Un enjeu trop élevé: engager les réformes des prix de l’énergie
Par Ian ParryAffiché le 31 juillet 2014 par le blog du FMI - iMFdirect
L’énergie joue un rôle fondamental dans le fonctionnement des économies modernes. Dans le même temps, elle est au cœur de bon nombre des problèmes environnementaux urgents d’aujourd’hui—depuis le réchauffement climatique mondial (qui devrait atteindre de 3 à 4 degrés Celsius d’ici à la fin du siècle) et la pollution atmosphérique extérieure (qui provoque chaque année plus de trois millions de décès prématurés) jusqu’aux embouteillages dans les centres urbains. Dans une nouvelle publication du FMI, nous examinons précisément comment les gouvernants peuvent établir le juste équilibre entre les avantages économiques substantiels de la consommation énergétique et ses retombées indésirables sur l’environnement.
Ces dernières ont des conséquences macroéconomiques ; le FMI, grâce à son expertise en matière de conception et d’administration des impôts, est en mesure d’offrir des conseils avisés sur la façon d’établir les régimes de taxation de l’énergie de manière à ce que les prix énergétiques tiennent pleinement compte des effets pernicieux sur l’environnement.
Pour ce faire, nous définissons une méthode rationnelle et assez simple d’évaluation des dommages environnementaux et l’appliquons dans plus de 150 pays pour indiquer l’incidence probable de ces dégâts sur l’établissement de taxes efficientes sur le charbon, le gaz naturel, l’essence et le gazole. On calcule par exemple les dommages provoqués par la pollution atmosphérique à la santé humaine en estimant le nombre de personnes exposées aux émissions des centrales thermiques et des véhicules dans différents pays, et dans quelle mesure cette exposition accroît le risque de diverses maladies (cardiaques et pulmonaires et exemple). Malgré les controverses que cette approche ne manquera pas de susciter (concernant l’évaluation des dommages imputables au réchauffement climatique ou la façon dont les populations des différents pays évaluent les risques pour la santé par exemple), elle est assez souple pour intégrer facilement d’autres points de vue—elle est un point de départ aux discussions, et non un aboutissement.
Toutes les taxes ne sont pas nocives
Les ministres des finances de la planète doivent reconnaître qu’ils disposent d’instruments assez puissants. Regardons les choses en face : les impôts peuvent constituer un moyen efficace de dissuader les consommateurs et les entreprises d’utiliser certains produits - voyez ce qui s’est produit avec les cigarettes, dans de nombreux pays, au cours des 50 dernières années. Les taxes environnementales ou des instruments de tarification similaires peuvent contribuer à « établir le juste prix », autrement dit à intégrer le coût des retombées environnementales dans les prix énergétiques. Il s’agit avant tout de concevoir des impôts plus intelligents, et non plus élevés. Si ces instruments sont correctement orientés sur la source des dommages environnementaux, ils offrent le moyen le plus opérant de réduire les effets néfastes de la consommation énergétique. En outre, les revenus qu’ils produisent permettent aux pouvoirs publics de diminuer d’autres impôts élevés, ou de réaliser leurs objectifs budgétaires de manière plus efficiente et, partant, d’obtenir de meilleurs résultats sur le plan environnemental et sanitaire tout en limitant les effets négatifs sur le bilan économique.
En bref, les pays n’ont pas besoin d’attendre une action internationale pour engager une réforme des prix énergétiques, étant donné les immenses avantages environnementaux et budgétaires qu’elle présente au plan intérieur. Les ministres des finances ont un rôle central à jouer à cet égard, tant en termes d’administration que de restructuration du régime fiscal de manière à abandonner les taxes susceptibles de pénaliser le plus l’efficience et la croissance, comme l’impôt sur le revenu, en faveur de taxes énergétiques soigneusement conçues. Il nous faut toutefois définir soigneusement ce qui doit être soumis à l’impôt (« l’assiette fiscale »), et le montant que doivent couvrir les taux d’imposition.
Définir correctement l’assiette fiscale et les taux d’imposition
S’agissant de l’assiette fiscale, il existe plusieurs solutions, mais le moyen le plus simple de tarifer les émissions de carbone consiste à taxer les fournisseurs de combustibles fossiles au pro rata de la teneur en carbone du produit, dans le prolongement des taxes existantes sur les carburants. Des prélèvements similaires peuvent être appliqués aux fournisseurs pour la pollution atmosphérique locale ; il importe toutefois de prévoir des crédits ou des remboursements pour le captage d’émissions —comme les techniques de lavage de l'anhydride sulfureux dans les centrales électriques—puisque ce sont les émissions nettes libérées dans l’atmosphère qui portent atteinte à l’environnement. Pour ce qui est des véhicules motorisés, une redevance sur le nombre de kilomètres parcourus (variant en fonction des catégories de routes urbaines et le moment de la journée) est la méthode la plus efficace de réduire les encombrements, et devrait être réalisable à plus long terme ; entretemps, une mesure raisonnable consiste à établir des taxes sur les carburants tenant compte de tous les effets pernicieux sur l’environnement (tout particulièrement les émissions de carbone, la pollution, les encombrements, et les risques d’accident que les conducteurs représentent pour les autres usagers de la route).
En ce qui concerne les taux d’imposition, ils doivent être fixés en proportion des dommages environnementaux, pour assurer une fonction de contrôle automatique et veiller à ce que seules soient apportées les améliorations environnementales dont les avantages dépassent les coûts.
Pour régler le problème, fixer correctement les prix
Une conclusion robuste de l’étude est que les carburants sont universellement, et substantiellement, sous-imposés. Le degré de sous-imposition varie toutefois considérablement d’un pays à l’autre. C’est par exemple le cas du charbon, essentiellement sous-imposé à l’heure actuelle, mais dont la taxe sur le carbone indiquée au graphique 1 s’élève à 3,3 dollars EU par gigajoule d’énergie (deux tiers environ du prix moyen mondial) tandis que les dommages provoqués par la pollution atmosphérique (malgré les réglementations) se chiffrent à un montant supérieur à 10 dollars EU dans des pays comme la Chine et la Pologne (où la population est fortement exposée à la pollution), mais inférieur à 1 dollar par gigajoule en Australie et au Chili (où l’inverse est vrai). Les taxes correctrices sur l’essence sont également substantielles dans les pays avancés, émergents et en développement, mais visent davantage à refléter les coûts des encombrements et des accidents que de la pollution atmosphérique et des émissions de carbone.
Graphique 1. Taxes correctrices sur le charbon pour tenir compte des coûts environnementaux, pays représentatifs, 2010
L’enjeu est élevé – l’application de taxes correctrices sur les carburants fossiles (par rapport à la situation actuelle) entraînerait, selon les estimations, une diminution de 23 % des émissions mondiales de carbone, préviendrait 63 % des décès dus à la pollution provoquée par les émissions de carburants fossiles, et se traduirait par un gain budgétaire de 2,6 % du produit intérieur brut national en moyenne.
Ian Parry
Ian Parry est Conseiller d’assistance technique au Département des finances publiques du FMI; il se spécialise dans l’analyse budgétaire des questions de changement climatique et d’environnement. Avant de rejoindre le FMI, Ian occupait le poste «Allen V. Kneese» en Économie de l’environnement à Resources for the Future. Ses études portaient sur la stratégie climatique et environnementale, la politique des transports et la politique énergétique.