Sept questions sur la chute récente des cours du pétrole

Rabah Arezki et Olivier Blanchard1
22 décembre 2014

Les cours du pétrole ont récemment chuté et tous les acteurs en subissent les effets : producteurs, exportateurs, États et consommateurs. De manière générale nous y voyons là un coup de fouet pour l’économie mondiale. Tout en gardant à l’esprit que nos simulations ne constituent pas une prévision de l’état de l’économie mondiale, elles signalent une poussée du PIB mondial de l’ordre de 0,3 à 0,7 % en 2015, par rapport à un scénario sans chute des cours. Cela dit, cette situation complexe et évolutive ne saurait se limiter à ces quelques considérations. Dans ce blog nous examinons la dynamique actuelle et future du marché du pétrole, les répercussions pour les différents groupes de pays et pour la stabilité financière, et les ripostes que peuvent envisager les pays pour gérer l’impact sur leur économie.

En résumé :

• Nous constatons que l’offre et la demande jouent dans le net recul des prix constaté depuis juin. Les marchés à terme sembleraient anticiper un rebond des cours du brut, mais ceux-ci se maintiendraient en dessous du niveau des dernières années. Cela étant, l’incertitude est grande quant à l’évolution de l’offre et de la demande à mesure que la situation progressera.

• Les conséquences de la chute des cours seront nécessairement différentes d’un pays à l’autre, mais certains points communs se dégagent : les pays importateurs, parmi les pays avancés et surtout parmi les pays émergents, devraient profiter d’une augmentation du revenu des ménages, d’une réduction des coûts de production et d’une amélioration de leur situation extérieure. Les pays exportateurs engrangeront moins de recettes et leurs budgets et leurs soldes extérieurs seront mis à mal.

• Les risques pour la stabilité financière se sont accentués mais restent maîtrisés. Les tensions sur les monnaies se sont pour l’instant limitées à un petit nombre de pays exportateurs, dont la Russie, le Nigéria et le Venezuela. Compte tenu des liens financiers qui sillonnent la planète, cette situation appelle une vigilance accrue et systématique.

• Les pays exportateurs de pétrole préféreront procéder à un ajustement graduel, en évitant toute contraction brutale des crédits budgétaires. Les pays qui n’ont ni fonds d’épargne ni règles budgétaires solides, risquent cependant de subir de fortes pressions sur le plan du budget et du taux de change. Si la politique monétaire appropriée n’est pas mise en place, cela peut attiser l’inflation et accélérer la dépréciation.

• La chute des cours du pétrole offre à de nombreux pays l’occasion de réduire les subventions énergétiques et d’utiliser les montants ainsi épargnés pour financer des transferts mieux ciblés, et à certains la possibilité de durcir la fiscalité énergétique en réduisant par ailleurs d’autres impôts.

• Dans la zone euro et au Japon, où la demande est faible et la politique monétaire classique a fait l’essentiel de ce qu’elle pouvait faire, les orientations prospectives (forward guidance) des banques centrales sont d’une importance cruciale pour ancrer les anticipations inflationnistes à moyen terme face à la chute des cours.

Nous rappelons que nos simulations de l’impact de la chute des prix du pétrole ne constituent pas une projection de l’état de l’économie mondiale en 2015 et durant les années suivantes. Ce type de projection fera l’objet de la prochaine mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale en janvier. À cette occasion, nous examinerons également beaucoup d’autres questions transversales touchant à la croissance, à l’inflation, aux déséquilibres mondiaux et à la stabilité financière.

Dans les paragraphes qui suivent, nous nous efforçons de répondre à sept grandes questions sur le repli des cours du brut :

1. Quels sont les rôles respectifs de l’offre et de la demande?

2. L’effet de la demande risque-t-il d’être durable?

3. Quels sont les effets probables sur l’économie mondiale?

4. Quels seront les effets probables sur les importateurs de pétrole?

5. Quels seront les effets probables sur les exportateurs de pétrole?

6. Quelles sont les retombées financières?

7. Quelle devrait être la riposte des importateurs et des exportateurs?

Quels sont les rôles respectifs de l’offre et de la demande?


Les cours du pétrole ont chuté de près de 50 % depuis juin, et de 40 % depuis septembre (graphique 1)2. Les cours des métaux, qui en règle générale sont encore plus sensibles à l’évolution de l’activité mondiale, se sont également repliés mais beaucoup moins que les prix du brut (graphique 2). De prime abord, cette observation semblerait indiquer que des facteurs propres au marché du pétrole, et notamment à l’offre, expliquent pour beaucoup la chute des cours.

À regarder de plus près, ce constat semble se confirmer. À en juger par les révisions, de juillet à décembre, des prévisions de demande de l’Agence internationale de l’énergie (graphique 3) et par les estimations de l’élasticité à court terme de l’offre de pétrole, la baisse imprévue de la demande durant cette période n’explique que 20 à 35 % du tassement des cours.


S’agissant de l’offre, plusieurs facteurs se manifestent, y compris les augmentations imprévues de la production. Cela tient en partie à la reprise plus rapide que prévu de la production libyenne en septembre et au fait que la production iraquienne n’ait pas été touchée, en dépit des troubles3. Mais l’intention manifestée par l’Arabie saoudite — le plus gros producteur de l’OPEP — de ne pas contrer l’augmentation soutenue de l’offre d’autres producteurs appartenant ou non à l’OPEP, et la décision ultérieure de cette dernière, en novembre, de maintenir le plafond collectif de production à 30 millions de barils par jours en dépit d’une surabondance apparente ont cependant été un facteur de taille.

L’augmentation soutenue de la production pétrolière mondiale pourrait être perçue comme la clé de l’énigme («le chien qui n’a pas aboyé»). Les cours du brut s’étaient en effet maintenus à un niveau relativement élevé en dépit de la trajectoire ascendante de la production pétrolière mondiale, en raison de ce qui était perçu à l’époque comme le prix plancher induit de l’OPEP. La réaction ultérieure du producteur d’appoint a toutefois contribué à provoquer un changement fondamental des anticipations quant à la trajectoire future de la production mondiale de pétrole, ce qui explique à son tour pourquoi les cours ont baissé d’autant et à ce moment, pour se rapprocher du niveau d’équilibre d’un marché en concurrence. Une chute des cours aussi spectaculaire s’était produite en 1986, lorsque l’Arabie saoudite avait décidé de ne plus jouer le rôle de producteur d’appoint : le prix du baril est alors descendu de 27 à 14 dollars, pour ne se redresser qu’une quinzaine d’années plus tard, en 2000.

Par-delà les facteurs classiques liés à la demande et à l’offre, d’aucuns citent la «financiarisation» (le brut et les autres matières premières étant considérés par les investisseurs financiers comme une catégorie d’actifs distincte) et la «spéculation» comme contribuant à la chute du prix du baril4. À notre avis, les données ne corroborent guère cette thèse. Selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie, les stocks de pétrole ont atteint leur niveau le plus élevé des deux dernières années, ce qui traduirait des anticipations d’augmentation des cours et non de baisse.

L’effet de la demande risque-t-il d’être durable?

Cela dépendra essentiellement de deux facteurs :

Premièrement, se pose la question de savoir si l’OPEP, et l’Arabie saoudite en particulier, seront disposées à réduire leur production à l’avenir. Cela dépendra en partie à son tour des raisons qui ont motivé le changement de stratégie et de l’importance relative des facteurs géopolitiques et économiques dans cette décision. Il est une hypothèse selon laquelle, face aux augmentations soutenues de l’offre hors OPEP, l’Arabie saoudite juge trop coûteux d’être le producteur d’appoint et de maintenir un prix élevé. Si tel est le cas, et à moins que les difficultés liées à une compression des recettes ne poussent d’autres producteurs de l’OPEP et la Russie à convenir d’un partage plus généralisé des réductions, il est peu probable que la stratégie en vigueur change de sitôt. Selon une autre hypothèse, il s’agirait d’une tentative de l’OPEP de réduire les bénéfices, les investissements et, à terme, l’offre des producteurs hors OPEP, dont certains doivent assumer des coûts d’extraction nettement supérieurs à ceux des principaux producteurs de l’OPEP (le graphique 4 décrit la courbe de coût marginal mondial, à savoir le coût de production d’un baril supplémentaire par type d’extraction pétrolière).

Deuxièmement, se pose la question de savoir comment l’investissement et, partant, la production pétrolière réagiront à la baisse des cours. Selon certaines indications, les dépenses en capital dans la production pétrolière auraient commencé à chuter. D’après Rystad Energy, les dépenses d’investissement globales des principales compagnies pétrolières pour le troisième trimestre 2014 sont inférieures de 7 % à ce qu’elles étaient en 2013.

Il ressort des projections de la même source que ces dépenses chuteront sensiblement jusqu’à la fin 2017. Pour le pétrole non conventionnel, comme le pétrole de schiste (qui représente désormais quelque 4 millions de barils sur une production journalière mondiale de 93 millions), le seuil de rentabilité — le prix à partir duquel l’extraction devient rentable — des principaux gisements de schiste des États-Unis (Bakken, Eagle Ford et Permian) se situe généralement en dessous de 60 dollars le baril (le graphique 5 indique les seuils de rentabilité des gisements de pétrole de schiste aux États-Unis).

Aux prix actuels (environ 55 dollars le baril), selon les projections de Rystad Energy, le niveau de production de pétrole pourrait diminuer mais de façon modeste, de moins de 4 % en 2015. Cela étant, les taux de rendement seront nettement inférieurs et certaines sociétés qui ont un niveau d’endettement élevé et ne se sont pas couvertes contre une baisse des prix connaissent déjà des difficultés financières et ont dû réduire les dépenses d’investissement et procéder à des licenciements massifs.

Autrement dit, toutes choses étant égales par ailleurs, l’effet dynamique de la baisse des cours devrait entraîner une diminution de l’offre par rapport au basculement initial et, partant, un redressement partiel des prix. C’est la lecture que l’on peut avoir des marchés à terme : la partie gauche du graphique 6 signale une remontée des cours à 73 dollars le baril d’ici 2019.

Les incertitudes liées à ces prévisions tiennent à la fois à l’offre et à la demande.

S’agissant de l’offre, par exemple, il ne faut pas sous-estimer les changements éventuels de stratégie de l’OPEP et les tensions géopolitiques en Libye, en Iraq, en Ukraine et en Russie. En ce qui concerne la demande, l’incertitude liée à l’activité économique et donc à la demande induite de pétrole demeure élevée. C’est d’ailleurs ce que montre très clairement l’ampleur de la distribution implicite des prix à terme (sur la base des prix des options) dans la partie droite du graphique 6 : l’intervalle de confiance de 68 % pour le prix en 2019  s’étend de 48 à 85 dollars et l’intervalle de confiance de 95 %, de 38 à 115 dollars, soit une fourchette particulièrement large.

 

Quels sont les effets probables sur l’économie mondiale?


Globalement, une baisse des cours du pétrole attribuable à l’évolution de l’offre est une bonne chose pour l’économie mondiale, avec, à l’évidence, d’importants effets de distribution entre importateurs et exportateurs de pétrole. Pour quantifier l’impact de ces changements de l’offre il faut poser des hypothèses fondamentales sur leur ampleur et leur persistance probables. Ces hypothèses détermineront non seulement la trajectoire de l’ajustement, mais aussi la réaction initiale des consommateurs et des entreprises.

Vu l’incertitude qui entoure l’importance relative des basculements de l’offre, actuels et futurs, nous présentons les résultats de deux simulations qui reflètent, à notre avis, un éventail raisonnable d’hypothèses (elles partent du principe que toutes choses sont égales par ailleurs; elles ne constituent pas des projections de l’économie mondiale et donc font abstraction des autres chocs que celle-ci pourrait subir). La première simulation suppose que le repli des cours constaté sur les marchés à terme s’explique à 60 % par l’offre. La seconde suppose le même pourcentage au départ mais prévoit aussi une inversion partielle du phénomène pour les raisons exposées plus haut, la contribution du basculement de l’offre à la baisse des prix s’amenuisant progressivement pour descendre jusqu’à zéro en 20195.

Les résultats des simulations ci-après ne tiennent compte que des effets de la composante offre du repli des cours du pétrole (la composante attribuable à la demande est un symptôme du ralentissement de l’activité économique mondiale et non une cause). La projection de prix retenue dans les simulations repose sur les prévisions de prix du FMI, elles-mêmes fondées sur les contrats à terme.

Le graphique 7 présente les résultats pour le PIB mondial. La première simulation se traduit par une augmentation de la production mondiale de 0,7 % en 2015 et de 0,8 % en 2016 par rapport au scénario de référence (situation avec la chute des cours). La seconde simulation aboutit, logiquement, à un effet plus modeste sur la production, de l’ordre de 0,3 % en 2015 et de 0,4 % en 2016. L’éventail de ces effets comprend des prédictions que l’on obtiendrait à partir des estimations empiriques applicables aux économies avancées. Il ressort des estimations de Blanchard et Gali (2009), par exemple, que l’effet d’une réduction permanente (imputable à l’offre) du prix du baril de 10 % aboutit à une augmentation de la production américaine d’environ 0,2 %6. En retenant une composante offre de la réduction de prix d’environ 25 % (60 % d’une baisse totale de 40 %), ces estimations supposeraient donc une augmentation de la production d’environ 0,5 %.

Ces résultats globaux cachent les effets asymétriques de la baisse des prix dans les différents pays. Les gagnants sont les importateurs (nets), et les perdants sont les exportateurs (nets). Mais même parmi ces deux groupes il existe de grosses différences.

Quels seront les effets probables sur les importateurs de pétrole?

La baisse des cours agit de trois manières distinctes sur les importateurs de pétrole. Premièrement, par l’effet de l’augmentation du revenu réel sur la consommation. Deuxièmement, par la réduction des coûts de production des produits finis et, partant, l’effet sur les bénéfices et l’investissement. Et troisièmement, par l’effet sur le taux d’inflation, globale et sous-jacente.

L’intensité de ces effets varie d’un pays à l’autre :

Par exemple, l’effet lié au revenu réel est plus faible aux États-Unis, pays qui produit désormais plus de la moitié du pétrole qu’il consomme, que dans la zone euro ou au Japon. L’effet lié au revenu réel et aux bénéfices dépend aussi de l’intensité énergétique du pays. La Chine et l’Inde continuent de présenter à cet égard une plus grande intensité que les pays avancés, et de ce fait profitent davantage d’une baisse des cours. La part de la consommation de pétrole dans le PIB est en moyenne de 3,8 % aux États-Unis, contre 5,4 % pour la Chine et 7,5 % pour l’Inde et l’Indonésie7.

L’effet sur l’inflation sous-jacente dépend à la fois de l’impact direct de la diminution des prix du pétrole sur l’inflation globale et de la répercussion de ces prix sur les salaires et les autres prix. L’ampleur de cette répercussion dépend, à son tour, de la rigidité des salaires réels (la réaction des salaires nominaux à l’inflation de l’IPC) et de l’ancrage des anticipations inflationnistes.

En conjoncture normale, la politique monétaire réagirait à une baisse de l’inflation sous-jacente par une diminution plus que proportionnelle des taux d’intérêt nominaux, et donc par une baisse des taux d’intérêt réels. Il se trouve que la conjoncture n’est pas normale et que les principales économies avancées se heurtent à des taux d’intérêt nuls, abstraction faite de l’assouplissement quantitatif. Les États-Unis, qui s’apprêtent à abandonner ce plancher zéro, peuvent réagir à un repli de l’inflation en retardant ce retrait, mais la zone euro et le Japon, qui devraient maintenir durablement des taux nuls, ne peuvent pas décliner sensiblement leur politique monétaire classique.

Nos simulations tiennent compte, dans toute la mesure du possible, de ces différences d’intensité énergétique, de part de production pétrolière intérieure et de contrainte de politique monétaire. Nous supposons que les anticipations inflationnistes sont ancrées de manière comparable aux États-Unis, dans la zone euro et au Japon, d’où une transmission d’environ 0,2, à savoir une baisse de l’inflation sous-jacente de 0,2 point de pourcentage lorsque l’inflation globale diminue d’un point de pourcentage.

Les répercussions sur le PIB sont indiquées au graphique 8 pour la première des deux simulations décrites plus haut.

Dans les deux scénarios, l’effet sur la Chine est plus important que sur le Japon, les États-Unis et la zone euro. Dans le cas de la Chine, le PIB dépasse de 0,4-0,7 % le scénario de référence en 2015, et de 0,5-0,9 % en 2016. S’agissant des États-Unis, le PIB augmente de 0,2-0,5 % en 2015, et de 0,3-0,6 % en 2016 (les hypothèses de simulation ne tiennent pas compte de l’effet compensatoire potentiel de certaines politiques pouvant être engagées suite à la chute des cours du pétrole; par exemple, la Chine pourrait décider de durcir sa politique monétaire ou sa politique budgétaire).

D’autres effets pertinents n’entrent pas en ligne de compte dans nos simulations. On citera notamment :

La dépréciation du yen et de l’euro depuis juin (de 14 et 8 %, respectivement, essentiellement pour des raisons étrangères au repli des cours du brut) suppose que la baisse des prix du pétrole dans ces monnaies a été plus faible que celle des prix en dollars, concrètement 36 et 40 %, respectivement. Ces dépréciations ont pour effet d’amortir quelque peu l’impact de la chute des cours pour le Japon et la zone euro par rapport à nos simulations.

Dans les pays à forte fiscalité spécifique — par opposition à proportionnelle — sur les produits énergétiques (c’est-à-dire prélevant un montant fixe par volume), un pourcentage donné de réduction du prix mondial du brut se traduit par un pourcentage de réduction plus faible du prix payé par les entreprises et les consommateurs. Les pays peuvent par ailleurs saisir l’occasion d’un repli des cours pour réduire les subventions — initiative recommandée de manière générale par le FMI —, ce qui se traduirait également par une moindre diminution des prix pour les entreprises et les consommateurs.

Certains pays importateurs sont fortement tributaires de la situation des pays exportateurs et donc pourraient profiter moins de la baisse des cours du brut. Par exemple, les pays importateurs à faible revenu des Caraïbes qui bénéficient des transferts du dispositif Petrocaribe institué par le Venezuela pourraient subir une forte diminution de ces transferts en raison de l’impact des cours sur le Venezuela. Les pays importateurs du Caucase et d’Asie centrale vont vraisemblablement subir les retombées du ralentissement de la croissance des pays voisins exportateurs de pétrole (notamment la Russie), qui aura pour effet de réduire les exportations non pétrolières et les envois de fonds. Les pays du Machreq et le Pakistan pourraient aussi être touchés par une baisse des exportations non pétrolières, des transferts officiels et des envois de fonds des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), notamment à moyen terme.

Quels seront les effets probables sur les exportateurs de pétrole?

Comme le montre le graphique 8, l’effet n’est pas négatif pour tous les exportateurs de pétrole, ce qui n’a rien d’étonnant. Cependant, là aussi, il y a de grandes différences entre pays.

Partout se produit une baisse du revenu réel et des bénéfices de la production pétrolière; ce sont là les effets symétriques de la situation dans les pays importateurs. Mais l’ampleur de ce recul et l’effet de la baisse des cours sur le PIB dépendent pour beaucoup du degré de dépendance à l’égard des exportations de brut et de la part des recettes qui revient à l’État.

Les exportations de pétrole sont plus concentrées que les importations. Pour le dire autrement, les exportateurs de pétrole dépendent beaucoup plus du pétrole que les importateurs.

Prenons quelques exemples. L’énergie représente 25 % du PIB de la Russie, 70 % de ses exportations et 50 % de ses recettes fédérales. Au Moyen-Orient, pour les pays du CCG, les recettes pétrolières fédérales représentent 22,5 % du PIB et 63,6 % des exportations. En Afrique, les exportations de pétrole représentent 40-50 % du PIB au Gabon, en Angola et en République du Congo et 80 % du PIB en Guinée équatoriale. Le pétrole rapporte 75 % des recettes publiques en Angola, en République du Congo et en Guinée équatoriale. En Amérique latine, le pétrole correspond à environ 30 % et 46,6 % des recettes publiques de l’Équateur et du Venezuela, respectivement, et à environ 55 % et 94 % de leurs exportations8. Cela situe l’ampleur des difficultés auxquelles devront faire face ces pays.


Dans la plupart des cas, la baisse des cours du pétrole pourrait vraisemblablement avoir pour effet mécanique de provoquer un déficit budgétaire. Pour illustrer les vulnérabilités des pays exportateurs de pétrole nous pouvons par exemple calculer ce qu’il est convenu d’appeler les prix d’équilibre budgétaire — c’est-à-dire, le prix du baril qui permet aux pays exportateurs d’équilibrer leur budget. Les prix d’équilibre varient considérablement d’un pays à l’autre, mais ils sont souvent très élevés9. Au Moyen-Orient et en Asie centrale, ils se situent entre 54 dollars le baril pour le Koweït et 184 dollars pour la Libye; à noter qu’il est de 106 dollars en Arabie saoudite (graphique 9). S’agissant des pays pour lesquels nous ne disposons pas d’informations sur les prix d’équilibre, les prix budgétaires du pétrole (c’est-à-dire les prix que les pays retiennent comme hypothèse dans la préparation de leur budget) constituent un autre moyen d’évaluer la vulnérabilité à la chute des cours.

Dans le cas de l’Afrique, ces prix budgétaires ont été révisés à la baisse pour 2015 compte tenu de la chute des cours (graphique 10). S’agissant de l’Amérique latine, les prix budgétaires sont de 79,7 dollars pour l’Équateur et de 60 dollars pour le Venezuela.

Certains pays sont mieux équipés que lors d’épisodes précédents pour gérer l’ajustement. Quelques-uns ont mis en place des dispositifs de réserve, tels que règles budgétaires et fonds d’épargne, et se sont dotés de cadres monétaires plus crédibles, ce qui a contribué à dissocier les équilibres intérieurs des équilibres extérieurs, comme en Norvège.

Mais dans beaucoup de cas, l’ajustement signifiera un durcissement budgétaire, une réduction de la production et une dépréciation (plus difficile à assurer dans un régime de change fixe, en vigueur dans beaucoup de pays exportateurs). Lorsque les anticipations inflationnistes ne sont pas bien ancrées, la dépréciation peut attiser l’inflation.

Quelles sont les retombées financières?

Les baisses du prix du pétrole ont des conséquences financières, à la fois directement et par le biais de l’ajustement induit des taux de change.

La chute des cours affaiblit la situation financière des entreprises du secteur énergétique, notamment celles qui ont emprunté en dollars, et, partant, elle affaiblit la situation des banques et autres établissements qui ont d’importantes créances sur le secteur énergétique. La part d’entreprises du secteur ayant un ratio de couverture des intérêts (c’est-à-dire le ratio rapportant les mouvements de trésorerie aux charges d’intérêt) inférieur à 2 est de 31 % dans les pays émergents, ce qui signale que certaines de ces entreprises pourraient effectivement être menacées. Les écarts CEMBI, qui rendent compte des écarts liés aux valeurs d’entreprises des pays émergents à rendement élevé, ont augmenté de 100 points de base depuis juin.

Les tests de résistance réalisés dans le cadre de nos évaluations de la stabilité financière durant ces dernières années dans plusieurs pays exportateurs de pétrole ont révélé que seuls dans quelques-uns d’entre eux certains établissements échouaient à ces tests, ce qui semblait indiquer que les besoins de recapitalisation représentaient tout au plus quelques points de PIB. Cependant, les résultats de ces tests de résistance ne fournissent sans doute qu’un éclairage limité car les marges de fonds propres ne sont plus les mêmes aujourd’hui et la rentabilité des banques a probablement, elle aussi, changé. La Russie est un bon exemple d’évolution rapide de la situation sur ces deux aspects, compte tenu de l’effet des sanctions sur son secteur financier. Globalement, l’impact de la baisse des cours sur les banques des pays exportateurs de pétrole dépendra essentiellement de sa durée et de son impact sur l’activité économique et, partant, sur les marges en vigueur.

Une diminution des prix du pétrole aboutit également en règle générale à une appréciation de la monnaie des pays importateurs, et notamment du dollar, ainsi qu’à une dépréciation de la monnaie des pays exportateurs. La chute des cours a contribué à une dépréciation brutale de la monnaie de plusieurs pays exportateurs, dont la Russie et le Nigéria. Cette chute n’est certes que l’un des facteurs qui explique la dégringolade du rouble, mais ce dernier a perdu 40 % de sa valeur cette année et 56 % depuis septembre. Si une dépréciation maîtrisée peut aider les pays exportateurs dans leur travail d’ajustement, elle peut également exacerber les problèmes financiers des entreprises et des États endettés en dollars. En outre, dans les pays où les anticipations ne sont pas bien ancrées, une dépréciation incontrôlée peut très rapidement aboutir à une inflation très forte.

S’il venait à durer, le repli des cours du pétrole aurait donc un effet concentré et sensible sur les obligataires et les banques ayant des engagements importants en dollars et dans les secteurs énergétiques. Cela dit, les engagements du système bancaire mondial ne devraient vraisemblablement provoquer tout au plus qu’une augmentation modérée des provisionnements et ils devraient être partiellement compensés par une amélioration de la qualité du crédit dans les pays importateurs de pétrole et dans les secteurs liés au brut. Cependant, par le truchement du secteur financier, certains pays importateurs de pétrole pourraient être liés aux pays exportateurs et être ainsi tributaires de l’évolution de la situation économique et financière de ces derniers. Par exemple, les banques autrichiennes ont d’importants engagements en Russie, et certaines ont enregistré une forte baisse de la valeur de leurs actions ces derniers temps.

Ce constat relativement optimiste doit toutefois s’accompagner d’une mise en garde sans équivoque. La Grande crise financière nous a appris que les fortes variations de prix et de taux de change, et l’incertitude grandissante qui, de ce fait, pèse sur la situation de certaines entreprises et certains pays, peut provoquer une plus grande aversion pour le risque au plan mondial, ce qui peut avoir de lourdes conséquences pour le recalibrage des risques et les fluctuations de flux de capitaux. Cela est d’autant plus vrai lorsque par ailleurs se produisent des événements, comme ceux auxquels nous assistons aujourd’hui en Russie. On ne saurait écarter totalement ce risque extrême.

Quelle devrait être la riposte des importateurs et des exportateurs?

À l’évidence, la riposte appropriée à une chute des cours du brut variera selon que le pays est importateur ou exportateur. Il y a toutefois une exception, qui concerne l’occasion qu’ont tous les pays de réformer les subventions et la fiscalité énergétiques. Depuis longtemps le FMI recommande aux gouvernements d’utiliser l’épargne qui découlerait de la suppression des subventions pour financer des transferts mieux ciblés10. Le faible niveau des prix offre une occasion exceptionnelle de supprimer les subventions à un moindre coût politique. Par exemple, récemment l’Inde a pu réduire les subventions au gazole sans provoquer de mécontentement social car les prix n’ont pas augmenté. En outre, plusieurs pays avancés pourraient accroître les taxes énergétiques et utiliser la marge ainsi acquise pour réduire d’autres impôts, tels que ceux qui frappent le travail.

Passons maintenant aux pays importateurs. En conjoncture normale, pour un pays en bonne santé macroéconomique —c’est-à-dire sans écart de production, avec une inflation conforme aux objectifs et un compte courant en équilibre —, les conseils sont bien rodés, forts de l’expérience des fluctuations passées des cours du pétrole : la politique monétaire doit veiller à faire en sorte que, en présence d’une inflation globale plus faible, les anticipations restent bien ancrées et l’inflation sous-jacente stable. La question de savoir si cela suppose que l’on augmente ou diminue les taux d’intérêt n’est pas si simple. D’une part, une augmentation de la demande appelle un relèvement des taux d’intérêt; d’autre part, pour éviter que l’inflation sous-jacente ne baisse, il faudrait sans doute faire baisser les taux. En tout état de cause, quelle que soit l’évolution des taux d’intérêt, l’amélioration du solde des transactions courantes entraînera vraisemblablement une appréciation du taux de change. Outre qu’elle est naturelle, cette appréciation est souhaitable.

Cependant, la conjoncture n’est pas normale. La plupart des pays avancés accusent un écart de production considérable, leur inflation est en-deçà de la cible et la politique monétaire conventionnelle se heurte à la contrainte de taux proches de zéro. Autrement dit, à ce stade, toute augmentation de la demande est salutaire et une diminution de l’inflation, qui ne peut être compensée par une baisse des taux d’intérêt, est plus dangereuse. Dans ces conditions, il est essentiel de miser sur les orientations prospectives (forward guidance) pour ancrer les anticipations inflationnistes à moyen terme et éviter une déflation persistante.

On pourrait penser que dans le cas des pays exportateurs la riposte appropriée serait la même que pour les importateurs, à un signe près. Mais il existe deux grandes différentes entre les deux types de pays : premièrement l’ampleur du choc auquel font face les pays exportateurs proportionnellement à leur économie est beaucoup plus forte. Deuxièmement, la contribution des recettes pétrolières aux recettes budgétaires est en règle générale beaucoup plus grande. Autrement dit, dans tous les pays, la diminution des recettes budgétaires et le risque de persistance d’un faible niveau de prix appellent une certaine compression des dépenses publiques.

Dans les pays qui ont accumulé un volume considérable de fonds lorsque les cours étaient élevés, un creusement des déficits budgétaires et une ponction durable de ces fonds sont appropriés. Cela vaut particulièrement pour les pays exportateurs ayant un taux de change fixe, et lorsque la dépréciation réelle nécessaire à l’ajustement peut prendre un certain temps.

Pour les pays qui ne disposent pas de cet espace budgétaire et dont la marge de déficit budgétaire est limitée, l’ajustement sera plus difficile. Ces pays nécessitent une dépréciation réelle plus importante. Ils doivent en outre avoir un solide dispositif monétaire pour éviter que la dépréciation n’aboutisse à une montée persistante de l’inflation et, partant, à une dépréciation accrue. Ce sera là un défi que certains pays exportateurs devront relever.

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Parry, Ian, and others, 2014, Getting Energy Prices Right: From Principle to Practice (Washington: International Monetary Fund).

Peersman, Gert & Van Robays, Ine, 2012. "Cross-country differences in the effects of oil shocks," Energy Economics, Elsevier, vol. 34(5), pages 1532-1547.


1 Nos remerciements vont à de nombreux collègues, et notamment à Thomas Helbling, Ben Hunt, Douglas Laxton, Prakash Loungani, Akito Matsumoto et Gian Maria Milesi Ferretti, aux membres des équipes chargées de la modélisation et des matières premières et aux collègues des départements Afrique, Asie Pacifique, Europe, Finances publiques, Moyen-Orient et Asie centrale, Marchés monétaires et de capitaux, Stratégie et évaluation des politiques et Hémisphère occidental. Nous remercions également Rystad Energy et Per Magnus Nysveen pour nous avoir aimablement fourni des données exclusives sur les dépenses en capital et les structures de coût.

2 Ces variations de prix reposent sur la moyenne des prix au comptant (APSP) calculée par le FMI. Il s’agit d’une moyenne simple des références U.K. Brent, Dubai et West Texas Intermediate.


3 Les gains liés à la production libyenne de septembre se sont toutefois inversés en novembre d’après le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie.


4 Voir Arezki, Loungani, van der Ploeg et Venables (2014) et les bibliographies qu’ils citent, pour une analyse des rôles respectifs des fondamentaux et de la financiarisation dans la dynamique des fluctuations des prix des matières premières.


5 La composante offre du second scénario est de 60 % en 2014, 45 % en 2015, 30 % en 2016, 20 % en 2017, 10 % en 2018 et zéro 2019.


6 Dans sa récente évaluation des effets du repli des cours du brut, la Bundesbank estime qu’une baisse de 10 dollars entraîne une augmentation de 0,2 % du PIB l’année 1. Selon les autorités françaises, cette même baisse se traduirait par une augmentation du PIB de 0,1 % au bout de deux ans. Hamilton (2003) et Kilian (2009) offrent des études empiriques de la relation entre les cours du pétrole et la macroéconomie, y compris une analyse de l’identification des chocs de l’offre par rapport à ceux de la demande. Baumeister et Peersman (2012), Peersman et Van Robays (2012), et Cashin et al. (2013) présentent des estimations dans l’espace et dans le temps de l’effet des prix du brut sur la production.


7 La part du pétrole dans le coût est calculée à partir du ratio consommation de pétrole/PIB moyen sur la période 2004-2014. Les sources de données sont la BP Statistical Review (2014) et les calculs des services du FMI.


8 Pour le Venezuela, les dernières estimations de la part du pétrole dans le secteur public correspondent à 2013; il s’agit de la part des recettes de l’administration centrale.


9 Les calculs des prix d’équilibre budgétaire font abstraction des effets compensatoires des dépréciations. En règle générale, une dépréciation du taux de change contribuerait à compenser partiellement l’effet d’une chute des cours sur les recettes d’exportation en monnaie locale.


10 Voir Clements et al. (2013) sur les réformes des subventions énergétiques. Voir également Parry et al. (2014), qui constatent que dans beaucoup de pays, les prix énergétiques sont inférieurs au niveau qui intègre entièrement les externalités négatives de la consommation d’énergie.



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