La lune de miel de la Chine et de l’Afrique va-t-elle durer?

ParWenjie Chen et Roger Nord
Affiché le 21 décembre 2015 par le blog du FMI - iMFdirect

Le Président chinois Xi Jinping a récemment promis une aide de 60 milliards de dollars sur les trois prochaines années, qui illustre l’étendue du partenariat liant la Chine et l’Afrique.

graphique 1

Cependant, la Chine a basculé d’une stratégie de croissance alimentée par des investissements lourds et tirée par les exportations vers un modèle économique qui mise davantage sur la consommation intérieure, ce qui a entraîné une dégringolade spectaculaire des cours des matières premières. Les pays d’Afrique subsaharienne exportateurs de produits de base ont été durement touchés par la baisse des prix et du volume des échanges. Mais, à moyen terme, cette transition peut donner aux pays africains l’occasion de diversifier leur économie, qui repose actuellement sur leurs ressources naturelles, et de créer des emplois pour leurs populations jeunes, pour peu qu’ils engagent les politiques adéquates propres à promouvoir la compétitivité et à intégrer les chaînes de valeur mondiales.

Les nouveaux partenaires commerciaux de l’Afrique subsaharienne

La palette des partenaires commerciaux s’est remarquablement transformée au cours des vingt dernières années, surtout durant la dernière décennie.

Le remplacement des pays avancés — qui absorbaient près de 90 % des exportations africaines en 1995 — par de nouveaux partenaires commerciaux a été relativement rapide.

En 2014, plus de 50 % des exportations de l’Afrique subsaharienne avaient pour destination le Brésil, l’Inde et la Chine, cette dernière absorbant à peu près la moitié (graphique 1).

Les combustibles, métaux et matériaux bruts représentent 70 % des exportations de l’Afrique subsaharienne envers la Chine. Par contre, la majeure partie des importations de l’Afrique subsaharienne en provenance de Chine sont des biens manufacturés, suivis par des équipements et machines (graphique 2).

graphique 2

Quelle est l’incidence économique des liens grandissants entre l’Afrique subsaharienne et la Chine? Les nouveaux débouchés pour ses matières premières ont dopé les exportations de l’Afrique, dont la valeur réelle a quintuplé en vingt ans. Mais, chose plus importante sans doute, les relations commerciales de l’Afrique subsaharienne avec la Chine et d’autres partenaires commerciaux ont réduit la volatilité de ses exportations. Cela a permis d’amortir le choc de la crise économique mondiale de 2008-2009 qui a donné un coup de frein à la croissance des pays avancés et, partant, à la demande d’importations de ces derniers. Dans le même temps, la Chine a en fait accru sa contribution à l’essor des exportations africaines, ce qui a amorti l’impact de la Grande Récession sur la croissance de l’Afrique subsaharienne. Du côté des importations, l’accès à des biens de consommation chinois bon marché, depuis les vêtements jusqu’aux cyclomoteurs, a amélioré le niveau de vie des Africains et contribué à une inflation basse et stable.

Nouvelles sources de financement

De la même manière, les sources de capitaux de l’Afrique subsaharienne se modifient, à un moindre degré cependant. Les investissements directs étrangers (IDE) de la Chine en Afrique subsaharienne ont sensiblement augmenté depuis 2006, mais ne représentent encore qu’une faible part du total — moins de 5 % en 2012 (graphique 3).

Néanmoins, la Chine est devenue une source plus importante de financement des projets d’infrastructures en Afrique subsaharienne au cours des dix dernières années. La part des prêts chinois dans le total de la dette de l’Afrique subsaharienne a beaucoup augmenté, passant de moins de 2 % en 2005 à environ 15 % en 2012. De plus, d’après les calculs de l’Heritage Foundation, l’Afrique subsaharienne concentrait en 2013 environ un quart des marchés d’ingénierie chinois (en base stocks). La plupart de ces marchés se rapportent aux secteurs de l’énergie (hydroélectricité) et des transports (routes, automobiles, ports, aviation).

Ayant parallèlement bénéficié d’un allègement sensible de ses dettes, l’Afrique subsaharienne a pu tirer de mieux en mieux parti de ces nouvelles sources de capitaux. En particulier, les financements de projets infrastructurels, pour lesquels les crédits concessionnels sont rares, ont permis aux pays africains d’accélérer leur développement industriel et de transformer la structure de leur économie. De plus, les entreprises privées chinoises sont de plus en plus nombreuses à investir dans les services et l’industrie manufacturière en Afrique subsaharienne, ce qui ouvre de nouveaux débouchés économiques au continent.

La transition économique de la Chine est une occasion à saisir pour l’Afrique

Le modèle de croissance de la Chine fondé sur les investissements lourds et tiré par les exportations a été bénéfique pour l’Afrique et y a créé un tremplin pour la poursuite de son développement. En 2010, le pays consommait environ 20 % des ressources énergétiques non renouvelables (pétrole, gaz, charbon) de la planète, 23 % des principales cultures agricoles (maïs, coton, riz, soja, blé) et 40 % des métaux de base (cuivre, aluminium).


La transition économique de la Chine, qui mise de plus en plus sur la consommation intérieure, a durement ébranlé à court terme les pays africains exportateurs de matières premières. La récente chute à pic des importations chinoises est particulièrement préoccupante pour l’Afrique subsaharienne, car elle a fait baisser à la fois le volume et les prix de ses exportations (graphique 4). De ce fait, le rythme de croissance de l’Afrique subsaharienne s’est nettement ralenti en 2015 par rapport aux années antérieures, encore qu’il y ait de grosses différences d’un pays à l’autre.


On constate aussi un déclin sur le plan des investissements. Le nombre de projets d’IDE déposés au Ministère du commerce extérieur chinois est tombé de 311 en 2014 à 260 en 2015. En mai 2015, le ministère constatait un recul de 45,9 % des flux d’IDE chinois en Afrique au premier trimestre 2015 par rapport à la même période l’année précédente. La nouvelle vague de crédit de 60 milliards de dollars sur trois ans promise par la Chine pour le financement du développement de l’Afrique constitue bien entendu une bonne nouvelle, mais reste à voir si les débouchés commerciaux pour ces financements, notamment dans les secteurs des ressources naturelles, seront au rendez-vous.

Malgré ces difficultés passagères, les perspectives à moyen terme pour l’Afrique subsaharienne et ses liens économiques avec la Chine restent favorables. L’évolution du modèle de croissance chinois ouvre des débouchés pour les pays en développement d’Afrique et d’ailleurs. Le Viet Nam et le Bangladesh ont déjà trouvé leur place dans les chaînes de valeurs mondiales de l’habillement et du textile, tandis que la Chine monte en gamme dans d’autres chaînes d’approvisionnement à plus forte valeur ajoutée.

Vu l’évolution démographique de l’Afrique subsaharienne, le nombre de ses habitants en âge de travailler (15-64 ans) dépassera en 2035 celui du reste du monde (graphique 5), l’abondance de la main-d’œuvre pouvant dès lors se transformer en un avantage comparatif. Si l’Afrique subsaharienne parvient à promouvoir sa transformation structurelle et à s’intégrer davantage dans les chaînes de valeurs mondiales au cours des prochaines décennies, elle aura une occasion historique de stimuler la croissance et de réduire la pauvreté. Il appartiendra aux décideurs du continent de saisir et de ne pas laisser passer cette occasion.


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Wenjie Chen est économiste au Département Afrique du FMI et contribue à la rédaction des Perspectives économiques régionales. Avant de rejoindre le FMI, elle a été Professeure assistante à la George Washington University, spécialisée dans la finance internationale et la macroéconomie. Son champ d’étude recouvre les investissements directs étrangers, les relations Chine-Afrique, les chaînes de valeur mondiales et les méthodes d’économétrie appliquée. Elle est titulaire d’un doctorat d’économie de l’université du Michigan.


Roger Nord est Directeur adjoint du Département Afrique du FMI, où il a été chef de mission au Cameroun, au Gabon, en Tanzanie et en Ouganda. Il a été précédemment Chef de division de la politique de surveillance au Département du FMI maintenant chargé de la stratégie, des politiques et de l’évaluation et, en son temps, conseiller du Directeur général Horst Köhler. De 1998 à 2002, il était représentant régional du FMI en Europe centrale, basé à Budapest.



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