La compétitivité en Afrique subsaharienne : il est temps de passer à l’action
Par Antoinette Sayeh, Directrice du Département Afrique, FMIAffiché le 28 janvier 2016 par le blog du FMI - iMFdirect
L’Afrique subsaharienne se heurte à des chocs majeurs liés à la chute brutale des prix des produits de base et au durcissement de la situation financière mondiale. Dans ce contexte, le moment est opportun pour dresser un bilan de la croissance récente de la région et examiner les liens entre taux de croissance et compétitivité. La capacité des entreprises d’Afrique subsaharienne à rivaliser avec leurs concurrents étrangers (c’est-à-dire leur niveau de compétitivité) pourrait en effet contribuer à pérenniser la croissance à l’avenir.
La croissance rapide que la région a connue ces dernières années a été l’une des réussites exemplaires de l’économie mondiale. Cette croissance a été généralisée (deux tiers des pays ont enregistré une croissance continue pendant plus de 10 ans et un quart d’entre eux une croissance ininterrompue pendant plus de 20 ans) et est allée de pair avec une nette amélioration des indices de développement (recul de la pauvreté parallèlement à une amélioration de l’espérance de vie et des taux de mortalité maternelle et infantile).
Le talon d’Achille de la croissance
Toutefois, la croissance a aussi eu un talon d’Achille. Dans l’immense majorité des pays elle s’est accompagnée d’une dégradation des déficits courants. Cela s’explique dans une certaine mesure par les investissements massifs (souvent gourmands en importations) que les pays ont réalisés pour répondre à leurs besoins d’infrastructures et qui devraient porter leurs fruits à terme. Cela étant, les résultats de la région à l’exportation ces vingt dernières années n’ont pas été encourageants malgré la conjoncture de prix élevés des produits de base. Les exportations de la région en pourcentage du commerce mondial n’ont pratiquement pas augmenté depuis le milieu des années 1990 et les exportations manufacturières en particulier sont restées nettement à la traîne du reste du monde.
Que peut-on en déduire pour la compétitivité de la région? C’est une question à laquelle mes collègues ont tenté de répondre dans nos dernières Perspectives économiques régionales. Nous l’avons abordée sous deux angles : l’évolution des indicateurs traditionnels de compétitivité, comme les taux de change effectifs réels, et l’importance qu’a eue la compétitivité pour les résultats de croissance.
Indicateurs traditionnels : une situation guère réjouissante…
Notre analyse des indicateurs de compétitivité permet de tirer deux conclusions principales :
● Après avoir engrangé des gains de compétitivité pendant une partie des années 1990, de nombreux pays subsahariens ont constamment cédé du terrain. Les exportateurs de produits de base en particulier ont subi une forte érosion de leur compétitivité, leurs taux de change effectifs réels s’étant appréciés de pratiquement 40 % au cours de la période 2002-14.
● En 2014, les niveaux des prix dans bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne, notamment les exportateurs de produits de base, étaient beaucoup plus élevés que dans un groupe de pays comparateurs à faible revenu (Bangladesh, Cambodge, République démocratique populaire lao et Viet Nam) qui sont parvenus ces dernières années à diversifier leurs exportations et à intégrer les chaînes de valeur mondiales.
Le manque de compétitivité des prix est accentué par des obstacles structurels, en particulier la fragilité des institutions, l’offre limitée de main-d’œuvre qualifiée et les déficits d’infrastructures, autant de facteurs qui renchérissent les coûts de production. Par exemple, dans le dernier Indice de compétitivité mondiale (ICM) du Forum économique mondial, les pays d’Afrique subsaharienne ont obtenu des scores parmi les plus bas au monde. Il est d’autant plus préoccupant de constater que les améliorations ont été limitées depuis le milieu des années 2000 et que des goulets d’étranglement importants subsistent dans les infrastructures, l’état de préparation technologique et les services de santé et d’éducation. Cela étant, il est très encourageant de noter que, d’après l’enquête, des pays comme l’Afrique du Sud, le Botswana, le Kenya, Maurice, la Namibie, le Rwanda et les Seychelles affichent des scores ICM comparables aux scores moyens observés dans d’autres régions émergentes et en développement. Cela démontre que l’envolée des dépenses d’infrastructure de ces dernières années a réussi à réduire les coûts dans plusieurs pays.
Il est une autre conclusion intéressante, qui donne d’ailleurs matière à réflexion : la manière dont la participation accrue au commerce mondial des pays émergents et en développement à faibles coûts de production a en réalité intensifié la concurrence. Dans de nombreux cas, cette évolution a partiellement, voire totalement, neutralisé les réductions des prix que les pays de la région étaient parvenus à enregistrer.
La compétitivité a-t-elle joué un rôle important pour la croissance?
Nous avons ensuite analysé des périodes de croissance durable à travers le monde pour déterminer dans quelle mesure la compétitivité avait joué dans la croissance. Une croissance durable se définit par des périodes d’au moins cinq années consécutives de croissance annuelle réelle par habitant supérieure à 2 %. Il est apparu que, sur l’ensemble de l’échantillon (1980-2014), l’Afrique subsaharienne a connu moins de phases de croissance que d’autres régions mais que le nombre d’épisodes de ce type a augmenté considérablement depuis 2000.
Il est encore plus intéressant de constater que depuis 2000 la région semble avoir connu deux types différents d’épisodes de croissance durable. Dans la moitié des pays environ, la hausse des prix des produits de base ou un rebond à la sortie d’un conflit semblent avoir joué un rôle important dans l’essor de la croissance. En revanche, dans l’autre moitié des cas à peu près, la croissance est allée de pair avec une compétitivité soutenue et même avec une diversification des exportations dans certains pays (Burkina Faso, Éthiopie, Ghana, Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie).
Conséquences pour les pouvoirs publics
Trois grands enseignements semblent se dégager de ce qui précède :
● La solide croissance de ces dernières années ne doit pas faire perdre de vue que la compétitivité s’est dégradée, notamment pour bon nombre d’exportateurs de produits de base non agricoles de la région, et qu’une action résolue des pouvoirs publics, sur les plans macroéconomique et structurel, s’impose pour rétablir la compétitivité.
● À très court terme, il importe de préserver la stabilité économique, y compris en présence d’un régime de change flexible, en permettant une dépréciation du taux de change afin d’absorber l’impact des chocs.
● Néanmoins, des réformes structurelles à moyen terme de nature à accélérer la libéralisation des échanges, à valoriser les compétences sur le marché du travail et à améliorer les institutions et infrastructures sont tout aussi importantes, voire plus encore, pour renforcer durablement la compétitivité.
En conclusion, dans une conjoncture marquée par une repli rapide des cours des produits de base et des liquidités mondiale, l’Afrique subsaharienne doit rétablir sa compétitivité pour diversifier ses économies, pérenniser des taux de croissance élevés et créer des emplois pour une main-d’œuvre jeune et en plein essor, qui devrait s’accroître fortement tandis que la population du reste du monde commencera à vieillir.
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Antoinette Monsio Sayeh est Directrice du Département Afrique du FMI. Auparavant, elle a été Ministre des Finances du Libéria après avoir travaillé à la Banque mondiale pendant dix-sept ans. Avant d’entrer à la Banque mondiale, elle avait été conseillère économique aux ministères des finances et de la planification du Libéria.