recherche sur les taux de change, les crises financières internationales, les marchés mondiaux de capitaux, et la politique monétaire.


 

M. Poul Thomsen est Directeur du Département Europe du FMI. Il est actuellement chargé des programmes du FMI avec la Grèce et le Portugal, et supervise aussi les travaux d’autres équipes chargées des programmes de l’Islande, de la Roumanie et l’Ukraine.

Pendant les années 90 et au début de la décennie suivante, M. Thomsen a acquis une vaste expérience des problèmes économiques et sociaux auxquels sont confrontés les pays d’Europe centrale et orientale à l’occasion de nombreux détachements dans la région, y compris en qualité de Représentant résident principal du FMI et Directeur du Bureau de Moscou.



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