La «nouvelle réalité» du marché pétrolier

Par Rabah Arezki et Akito Matsumoto
Affiché Le 27 octobre 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

Bien que les cours pétroliers se soient quelque peu stabilisés ces derniers mois, il y a de bonnes raisons de penser qu’ils ne retrouveront pas les sommets où ils se situaient leur chute historique il y a deux ans. D’une part, la production de pétrole de schiste s’est ajoutée de manière permanente à l’offre, ce qui a fait baisser les prix. D’autre part, la demande est restreinte du fait du ralentissement de la croissance des pays émergents et des efforts internationaux visant à faire diminuer les émissions de carbone. Tous ces facteurs se soldent par une «nouvelle réalité» du marché pétrolier.

La nouvelle réalité des approvisionnements pétroliers

Les schistes bitumineux ont changé la donne. Le volume inattendu de la production (5 milliards de barils par jour) a contribué à la surabondance de l’offre mondiale. Ce phénomène, allié à la décision surprenante de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de réduire sa production a contribué à la dégringolade des prix du pétrole qui a débuté en juin 2014.


Bien que la chute des cours ait provoqué une réduction massive des investissements pétroliers, la production a été lente à réagir, et l’offre est restée excédentaire. De plus, la résilience de la production d’huile de schiste face à la baisse des prix a de nouveau pris les opérateurs par surprise, si bien que les cours ont encore baissé en 2015. Le coût des forages de schistes bitumineux a été sensiblement réduit grâce à des gains d’efficacité, ce qui a permis aux plus gros exploitants d’éviter la faillite. Bien que l’on s’attende pour 2016 à une baisse de la production des pays non membres de l’OPEP du fait de la réduction des investissements, la production est encore supérieure à la consommation. Beaucoup d’experts s’attendent à ce que le marché pétrolier s’équilibre en 2017, à un niveau de stock cependant plus élevé (graphique 1). Cela dit, des incertitudes pèsent sur l’offre, surtout en ce qui concerne les coûts d’extraction et la production d’huile de schiste «par fracturation» des puits dont le forage n’est pas achevé. Ces derniers peuvent gonfler les flux de production en l’espace de quelques semaines et donc modifier considérablement la dynamique de production, comparativement à celle du pétrole traditionnel — qui se caractérise par un long intervalle entre l’investissement et la mise en exploitation.

Dans ce contexte, les pays de l’OPEP et la Russie ont accru leur production et le retour de l’Iran sur le marché pétrolier a encore accru l’offre. (Les membres de l’OPEP ont récemment décidé de réduire la production, cet accord n’a pas encore été entériné.) Il y a d’autres facteurs en jeu. D’après des données récentes, il semble que la production d’huile de schiste soit plus résiliente que prévu. Et l’attente d’une baisse de la production de l’OPEP en coopération avec d’autres producteurs a poussé les prix à un niveau qui va doper davantage la production de nombreux producteurs d’huile de schiste.

La nouvelle réalité de la demande de pétrole

La baisse des cours a dopé la hausse de la demande pétrolière, qui a atteint un niveau record d’environ 1,8 millions de barils/jour en 2015. Elle devrait redescendre au niveau tendanciel de 1,2 millions de barils/jour en 2016 et 2017. Le simple calcul de l’élasticité de la demande par rapport aux prix suggère que « l’effet-prix » correspond à une augmentation de la demande de 0,8 million de barils/jour. La hausse de la demande pétrolière est attribuable pour une large part à la chute des cours plutôt qu’aux gains de revenus. Comme il y a peu de marge pour un recul supplémentaire des prix en dollars, la progression de la demande de pétrole dépend en grande partie des perspectives de croissance de l’économie mondiale.

Ces perspectives ne sont pas encourageantes. Ces deux dernières années, la demande de pétrole a été tirée par la Chine et d’autres pays émergents et en développement. Alors que la Chine est à l’origine de 15 % seulement de la consommation mondiale de pétrole, sa contribution à la hausse de la demande est considérable (graphique 2), parce que son économie croît beaucoup plus vite que celles des pays avancés (ce qui vaut aussi pour quelques autres pays en développement). Le ralentissement économique d’autres pays émergents et des pays avancés peuvent modifier considérablement la situation. Les transformations structurelles dans les pays émergents, en particulier les efforts que déploie la Chine pour passer à un modèle de croissance tiré non plus par les investissements et les exportations, mais par la demande intérieure, peuvent aussi avoir des implications majeures.

Sur le moyen à long terme, la transition qui consiste à tourner le dos au pétrole et autres combustibles fossiles plombe encore les perspectives d’évolution de demande de pétrole, encore que la baisse des prix puisse retarder cette transition. Il faudra modifier en profondeur les politiques énergétiques pour atteindre les objectifs fixés en septembre 2015 à la conférence de Paris sur le climat (COP21), et il faudra qu’une grosse portion des réserves de pétrole restent dans le sous-sol et non-consommées. Le manque de clarté concernant les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour atteindre ces objectifs ne fait qu’accroître les incertitudes quant à l’évolution future de la demande de pétrole.


Certes, les marchés à terme anticipent une légère augmentation des cours pétroliers. Mais l’examen rapide des courbes des prix à terme au cours des derniers mois donne à penser que la perspective d’une hausse des cours s’est dégradée (graphique 3). Cela ne devrait pas surprendre. Les révisions à la baisse des prévisions de la croissance mondiale, surtout dans les pays émergents, font contrepoids à d’autres facteurs encourageants, tels que la hausse de la demande pétrolière suscitée par la baisse des prix au cours de l’année écoulée. Les turbulences sur les marchés financiers et l’affermissement du dollar ont pesé à la baisse sur les cours pétroliers. Ces tendances, de même que la baisse séculaire de la consommation de pétrole dans les pays avancés et l’accroissement de la production d’huile de schiste pointent tous dans le sens d’un scénario de prix pétroliers «plus bas, plus longtemps».
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Rabah Arezki est Chef de l’Unité des matières premières du Département des études du FMI. Il a traité divers sujets, dont l’énergie, les matières premières, la macroéconomie internationale et l’économie du développement. Il a conduit ou participé à plusieurs missions en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale. M. Arezki est en outre associé non résident de la Brookings Institution et de l’Université d’ Oxford. Il a publié un grand nombre d’articles dans des publications revues par un comité de lecture spécialisées et coécrit plusieurs livres et éditions spéciales de revues universitaires. Il est rédacteur en chef du Research Bulletin du FMI et rédacteur associé de la Revue d’économie du développement. Il est titulaire d’une maîtrise es sciences de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique de Paris (France) et d’un Ph.D de l’Institut universitaire européen de Florence (Italie).


Akito Matsumoto est économiste à l’Unité des matières premières du Département des études du FMI, où il suit l’évolution des marchés de matières premières et étudie leurs interactions avec l’économie mondiale. Il a été économiste à l’Institut de recherche Nomura et à la Nomura Securities Co., avant de s’inscrire au programme de doctorat de l’Université du Wisconsin. M. Matsumoto a aussi travaillé à la Banque d’Angleterre et au Conseil des gouverneurs au cours de ses études universitaires.



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