Réorientation du dosage macroéconomique aux États-Unis : avantages et risques à l’échelle mondiale

Par Maurice Obstfeld
Affiché Le 20 décembre 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

Après une année marquée par des turbulences financières, des surprises politiques et une croissance instable dans beaucoup de parties du monde, la décision prise par la Réserve fédérale ce mois-ci de relever les taux d’intérêt pour la deuxième fois seulement en dix ans est un signe que le redressement de la première économie mondiale est en bonne voie.

La décision prise par la Réserve fédérale la semaine dernière était loin d’être surprenante : depuis des semaines, les marchés avaient jugé ce relèvement très probable. En revanche, de nombreux observateurs ont été surpris par l’évolution des marchés avant cette décision.

Ce qui a été particulièrement frappant, c’est la nette augmentation des taux d’intérêt à long terme, du dollar et des indices de marché des anticipations inflationnistes au lendemain des élections présidentielle et législatives du 8 novembre dernier. Le dernier relèvement des taux d’intérêt par la Réserve fédérale en décembre 2015 n’avait pas été précédé par des réactions aussi abruptes sur les marchés (voir tableau).

Le dollar a poursuivi sa hausse dans les jours qui ont suivi l’annonce de la Réserve fédérale.

L’avenir nous dira si ces évolutions des marchés sont les prémices d’une nouvelle tendance. Il est cependant fort probable que l’élection marque une réorientation de la politique économique aux États-Unis qui pourrait avoir des effets encore plus marqués sur les prix et l’activité — à l’étranger, ainsi qu’à l’intérieur du pays. Les retombées à l’étranger concerneraient particulièrement les pays émergents : pour certains de ces pays, les avantages du renforcement de la compétitivité résultant de l’affaiblissement de la monnaie pourraient être délicatement mis en balance avec des vulnérabilités.

Quelque chose a changé

Du début de 2016 jusqu’à l’élection aux États-Unis, les rendements des bons du Trésor étaient restés particulièrement faibles. Les analyses des perspectives mondiales, y compris au FMI, mettaient l’accent sur les risques de la persistance d’une croissance faible et de pressions déflationnistes — voire même de stagnation séculaire, avec des taux d’intérêt qui restent bas.

Les taux d’intérêt nominaux à long terme sont cependant fortement influencés par les anticipations de l’évolution du taux directeur de la Réserve fédérale, qui, lui, est sensible aux tensions inflationnistes aux États-Unis et à la solidité fondamentale de l’économie. Par conséquent, ce net redressement des taux d’intérêt américains à long terme au lendemain des élections a changé la manière de voir les choses : il est probable que cette hausse n’était pas due uniquement au relèvement imminent des taux en décembre, qui était déjà largement anticipé, mais également à une modification des anticipations de l’évolution des taux d’intérêt et de la demande dans l’économie américaine.

Conformément à ces attentes, si le relèvement des taux d'intérêt de la semaine dernière n'était pas inattendu, la trajectoire future des taux d'intérêt anticipée par les membres du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale est plus pentue et laisse entrevoir trois relèvements des taux d'intérêt pour chacune des deux prochaines années.

Le moment des mouvements abrupts des prix des actifs — quelques jours après les élections américaines — constitue l’élément clé pour comprendre ce qui a fait bouger les marchés. L'élection de Donald Trump à la présidence, conjuguée au maintien de la majorité républicaine au Congrès, a mis fin à six années de division au niveau de la direction du pays.

Implications

Les Républicains au Congrès plaident depuis longtemps en faveur d’une baisse des impôts sur le revenu des particuliers et sur les bénéfices des sociétés. Le président élu Trump a fondé sa campagne sur un programme qui prévoit non seulement une baisse considérable des impôts, mais aussi une augmentation des dépenses publiques dans certains domaines, dont la défense et les infrastructures.

À ce stade peu avancé, il est difficile de savoir précisément à quoi ressemblera cette réorientation de la politique budgétaire. Mais une chose semble claire : la politique budgétaire sera plus expansionniste, en combinant une augmentation des dépenses et une baisse des taux d’imposition.

En général, une hausse de la demande globale aux États-Unis entraîne une hausse de la production réelle — des travailleurs supplémentaires sont embauchés, d’autres travaillent davantage et les machines sont utilisées de manière plus intensive — et fait monter l’inflation. Le taux de chômage global est de 4,5 % et d'autres indicateurs des difficultés du marché du travail se sont redressés dans une large mesure depuis la crise financière de 2008, et il pourrait rester peu de capacités inemployées dans l’économie américaine. À moins que le taux d’activité et les heures de travail supplémentaires augmentent notablement, il est possible que les tensions inflationnistes augmentent donc sensiblement. C’est ce que la Réserve fédérale semble avoir à l'esprit lorsqu’elle prévoit qu’elle relèvera le taux des fonds fédéraux plus rapidement.

Une hausse plus rapide des taux d'intérêt aux États-Unis laisse présager une nouvelle appréciation du dollar. Des incitations fiscales, qui encouragent les sociétés américaines à rapatrier leurs bénéfices conservés à l'étranger (estimés, selon certains, à 2,5 mille milliards de dollars), pourraient également faire grimper le dollar. Du fait d’une croissance plus rapide de la demande, le déficit des transactions extérieures courantes des États-Unis se creusera — autrement dit, il y aura plus d’emprunts à l’étranger, en partie peut-être pour financer un déficit budgétaire fédéral croissant, selon les détails précis du budget, la part de son financement au moyen de coupes budgétaires ailleurs, la trajectoire des taux d'emprunt de l’État et l’incidence sur la croissance économique.

Enjeux internationaux

Compte tenu du rôle central que jouent les États-Unis dans l'économie mondiale, des changements radicaux dans le dosage macroéconomique ont des effets de premier ordre au-delà de leurs frontières.

Les pays avancés dont la monnaie se déprécie par rapport au dollar tireront profit d’une croissance américaine plus rapide et de taux de change plus compétitifs. Pour la plupart de ces pays, qui sont confrontés aujourd’hui à une inflation inférieure à l’objectif fixé, toute tension inflationniste serait la bienvenue (dans un premier temps, du moins). Ces pays pourraient aussi faire face à une montée des taux d'intérêt, ce qui représenterait un problème budgétaire pour les pays qui sont très endettés mais ne tirent pas suffisamment parti des retombées positives sur la demande qui font monter leurs taux d'intérêt.

Les pays émergents peuvent également profiter de la compétitivité accrue de leur monnaie et de l’augmentation de la demande américaine. Mais bien que bon nombre d’entre eux aient renforcé leurs « amortisseurs » (par exemple, leurs réserves de change), aient réduit les asymétries de devises et aient amélioré leur dispositif de surveillance financière, certains pourraient être mis en difficulté, surtout ceux où préexistent des tensions politiques ou économiques.

Historiquement, les taux d'intérêt américains sont l’un des principaux déterminants des flux nets de capitaux vers les pays émergents. Des taux de change souples peuvent être utiles pour amortir les sorties de capitaux rapides, car ils permettent de rééquilibrer les portefeuilles internationaux en modifiant les monnaies plutôt qu’en perdant des réserves. Cependant, la combinaison d’une hausse des taux d'intérêt en dollar et d’une dépréciation de la monnaie nationale pourrait réduire la liquidité ou peser sur les bilans, surtout compte tenu de l’importance des emprunts en dollars des résidents et des entreprises non résidentes dans les pays émergents. De plus, une dépréciation de la monnaie pourrait alimenter l’inflation. Les décideurs des pays émergents devront donc rester vigilants.

Si la réorientation du dosage macroéconomique aux États-Unis est suivie de brusques variations des taux de change et d’une aggravation des déséquilibres mondiaux, les pressions protectionnistes deviennent un risque majeur, comme dans des circonstances similaires par le passé. Étant donné que les gouvernements des pays avancés souhaitent préserver l’industrie manufacturière, un secteur où les pays émergents ont accompli de grands progrès ces dernières décennies, il est fort probable que les pays émergents soient les cibles principales d’un renforcement des barrières commerciales érigées par les pays avancés.

Les dirigeants doivent donc se rappeler que le protectionnisme risque d’être contreproductif à l’échelle nationale, même avant que les partenaires commerciaux prennent des mesures de rétorsion, comme ils seront tentés de le faire. L'intégration des pays avancés dans des chaînes d'approvisionnement véritablement mondiales souligne ce danger. Dans un environnement où les dosages macroéconomiques divergent nettement, comme c’est peut-être le cas aujourd’hui, les règles du système commercial mondial seront plus importantes que jamais.

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Maurice Obstfeld est le Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’Université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie (promotion de 1958) et anciennement directeur de la Faculté d’économie (1998-2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à Columbia (1979-1986) et à l’Université de Pennsylvanie (1986-1989), et de professeur invité à Harvard (1989-90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’Université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’Université de Cambridge (maîtrise, 1975).

De juillet 2014 à août 2015, M. Obstfeld a été membre du Conseil des conseillers économiques du Président Obama. De 2002 à 2014, il a occupé le poste de conseiller honoraire auprès de l’Institut d’études économiques et monétaires de la Banque du Japon. Il est en outre membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaines des arts et des sciences. M. Obstfeld a notamment reçu les distinctions suivantes : le prix Tjalling Koopmans de l’Université de Tilburg, le prix John von Neumann du Rajk Laszlo College of Advanced Studies (Budapest), et le prix de l’Institut Bernhard Harms de l’Université de Kiel. Il a participé à des conférences de renom, dont la conférence annuelle Richard T. Ely de l’American Economic Association, la conférence L. K. Jha Memorial de la Banque de réserve de l’Inde, et la conférence Frank Graham Memorial de l’Université de Princeton. M. Obstfeld a été membre du Comité de direction ainsi que Vice-président de l’American Economic Association. Il a également été consultant et a donné des cours au FMI, ainsi que dans de nombreuses banques centrales dans le monde.

Il a par ailleurs coécrit deux des ouvrages phares en économie internationale — Économie internationale (10e édition, 2014, avec Paul Krugman et Marc Melitz), et Foundations of International Macroeconomics (1996, avec Kenneth Rogoff) —, ainsi qu’une centaine d’articles de recherche sur les taux de change, les crises financières internationales, les marchés mondiaux de capitaux, et la politique monétaire.



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