Le temps des réformes est venu — pourquoi il faut redéployer les dépenses énergétiques en Afrique

Par Antoinette M. Sayeh, Directrice, Département Afrique
Fonds monétaire international
Affiché le 28 mars 2013 par le blog du FMI - iMFdirect

Pendant de nombreuses années, les pays d'Afrique subsaharienne ont dépensé des sommes considérables à subventionner les produits pétroliers et l'électricité, en y consacrant en moyenne 3 % à 4 % de leur PIB, c'est-à-dire à peu près autant que les dépenses publiques allouées au secteur de la santé. Cela doit nous amener à nous poser un certain nombre de questions importantes. Est-ce bien la meilleure utilisation à faire de ressources relativement rares? Où va cet argent? Est-ce qu'il améliore le sort des plus pauvres dans les pays africains? La compétitivité des pays s'en trouve-t-elle améliorée? À chacune de ces questions, la réponse est pratiquement toujours non. À mon sens, cet argent peut et doit être mieux utilisé en servant à investir dans les infrastructures physiques et sociales qui sont indispensables pour soutenir la croissance en Afrique subsaharienne. Telles sont les conclusions d'une étude récente du FMI.

Qui sont les bénéficiaires?

La plupart des produits pétroliers sont consommés par les ménages les plus aisés. Cette disparité est encore plus nette dans le cas des subventions à l'électricité puisqu'une forte majorité des pauvres n'est même pas raccordée au réseau électrique. Il arrive que les avantages procurés par les subventions ne restent même pas dans le pays, car celles-ci incitent à transférer clandestinement les produits pétroliers subventionnés vers des pays voisins où ils se vendent plus cher. Les subventions sont généralement plus élevées dans les pays exportateurs de pétrole, car ceux-ci connaissent rarement les contraintes financières auxquelles peuvent se heurter les pays importateurs de pétrole lorsque les cours mondiaux sont élevés. En outre, le coût des subventions est souvent moins transparent; il apparaît plutôt sous forme de diminution des bénéfices des compagnies pétrolières d’État et non comme un coût explicite dans le budget. Parfois, les pays pétroliers se laissent prendre au piège en ne considérant que leurs faibles coûts de production au lieu de comprendre qu’ils pourraient gagner bien davantage en vendant leurs produits pétroliers aux cours du marché mondial. Cela dit, les réformes doivent être appréhendées dans la transparence et soigneusement planifiées. La suppression des subventions aura des effets sur tout le monde, y compris sur les pauvres, qui en bénéficient un peu quand même, notamment parce qu’elles réduisent les coûts de transport des produits alimentaires.

La croissance en ligne de mire

Dans une perspective de croissance à moyen et plus long terme, le coût des subventions est aussi très élevé.

Tout d’abord, les subventions faussent les décisions d'investissement à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé. Si les compagnies d'électricité ne peuvent pas récupérer leurs coûts, cela enclenche un cercle vicieux de sous-investissement : les infrastructures négligées se délabrent, ce qui provoque de fréquentes pannes d'électricité qui réduisent la compétitivité et brident la croissance potentielle. Les investisseurs privés sont découragés et renoncent à engager les fonds pourtant si nécessaires pour développer la capacité énergétique.

C'est exactement ce qui se passe en Afrique subsaharienne depuis le milieu des années 1980, période pendant laquelle la production et la consommation d'énergie par habitant ont à peine augmenté, de sorte qu’aujourd'hui (hormis en Afrique du Sud) la capacité installée de l'ensemble de la région ne représente encore qu'un tiers environ de celle de l'Espagne. Si la capacité de production d'électricité n'est pas sensiblement développée, l'Afrique subsaharienne ne sera pas en mesure de maintenir ses taux actuels de croissance économique au cours des deux prochaines décennies. D'après des simulations de la Banque mondiale, si les infrastructures électriques de tous les pays d'Afrique subsaharienne étaient portées au niveau du pays le plus performant (Maurice, par exemple), les taux de croissance à long terme par habitant gagneraient deux points de pourcentage. Dans un grand nombre de pays, les coûts sont tirés vers le haut par la petite taille des installations et le recours à des systèmes thermiques ou des dispositifs d'urgence coûteux. Les pays qui regorgent de gaz naturel ou de ressources hydrauliques bon marché doivent accroître leur production et construire les infrastructures nécessaires pour revigorer les échanges régionaux en mettant en commun l'énergie.

De plus, les subventions énergétiques font directement obstacles à d'autres dépenses cruciales, notamment pour la construction des infrastructures dont les pays ont tant besoin et pour le financement des services sociaux. À titre d’exemple, même après les réductions récentes, le gouvernement du Nigéria dépense davantage en subventions énergétiques que pour financer l'éducation et la santé.

La montée des coûts

Il ne faut pas oublier les autres coûts, comme ceux que représente pour l’environnement la surconsommation de produits pétroliers par rapport aux autres formes d’énergie. Dans un continent qui a la chance de posséder des sources considérables d'énergie renouvelable, hydraulique et solaire par exemple, les subventions perpétuent la dépendance à l'égard des combustibles fossiles et minent la compétitivité de ces sources d'énergie renouvelable.

Dès lors, si les coûts d'opportunité sont élevés et si les pauvres n'y trouvent guère leur compte, pourquoi les subventions sont-elles maintenues? Comment faire pour les réformer?

Si les subventions énergétiques perdurent, c'est en partie parce qu'elles constituent un moyen relativement facile pour les gouvernements de transférer des ressources, surtout par rapport à des dispositifs de protection sociale peu développés. Une deuxième raison est que les groupes d'intérêts qui savent se faire entendre politiquement et qui sont les principaux bénéficiaires de ces subventions ne veulent pas renoncer à ces largesses et s’évertuent à faire capoter les efforts de réforme. Une troisième raison enfin est que la population dans son ensemble est souvent peu encline à abandonner les subventions, car elle ne fait pas confiance au gouvernement pour mettre les économies ainsi réalisées au service de la protection sociale ou de la croissance.

La voie de la réforme

On le voit, il n'est pas simple de réformer. Cela dit, l’analyse détaillée de différents pays du monde réalisée par le FMI met en lumière plusieurs leçons qui peuvent s’avérer utiles pour accroître les chances de réussite dans ce domaine. J'en mentionnerai trois qui revêtent une importance particulière en Afrique subsaharienne. Premièrement, il importe de bien préparer les réformes et de les appliquer de façon ordonnée. Il convient de bien informer le public de la situation pour qu'il comprenne combien d'argent est dépensé en subventions et qui en profite. Il faut du temps pour amener toutes les parties prenantes à soutenir une réduction des subventions énergétiques. Ce travail de préparation a pris de nombreuses années en Namibie et au Kenya avant que des réformes énergétiques puissent être menées à bien. Cette préparation soigneuse consiste en particulier à organiser avec détermination une campagne de sensibilisation du public, à adopter des mesures compensatoires en faveur des populations les plus touchées et à montrer l'utilisation qui sera faite des économies ainsi réalisées.

Deuxièmement, pour pouvoir être appliquées durablement, les réformes nécessitent des institutions solides. Ainsi, en Tanzanie, la réforme des subventions énergétiques comportait aussi la mise en place d'une entité de réglementation spécialisée, qui était chargée non seulement de délivrer des licences et d'édicter des règles techniques, mais aussi de tenir le public informé en permanence des prix et de veiller au bon fonctionnement du marché.

Troisièmement enfin, une réduction durable des subventions à la consommation d'électricité nécessite bien plus que des hausses de tarifs. En Afrique subsaharienne, les tarifs sont déjà considérablement plus élevés que dans les autres régions en raison des coûts. Les compagnies de services publics peuvent réaliser des gains d'efficacité en améliorant la gouvernance, en réduisant les pertes de distribution et les pertes commerciales, et en relevant les taux de recouvrement des recettes. De plus, le niveau peu élevé de la dette publique dans un grand nombre de pays d'Afrique subsaharienne offre l'occasion de réaliser des investissements importants dans des sources d'énergie meilleur marché.

La réforme des subventions énergétiques est un enjeu primordial pour la croissance future de l'Afrique subsaharienne. Il peut être préférable de procéder par étapes face à toutes les difficultés, mais les bienfaits à attendre d'une réforme réussie sont immenses. Le moment est donc venu de nous attaquer à la réforme des subventions avec une détermination renouvelée —il n'y a pas de temps à perdre.



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