Le nouveau visage de la migration d’Afrique subsaharienne
Jesus Gonzalez-Garcia et Montfort MlachilaAffiché Le 2 novembre 2016 par le blog du FMI - iMFdirect
La migration des habitants d’Afrique subsaharienne augmente rapidement. Tout comme la population de la région, le nombre de migrants a doublé depuis 1990 pour atteindre 20 millions environ en 2013. Dans les prochaines décennies, la migration va se développer du fait de l’explosion de la population en âge de travailler — celle-là même qui alimente généralement les migrations. Nous avons étudié cette évolution dans une publication récente car les pays d’accueil, tout comme les pays de départ, doivent adopter des politiques appropriées dans l’intérêt de tous.
Des populations en mouvement
Deux grandes tendances caractérisent l’évolution de la migration en Afrique subsaharienne.
Le nombre de réfugiés — les personnes fuyant les guerres ou les persécutions—a considérablement diminué depuis 1990, tant au sein de la région qu’à l’extérieur. En 1990, environ la moitié des migrants étaient des réfugiés, et en 2013 ceux-ci ne représentaient plus que 10 % environ.
Dans le même temps, la part des migrants qui ont quitté la région pour des raisons économiques a régulièrement augmenté puisqu’elle a été multipliée par six entre 1990 et 2013, passant de 1 million à 6 millions de personnes environ. À titre de comparaison, le nombre de migrants économiques au sein de la région a été multiplié par trois, passant de 4 millions à 12 millions (graphique 1).
Au sein de l’Afrique, la migration est essentiellement déterminée par la proximité géographique, les écarts de revenus, les guerres dans le pays d’origine et la relative stabilité politique dans le pays d’accueil, ainsi que par les liens culturels et des facteurs environnementaux tels que les sécheresses ou les inondations. La Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud comptent parmi les principaux pays d’accueil des migrants de la région.
La migration vers le reste du monde s’explique principalement par la recherche de meilleurs débouchés économiques, et les pays avancés en sont les principales destinations. De l’ordre de 85 % de la diaspora subsaharienne dans le reste du monde se trouve dans des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les États-Unis, le Royaume-Uni et la France accueillant 50 % environ des migrants originaires d’Afrique subsaharienne.
Une évolution de la démographie et de la migration
La région connaît une transition démographique profonde, qui va influer sur l’émigration depuis l’Afrique subsaharienne. Non seulement la population de la région continuera de croître rapidement, passant d’environ 900 millions d’habitants en 2013 à 2 milliards en 2050, mais aussi la population en âge de travailler, celle-là même qui alimente généralement la migration, est appelée à augmenter encore plus rapidement, passant d’environ 480 millions de personnes en 2013 à 1,3 milliard en 2050 (graphique 2).
Cette évolution démographique, ainsi que la persistance de vastes disparités de revenus entre les pays d’Afrique subsaharienne et les pays avancés, va vraisemblablement faire augmenter la migration. D’après nos projections, le ratio des migrants d’Afrique subsaharienne à la population des pays hôtes membres de l’OCDE sera multiplié par six dans les prochaines décennies, passant d’environ 0,4 % en 2010 à 2,4 % d’ici à 2050. Cette forte hausse s’expliquerait par le développement de la migration depuis la région, conjugué à une très lente croissance démographique prévue dans les pays de l’OCDE (graphique 3).
Une évolution qui exige des politiques meilleures
Les travailleurs migrants peuvent avoir un effet positif sur la croissance dans les pays d’accueil, en particulier ceux dont la population vieillit rapidement. De plus, ils augmentent les recettes fiscales et les cotisations sociales qui font cruellement défaut dans leur pays d’accueil pour répondre aux besoins des travailleurs retraités. Dans le même temps, les envois de fonds vers leur pays d’origine continueront d’améliorer le niveau de vie de leur famille. Ils réduiront ainsi la pauvreté et continueront de jouer un rôle important dans l’économie dans son ensemble comme source stable de recettes en devises.
Des collègues ont publié récemment un blog qui aborde la question sous un nouvel angle et montre les avantages que procurent les migrants aux pays avancés.
Étant donné que la migration aussi bien à l’extérieur de la région qu’en son sein a des chances de se développer dans les prochaines décennies, les pays devront élaborer des politiques publiques qui facilitent une intégration sociale et économique rapide des travailleurs migrants au bénéfice de tous.
L’élan insufflé à la population active devrait quelque peu compenser le vieillissement et la diminution de la population autochtone des pays riches, ce qui est bon non seulement pour la croissance économique, mais aussi pour la fiscalité à long terme. Surtout, il devrait apaiser les tensions sociales souvent liées à l’immigration, le déplacement des emplois des travailleurs locaux et les coûts budgétaires suscitant des inquiétudes.
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Jesus Gonzalez-Garcia est économiste principal à la Division Études régionales du Département Afrique du FMI. Il occupait auparavant le même poste au Département Hémisphère occidental du FMI, comme économiste chargé de pays des Caraïbes et de la République dominicaine. Ses travaux ont porté sur l’économétrie appliquée, l’identification des changements de régime dans les modèles de séries temporelles, les modèles de ciblage de l’inflation et l’effet sur la variabilité des taux de change de la transparence accrue sur les réserves des banques centrales.
Montfort Mlachila est le représentant résident principal du FMI en Afrique du Sud. Il travaille au FMI depuis près de 20 ans. Il était encore récemment conseiller au sein du Département Afrique du FMI et chef de mission au Gabon et en Guinée équatoriale. Auparavant, comme Chef adjoint de la Division Études régionales du Département Afrique, il était chargé de superviser la préparation de la publication-phare du département, Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne. Avant d’entrer au Département Afrique, il travaillait au Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation et au Département Hémisphère occidental du FMI. Avant de rejoindre le FMI, M. Mlachila était économiste à la Reserve Bank of Malawi. Il a travaillé sur un vaste éventail de pays et publié de nombreux articles sur les finances publiques, la croissance, les échanges internationaux et le développement du secteur financier. Il est docteur en économie du CERDI, à l’Université de Clermont-Ferrand (France).