La croissance inclusive et le FMI
Par Prakash LounganiAffiché le 24 janvier 2017 par le blog du FMI - iMFdirect
Il y a quatre ans, au Forum économique mondial de Davos, la Directrice générale du FMI, Christine Lagarde, avait mis en garde contre les dangers de l’inégalité croissante, un thème désormais en toute première ligne de l’agenda politique mondial.
Si l’attention a surtout été retenue par les travaux du FMI sur le thème de l’inégalité, celui-ci ne représente qu’un seul des domaines auxquels l’institution a décidé de s’intéresser de plus près ces dernières années. L’ensemble de ce travail s’inscrit dans un cadre général qui tient en deux mots : croissance inclusive.
Nous voulons de la croissance, mais nous voulons également nous assurer que :
- les gens aient des emplois, ce qui constitue la base pour se sentir intégré à la société et accéder à un sentiment de dignité ;
- les femmes et les hommes se voient offrir les mêmes chances de participer à l’activité économique, d’où la grande attention que nous portons à la question de l'égalité entre les sexes ;
- les pauvres et la classe moyenne reçoivent leur part dans la prospérité d’un pays, d’où le travail sur l’ inégalité et le partage de la prospérité ;
- la richesse ne soit pas accaparée par une poignée de privilégiés, comme cela peut arriver en cas de découverte de ressources naturelles dans un pays, d’où notre vigilance en matière de corruption et de gouvernance ;
- l'inclusion financière devienne une réalité, ce qui influe sur les résultats en matière d’investissements, de sécurité alimentaire et de santé ;
- la croissance soit partagée au sein de cette génération, mais aussi avec les générations futures, d’où notre travail consacré au développement de la résilience au changement climatique et aux catastrophes naturelles.
En bref, l’ensemble de nos initiatives ont pour fil rouge la promotion de l’inclusion, à savoir une opportunité offerte à chacun de se construire une vie meilleure.
Ce ne sont pas là des mots en l’air. En cliquant sur n’importe lequel des liens ci-dessus, vous constaterez que le FMI fait du travail sur l’inclusion une partie intégrante de son fonctionnement quotidien.
Si l’inclusion est primordiale, la croissance l’est tout autant. « Pour que chacun ait une plus grosse part du gâteau, il faut que le gâteau soit plus gros » ( Lipton, 2016 ). Lorsque nous encourageons une croissance inclusive, nous ne recommandons certainement pas les modèles de l’ancienne Union soviétique ni de la Corée du Nord actuelle. Ces régimes sont des exemples de « misère inclusive », et non de croissance inclusive. La bonne compréhension des sources de productivité et de croissance à long terme, ainsi que des politiques structurelles nécessaires à la croissance, occupe donc une place prépondérante dans l’agenda du FMI.
Mondialisation et inclusion
Le FMI a été créé dans le but de favoriser la coopération internationale. Ainsi, à nos yeux, l’inclusion ne fait pas simplement référence au partage de la prospérité dans un pays mais bien au partage de la prospérité entre les pays du monde entier. Le commerce international, les flux de capitaux et la migration constituent les vecteurs par lesquels elle peut se matérialiser. C’est pour cette raison que nous sommes résolument favorables à la mondialisation, tout en reconnaissant que certains de ses effets sont source de mécontentement et que de gros efforts doivent être consentis pour mieux répartir la prospérité qu’elle génère.
Une croissance plus forte devrait contribuer à apaiser en partie ce mécontentement, comme l’avance Benjamin Friedman dans son ouvrage intitulé The Moral Consequences of Economic Growth (Les conséquences morales de la croissance économique). L’économiste de l’université de Harvard y démontre que, sur le long cours de l’histoire, une croissance robuste générée par la grande majorité des membres d’une société s’accompagne d’une plus grande tolérance dans les attitudes vis-à-vis des immigrés, d’un meilleur traitement des franges défavorisées de la communauté et d’un renforcement des institutions démocratiques.
Toutefois, au lieu de s’en remettre aux retombées de la croissance, une solution plus durable consiste à concevoir les politiques de telle sorte qu’elles génèrent d’emblée une croissance inclusive.
Politiques en faveur d’une croissance inclusive
- Tremplins et filets de sécurité : « Le développement d’une croissance économique inclusive requiert des politiques qui répondent aux besoins de ceux qui sont laissés de côté… À défaut, nos problèmes politiques ne feront qu’empirer » ( Lipton, 2016 ). Les politiques de type « tremplin », comprenant par exemple des mécanismes d’orientation professionnelle et de recyclage, peuvent aider à redécoller en cas de perte d’emploi. Elles aident les gens à s’adapter plus vite en cas de choc économique et réduisent les périodes de chômage prolongé, luttant ainsi contre la dépréciation des compétences. Ce type de tremplin pour l’emploi existe déjà dans beaucoup de pays avancés et mérite un examen plus approfondi pour que tout le monde puisse s’inspirer des meilleures pratiques. Les filets de sécurité ont aussi leur importance. L’État peut offrir une assurance salariale aux travailleurs déplacés relégués dans des emplois moins rémunérateurs et proposer aux employeurs des subventions salariales sur embauche de travailleurs déplacés. Des programmes tels que le crédit d’impôt sur le revenu gagné aux États-Unis devraient être élargis afin de réduire les écarts de revenu tout en encourageant les citoyens à travailler ( Obstfeld, 2016 ).
- Partage plus large des bienfaits du secteur financier et de la mondialisation financière : Nous avons besoin d’un « système financier qui soit à la fois plus éthique et davantage tourné vers les besoins de l’économie réelle, un système financier qui serve la société et non pas l’inverse » ( Lagarde, 2015 ). Il est nécessaire de mettre en œuvre des politiques qui démocratisent l’accès aux services financiers afin que les pauvres et la classe moyenne soient plus à même de recueillir les bienfaits de l’afflux de capitaux étrangers. L’accroissement de la mobilité des capitaux a souvent nourri la concurrence fiscale entre les nations et engendré des pertes de recettes pour les gouvernements (une « course à l’abîme entraîne tout le monde au fond du gouffre », ( Lagarde, 2014 ). Confronté à une baisse de leurs revenus, les États éprouvent davantage de difficultés à financer des politiques de type « tremplin » et des filets de sécurité sans imposer exagérément le revenu du travail ou recourir à des taxes à la consommation régressives. De ce fait, nous avons besoin de coordonner la lutte internationale contre l’évasion fiscale pour éviter que le gros des gains de la mondialisation ne bénéficie de manière disproportionnée au capital ( Obstfeld, 2016 ).
- « Pré-distribution » et redistribution : Sur le long terme, la garantie de l’égalité des chances nécessite des politiques qui améliorent l’accès à une éducation et à des soins de santé de qualité pour l’ensemble des catégories de la société. Toutefois, il s’agit là d’une entreprise complexe qui n’aboutit pas du jour au lendemain. Voilà pourquoi sur le court terme, les politiques de « pré-distribution » doivent être complétées par des mécanismes de redistribution : « Il faut rendre la fiscalité et les transferts plus progressifs afin que les fruits de la mondialisation soient mieux partagés » ( Obstfeld, 2016 ).
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Prakash Loungani est Chef de la division du développement macroéconomique au sein du Département des études du FMI. Il a coprésidé le groupe de travail « Emploi et croissance » du FMI de 2011 à 2015. Il est également professeur de gestion associé à l’Owen Graduate School of Management (Université Vanderbilt), où il enseigne dans le cadre du programme Executive MBA depuis 2001, et maître de recherche à l’OCP Policy Center.