Repenser l’avenir de l’État : la réforme des dépenses publiques

Par Sanjeev Gupta et Martine Gerguil
Affiché le 16 avril 2014 par le blog du FMI - iMFdirect

La crise financière mondiale a mis en lumière la question de la viabilité des finances publiques. Mais elle n’a fait qu’exacerber un problème qui tôt ou tard allait être mis en évidence : partout dans le monde, les dépenses des États ne font qu’augmenter depuis plusieurs décennies. Le FMI a étudié les facteurs à l’origine de cette hausse des dépenses publiques, des dépenses sociales en particulier, et la dernière édition de notre Moniteur des finances publiques présente quelques-unes des options de réformes envisageables.

Comment expliquer l’accroissement des dépenses publiques

Le montant des dépenses de l’État est principalement fonction des préférences exprimées par chaque pays quant au périmètre de l’État et à la quantité de services qu’il fournit. Et pourtant, depuis un certain nombre d’années maintenant, les dépenses publiques sont en nette progression, par rapport à la production économique globale. Cette tendance peut s’expliquer en partie par des facteurs économiques fondamentaux (graphique 1).

Graphique 1. Hausse tendancielle des dépenses des administrations publiques (en % du PIB)

Au XIXe siècle, l’économiste Adolf Wagner a avancé la théorie que plus une nation s’enrichit, plus la demande de biens et de services publics augmente («loi de Wagner»). Une autre explication a été proposée par William Baumol, pour qui le coût de prestation des biens et services tend à augmenter plus rapidement que la productivité («maladie des coûts de Baumol»). Il donne pour exemple les musiciens d’un orchestre, dont les salaires augmentent, même s’ils ne jouent sans doute pas beaucoup mieux qu’une dizaine d’années plus tôt. L’analyse que nous développons dans le Moniteur des finances publiques fournit des éléments à l’appui des deux hypothèses.

Il en ressort que si l’on ne fait rien pour y pallier, la pression à la hausse des dépenses publiques va se poursuivre, mais à un rythme peut-être moins soutenu avec le tassement de l’augmentation des revenus et de la productivité. En fait, d’après nos estimations, en l’absence de réformes, le rythme de progression des dépenses publiques des pays émergents pourrait se situer entre 3 et 6 points de PIB jusqu’à 2050.

Deux autres facteurs contribueront sans doute aussi à la hausse tendancielle des dépenses publiques : le vieillissement démographique, car le coût de la santé et des retraites publiques va s’alourdir, et la normalisation des politiques monétaires, car la charge de la dette va augmenter dès lors que les taux d’intérêt vont remonter.

Les options de réforme des dépenses

Les gouvernements ont pour tâche principale de préserver la viabilité des finances publiques pour le présent et l’avenir, tout en encourageant la croissance et l’équité, et ce alors qu’ils sont sollicités pour accroître les dépenses. Pour résoudre la quadrature du cercle, il leur faut trouver un équilibre délicat entre les mesures fiscales et la réforme des dépenses.

Dans les pays avancés, où le rééquilibrage budgétaire s’impose de façon particulièrement pressante et où la marge de manœuvre pour accroître les recettes fiscales est limitée, il peut être nécessaire de réduire les dépenses dans le cadre d’une stratégie de réforme plus vaste. Dans beaucoup de pays émergents et à faible revenu, par contre, une grande partie de la population n’a pas accès à tout un ensemble de services tels que l’éducation et la santé. Il leur est possible d’accroître la fourniture de biens et de services publics en augmentant les impôts. Mais il leur faudra sans doute aussi redéfinir l’ordre de priorité des dépenses.

La situation et les préférences de chaque pays ont manifestement leur importance et, comme toujours, le diable se cache dans les détails. Un certain nombre d’éléments communs ressortent toutefois de l’expérience des pays qui ont réformé leurs dépenses publiques :

● Il faut éviter une réduction générale des dépenses. Cette solution radicale peut sembler commode, mais elle est inefficace, ne produit aucune avancée sociale et a des effets délétères sur la capacité de croissance à long terme de l’économie.

● Pour rétablir la viabilité des finances publiques, il faudra contenir les dépenses sociales et la masse salariale du secteur public qui constituent l’essentiel des dépenses de l’État. Pour restreindre les dépenses sociales, il faut agir sur les retraites publiques et les prestations sociales. S’agissant des retraites, la solution la plus séduisante consiste, semble-t-il, à relever progressivement l’âge de la retraite, tout en protégeant les groupes vulnérables et en élargissant l’accès en cas de besoin. Dans les pays avancés comme dans les pays en développement, un meilleur ciblage des prestations sociales peut dégager des économies budgétaires sans compromettre l’équité. Pour réduire durablement la masse salariale, il faudrait remplacer la politique de gel général des salaires et des recrutements appliquée par plusieurs pays depuis 2009 par des réformes structurelles plus profondes.

● Les États peuvent réduire les coûts en améliorant l’efficience. Des gains d’efficience considérables pourraient, semble-t-il, être réalisés dans le domaine de l’éducation et de la santé, ainsi que des investissements publics — ces derniers revêtant une importance particulière pour les pays à faible revenu.

● Il faudra stopper progressivement la baisse tendancielle du stock de capital public dans les pays avancés et les pays émergents. Pour freiner ce déclin (graphique 2), il faudra développer les investissements publics productifs ou accroître la participation du secteur privé.

● Des institutions budgétaires propices peuvent rehausser l’efficacité de la réforme des dépenses. Des études empiriques montrent que, par exemple, des dispositifs de décentralisation et des règles de dépenses efficaces peuvent aider à maîtriser les dépenses.

● Dernier point, et ce n’est pas le moindre, les réformes des dépenses ont plus de chance de réussir et d’être durables si elles s’appuient sur un large consensus politique. Une vaste campagne de communication est particulièrement importante, car les incertitudes politiques et les pressions sociales peuvent aisément faire dérailler les réformes.

Graphique 2. Baisse tendancielle du stock de capital public

NOTICES BIOGRAPHIQUES :


Sanjeev Gupta
est Directeur adjoint au Département des finances publiques du Fonds monétaire international (FMI). Avant de rejoindre le FMI, il a été membre du Kiel Institute of World Economics, en Allemagne; professeur titulaire à l’Administrative Staff College of India, à Hyderabad, et Secrétaire (affaires économiques) de la Fédération des chambres de commerce et d'industrie indiennes, à New Delhi. Il a d’abord exercé au sein du Département Europe du FMI, qu’il a rejoint en 1986, puis a travaillé au Département Afrique. M. Gupta a publié de nombreux ouvrages sur des questions de politique macroéconomique et budgétaire. Il a été le co-auteur ou directeur de nombreuses publications, dont : Governance, Corruption, and Economic Performance”, dont il a assuré la direction avec G. Abed, en novembre 2002; “Helping Countries Develop: The Role of Fiscal Policy”, co-dirigé avec B. Clements et G. Inchauste, en septembre 2004; et “The Economics of Public Health Care Reform in Advanced and Emerging Economies”, co-dirigé avec B. Clements et D. Coady, en avril 2012.


Martine Guerguil
, ressortissante française, supervise entre autres activités la rédaction du Moniteur des finances publiques. Dans ses fonctions précédentes au FMI, elle a dirigé des travaux sur la viabilité et l’allégement de la dette, ainsi que sur la conception des politiques macroéconomiques en Amérique latine et en Afrique. Avant de rejoindre le FMI en 1994, Mme Guerguil a travaillé pour la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes, à Santiago (Chili). Elle a étudié à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université de Paris, Panthéon-Sorbonne.



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