Les pays émergents sont-ils encore forcés à subir?
Par Aseel Almansour, Aqib Aslam, John Bluedorn et Rupa DuttaguptaAffiché le 3 avril 2014 par le blog du FMI - iMFdirect
Le récent ralentissement de la croissance des pays émergents alimente une manie grandissante sur les marchés et dans les sphères dirigeantes. D’aucuns ont peur que leur croissance spectaculaire dans la première décennie des années 2000 (graphique 1) s’explique par un environnement extérieur favorable — crédit bon marché et cours élevé des produits de base. Et donc, tandis que les pays avancés montent en puissance et commencent à normaliser leurs taux d’intérêt, et que les progressions des cours des produits de base commencent à s’inverser, la croissance des pays émergents pourrait ralentir davantage.
D’autres affirment que des facteurs intérieurs (ou nationaux) ont joué un rôle : l’amélioration des normes de gouvernance, de véritables réformes structurelles et des politiques économiques robustes ont contribué à transformer fondamentalement les sources de la croissance des pays émergents
pour placer cette dernière sur une trajectoire plus basse mais plus durable.
La vérité se situe entre les deux. Il est clair que les pays émergents contribuent largement à l’économie mondiale, et que ce qui importe pour eux importe de plus en plus pour les perspectives mondiales.
Quant à savoir ce qui importe pour les pays émergents dans les années qui viennent, cela dépend les facteurs extérieurs et intérieurs tendent à favoriser ou à freiner leur croissance.
Le chapitre 4 de l’édition d’avril 2014 des Perspectives de l’économie mondiale montre comment les facteurs extérieurs ont tiré la croissance des pays émergents ces quinze dernières années. Il ressort de l’analyse que la croissance des pays émergents, quoique encore vigoureuse, a ralenti ces deux dernières années tant à cause de conditions intérieures que de circonstances extérieures.
Comment les facteurs extérieurs influent sur la croissance des pays émergents
Nous notons qu’une reprise vigoureuse dans les pays avancés est globalement positive pour les pays émergents, bien qu’elle s’accompagne d’une hausse des taux d’intérêt dans les pays avancés. En particulier, une accélération de 1 point de la croissance aux États-Unis fait généralement s’élever la croissance dans les pays émergents de 0,3 point dans le même trimestre, et l’effet cumulé reste positif au-delà de un à deux ans.
Pour comprendre pourquoi, examinons les forces en jeu. Premièrement, une accélération de la croissance dans les pays avancés devrait accroître les exportations des pays émergents. Deuxièmement, les capitaux internationaux devraient repartir des pays émergents vers les pays avancés pour profiter d’une croissance et de taux d’intérêt plus élevés. Pour les pays émergent qui commercent davantage avec les pays avancés (par exemple, la Malaisie et le Mexique), le premier effet dominerait; pour les pays émergents qui sont plus ouverts aux flux de capitaux (par exemple, le Chili et la Thaïlande), le deuxième effet pourrait compenser le premier partiellement ou totalement. Nos résultats semblent indiquer que pour les pays émergents dans leur ensemble, l’impact du premier dépasse probablement celui du second.
Ce n’est pas une surprise : si les conditions de financement extérieur des pays émergents se durcissent davantage qu’on ne peut l’expliquer par la reprise dans les pays avancés, les pays émergents ont tendance à souffrir, comme en témoignent les turbulences sur les marchés au début de 2014. Lorsque les capitaux quittent les pays émergents, leur monnaie se déprécie, ce qui aide sans doute la compétitivité de leurs exportations. Par ailleurs, les pays émergents relèvent généralement leurs taux d’intérêt pour chercher à freiner les sorties de capitaux, ce qui nuit à la croissance. Nos résultats indiquent que les répercussions négatives de la hausse des taux d’intérêt intérieurs tendent à compenser les gains tirés de la dépréciation monétaire.
Nous voyons ainsi que les résultats de ces pays dépendent non seulement de leur exposition aux facteurs extérieurs, mais aussi de leur utilisation, ou non, de leur politique nationale pour réagir à ces changements, ainsi que des modalités de leur intervention.
Environnement extérieur/facteurs intérieurs
Comme indiqué dans un blog antérieur, on peut considérer que l’écart de la croissance des pays émergents par rapport à sa moyenne au cours des quinze dernières années tient à facteurs extérieurs ou intérieurs.
Quels facteurs dominent — extérieurs ou intérieurs? Nous observons que les facteurs extérieurs expliquent une moitié ou plus de l’écart en moyenne, mais avec des différences importantes dans le temps et d’un pays à l’autre. Par exemple, le ralentissement brutal au pic de la crise financière mondiale s’expliquait presque totalement par des facteurs extérieurs pour la plupart des pays.
Des facteurs intérieurs ont été prépondérants dans la vive accélération de la croissance des pays émergents en 2006–07. Le ralentissement depuis 2012 tient aussi largement à des facteurs intérieurs. Ces observations correspondent à des études récentes qui ont souligné que les contraintes liées aux facteurs structurels intérieurs et à l’incertitude entourant l’action des pouvoirs publics pèsent davantage sur la croissance dans beaucoup des plus grands pays émergents (voir blogs de Anand et Tulin (2014) et de Dabla-Norris et Kocchar (2013)). Pour certains pays de grande taille ou relativement moins ouverts, comme la Chine ou l’Inde, les facteurs intérieurs — davantage que l’environnement extérieur — expliquent pour l’essentiel les fluctuations de la croissance par rapport au niveau moyen sur la période 1998–2013.
Qu’en est-il du rôle de la Chine en tant que facteur extérieur pour les autres pays émergents ? On pourrait s’attendre à ce que la deuxième plus grande économie du monde influe grandement sur la croissance des autres pays émergents, et c’est bien le cas. Nous observons que beaucoup de pays émergents ont pu tirer parti de la forte expansion chinoise pendant la crise. Mais le ralentissement récent de l’économie chinoise a aussi pesé sur leur croissance (voir graphique 3).
Changement de vitesse : s’ajuster à une croissance plus faible des pays émergents
Les prévisions de la croissance des pays émergents à partir de 2007, subordonnées à l’évolution des conditions extérieures, indiquent que certains des plus grands pays émergents ont connu une croissance inférieure aux prévisions depuis 2012 (voir graphique 4). Cela porte à croire que d’autres facteurs, principalement intérieurs, freinent la croissance dans bon nombre de pays émergents, y compris des contraintes liées à des facteurs structurels intérieurs. Et si les effets négatifs de ces facteurs intérieurs persistent comme ils l’ont fait au cours de l’année écoulée, la croissance des pays émergents restera plus faible pendant quelque temps, avec des répercussions sur la croissance dans le reste du monde.
Keeping the house in order
Il ne fait aucun doute que l’environnement extérieur continuera d’avoir un impact considérable sur la croissance des pays émergents. Les dirigeants doivent donc rester vigilants et attentifs à l’évolution extérieure. Beaucoup de craintes concernant les ramifications des chocs extérieurs sont justifiées. Une hausse brutale des taux d’emprunt extérieurs, sans accélération proportionnelle de la croissance des pays avancés, nuirait aux pays émergents. L’ajustement de la Chine à une croissance plus lente, mais plus équilibrée, modifiera inévitablement les perspectives des autres pays émergents. Et, si les pays avancés ne se redressent pas comme prévu aujourd’hui, les pays émergents s’en ressentiront aussi.
Cela dit, les facteurs intérieurs font aujourd’hui tomber la croissance au-dessous des niveaux attendus étant donné même les conditions extérieures actuelles. Donc, le ralentissement récent dans les pays émergents semble être autant le résultat de facteurs intérieurs que de facteurs extérieurs. Pour les dirigeants, la priorité consiste maintenant à mieux comprendre le rôle des facteurs intérieurs et à évaluer s’il est possible d’améliorer la résilience de ces pays quel que soit le contexte extérieur.
Biographies :
Aseel Almansour est un agent détaché à la Division études économiques mondiales du Département des études du FMI. Elle a travaillé aussi à la Division finances publiques du Département des statistiques du FMI. Elle possède un doctorat en statistiques appliquées de l’université de Florida State.
Aqib Aslam est économiste à la Division études économiques mondiales du Département des études du FMI, après avoir travaillé au Département Europe et au Département des finances publiques. Avant de rejoindre le FMI en 2010, il a travaillé à Goldman Sachs International, à la Banque d’Angleterre et au Service économique du gouvernement britannique. Il possède un doctorat de l’université de Cambridge. Il s’intéresse à la macroéconomie appliquée et à l’économétrie.
John Bluedorn est économiste à l’unité pays avancés du Département Europe. Il est arrivé au FMI en 2010, à la Division études économiques mondiales du Département des études chargées des Perspectives de l’économie mondiale. Avant de rejoindre le FMI, il a fait de la recherche post-doctorat à l’université d’Oxford et a été professeur à l’université de Southampton. Il s’intéresse à la finance internationale et aux marchés financiers, à la politique budgétaire et monétaire et au développement économique, principalement l’analyse empirique (économétrie appliquée). Il possède un doctorat de l’université de Californie à Berkeley.
Rupa Duttagupta est Chef de division adjoint de la Division études économiques mondiales du Département des études du FMI. Elle a rejoin le FMI en 2000 après avoir obtenu un doctorat à l’université du Maryland à College Park. Elle s’intéresse notamment à la croissance des pays émergents, aux flux de capitaux et aux crises financières.