Construire l’avenir : emplois, croissance et équité dans le monde arabe
Par Christine LagardeLe 20 mai 2014
De retour d’Amman, où nous venons de conclure une conférence sur l’avenir des pays arabes en transition , je suis vraiment encouragée par l’esprit d’optimisme que j’y ai rencontré. Dans la foulée de ma visite au Maroc , ces quelques jours ont été extraordinaires et m’ont permis de mieux comprendre les peuples de cette région fascinante, et aussi les difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Je n’ai pas commencé ma visite en Jordanie dans une salle de conférences, mais au camp de réfugiés de Za’atari. C’est là que vivent aujourd’hui — à titre temporaire, espérons-le — plus de 100.000 Syriens qui ont fui le conflit sanglant dans leur pays. J’ai vu de mes propres yeux comment ces réfugiés font face à des circonstances extraordinairement difficiles — et comment la Jordanie, la région et la communauté internationale se mobilisent pour eux. Je suis encouragée de voir que l’hospitalité jordanienne ainsi que le soutien résolu des agences des Nations Unies et de nombreuses autres organisations d’aide empêchent une situation déjà désastreuse de devenir encore pire. Mais un surcroît d’aide est terriblement urgent. Au FMI, nous y contribuons, sous forme d’un prêt de 2,1 milliards de dollars accordé selon des modalités souples.
La Syrie n’est pas le seul dossier qui préoccupe les décideurs et les sociétés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Plus de trois ans après le début des transitions politiques, le débat se poursuit sur l’avenir économique vers lequel devrait tendre la région. Dans ce domaine aussi, le FMI offre son soutien — non seulement sous forme de concours financiers et de conseils, mais aussi en facilitant le débat sur ces questions importantes entre les pays et au sein de chacun d’eux. C’est dans cette optique que s’inscrivait la conférence que nous avons organisée avec le gouvernement de Jordanie et le Fonds arabe pour le développement économique et social.
Une vision solide et partagée
Ce fut une rencontre remarquable. Les participants sont venus de tous les pays de la région, ainsi que d’organisations internationales et des pays donateurs. Au niveau de chaque pays, les hauts responsables aussi bien que les entrepreneurs, les organisations de la société civile, le monde universitaire et la jeunesse étaient représentés. De fait, le secteur non gouvernemental constituait la moitié des quelque 300 participants. En les écoutant débattre, j’ai eu le sentiment qu’un plan d’action pour l’avenir de cette région était véritablement en train de prendre forme.
Les ateliers qui se sont déroulés le premier jour de la conférence ont produit d’innombrables suggestions intéressantes. Soucieux de permettre à chacun de se faire entendre, nous avons institué un mécanisme permettant à tous les participants — des ministres aux responsables des mouvements de jeunes — de choisir trois grandes priorités. Voici les résultats. Je mentionnerai juste quelques idées qui m’ont particulièrement frappée :
• Dans le domaine macroéconomique, il est apparu clairement que chaque pays avait besoin d’une vision solide et, surtout, partagée, car c’est ce qui permettra de susciter l’adhésion de tous aux actions à mener pour créer des emplois et rehausser les niveaux de vie. Sur un plan plus technique, il importe de changer la composition des dépenses publiques pour assurer une plus grande équité, une plus grande efficience et, au bout du compte, une meilleure répartition des bienfaits de la croissance. Cela signifie plus d’écoles et moins de subventions qui profitent essentiellement à ceux qui n’en ont pas besoin.
• Il est essentiel de créer des emplois, surtout pour les jeunes. Les intervenants ont insisté à juste titre sur l’importance de systèmes éducatifs qui favorisent l’emploi productif, d’une réglementation du marché du travail qui protège les travailleurs sans imposer de contraintes excessives aux employeurs, et d’un meilleur climat des affaires.
• La transparence et la gouvernance ont aussi été des thèmes importants de la conférence. En tant qu’ancienne avocate, j’ai particulièrement apprécié la volonté de renforcer les systèmes judiciaires et d’améliorer l’application des règles. L’État doit être responsable à l’égard des citoyens; pour cela, il peut par exemple mettre en ligne les informations sur le budget.
• Enfin, emplois, croissance et équité nécessitent un secteur privé prospère. Cela veut dire qu’il faut améliorer le climat des affaires. Il y a beaucoup à faire pour passer d’un système fondé sur le favoritisme et le clientélisme à un système reposant sur la concurrence. Commençons par simplifier les formalités de création d’entreprise, par améliorer l’accès au crédit et par établir un cadre moins punitif pour régler les cas d’insolvabilité.
Appliquer le programme de réforme
L’un des temps forts de cette conférence a été pour moi l’accueil des lauréats de notre Concours d'idées pour la jeunesse arabe — quatre jeunes gens et jeunes femmes au talent remarquable venant de Jordanie, du Yémen, de l’Égypte et du Liban. J’ai trouvé particulièrement stimulantes leurs idées sur la manière dont les économies de la région pourraient s’ouvrir à leur génération.
Quelle est la prochaine étape? Les idées sont bonnes et la conférence en a produit des quantités. C’est maintenant que l’étape la plus difficile commence : celle de leur mise en œuvre. Nous sommes convenus que chaque pays devait maintenant traduire ce plan d’action dans les faits, en fonction bien sûr de sa situation propre.
Je crois que les gouvernements sont désormais conscients qu’ils doivent amplifier les efforts déjà en cours, et le faire sur une grande échelle et sans tarder. Au FMI, nous nous tenons prêts à apporter notre concours, sous forme de conseils, d’assistance technique et de financements.