Crise de croissance : le dilemme de l’Europe

Par Bas Bakker, Chef de division, Département Europe, Fonds monétaire international
Affiché le 21 octobre 2011 par le blog du FMI - iMFdirect

Alors que la situation s’enlise en Europe, il n’est pas inutile de réfléchir aux facteurs qui ont amené cette crise. Au cours des dix dernières années, les pays européens ont présenté de fortes disparités de croissance du PIB par habitant. Alors que l’Italie et le Portugal stagnaient à des taux proches de zéro, les meilleurs élèves affichaient une croissance de plus de 4%. Pourquoi la croissance est-elle beaucoup plus forte dans certains pays d’Europe que dans d’autres ? Et quelles stratégies permettraient aux lanternes rouges de redresser la situation avant qu’il ne soit trop tard ?

Pays européens : variation du PIB réel par habitant, 2000-10

Ce différentiel est, pour partie, un effet de la « convergence ». Il est beaucoup plus facile pour les pays pauvres que pour les pays riches d’avoir une croissance forte, puisqu’ils peuvent importer des technologies dont ils ne disposent pas encore. Pour un pays déjà riche et déjà à la frontière technologique, il est beaucoup plus difficile de réaliser une croissance rapide : le seul moteur d’enrichissement possible est l’innovation.

Mais la convergence n’explique pas tout. Certains pays ont affiché une croissance beaucoup plus lente que celle attendue compte tenu de leur niveau de richesse – ou de pauvreté – alors que d’autres au contraire ont dépassé les attentes. Ainsi, l’Italie et le Portugal ont enregistré une croissance moindre qu’anticipé, alors que la République slovaque et la Suède ont été plus performantes que prévu.

L’importance du niveau d’intégration dans l’économie mondiale


L'importance du niveau d'intégration dans l'économie mondiale

Quels sont les facteurs qui expliquent ces différences ? Les politiques macroéconomiques et les obstacles à la croissance. La lourde réglementation des marchés des biens et du travail, ainsi que l’inadaptation des institutions et des politiques macroéconomiques expliquent que certains pays sont moins flexibles, moins compétitifs et moins intégrés dans l’économie mondiale que les pays qui obtiennent de meilleurs résultats.

Il saute aux yeux en effet que les pays les plus dynamiques sont beaucoup plus intégrés dans l’économie mondiale que les pays moins performants. Dans les pays à forte croissance, tant les importations que les exportations sont élevés et en hausse, alors que dans beaucoup de pays moins performants, le niveau des échanges est plus faible et stationnaire. En Autriche, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, les ratios des exportations et des importations au PIB sont passés d’environ 15% en 1995 à plus de 20% en 2010. Il en va de même de la République tchèque et de la République slovaque et, dans une moindre mesure, de la Pologne. Par contre, en Grèce, en Italie, au Portugal et en Espagne, ces ratios ont stagné pendant la même période.

Pays de'UE : ouverture commerciale, 1995-2010

Guérir de l’eurosclérose

Le problème des pays à faible croissance en Europe n’est pas nouveau. À la fin des années 70 et au début des années 80, de nombreux pays d’Europe ont souffert d’«eurosclérose», à savoir d’un chômage élevé et d’une croissance faible. Ces années sont riches d’enseignements, car elles nous montrent qu’un changement de politique économique peut redresser une économie.

Prenons l’exemple de la Suède et les Pays-Bas. Dans les années 1980 et 1990, ces deux pays ont entrepris de profondes réformes pour stimuler la croissance après une longue période de piétinement. Leur expérience nous éclaire sur les réformes qui pourraient aider d’autres pays à renouer avec le succès économique.

Ces deux pays n’ont opéré des réformes qu’après qu’une période prolongée de morosité économique les a précipités dans une crise. Depuis une dizaine d’années, leur revenu par habitant baissait par rapport à celui de l’Allemagne ; leurs finances publiques se détérioraient et leurs déficits budgétaires se creusaient. Aux Pays-Bas, le chômage gagnait du terrain parce que les coûts salariaux réels étaient trop élevés ; en Suède, la croissance était handicapée par des industries traditionnelles peu performantes, une crise bancaire au début des années 1990, et une fiscalité confiscatoire.

Ces deux pays se sont attaqués à la fois à leurs déséquilibres macroéconomiques et aux obstacles à la croissance. Les réformes ont visé les goulets d’étranglement les plus pénalisants. Aux Pays-Bas, une priorité initiale a été de redynamiser l’emploi, qui souffrait du coût élevé  de la main-d’œuvre; la clé de voûte de la réforme a donc été un accord sur les salaires entre employeurs et syndicats.

Pays-Bas et Euède : PIB par habitant par rapport à l'Allemagne, 1970-2010

D’autres réformes des impôts et des prestations sociales ont aussi permis de créer des emplois et d’encourager davantage de personnes à s’intégrer au marché du travail. La Suède a agi sur plusieurs fronts : rééquilibrage budgétaire, réforme de la fiscalité, assainissement du système bancaire, et remise à plat du système de négociations salariales. Les deux pays ont également allégé la réglementation afin de permettre l’éclosion de nouvelles entreprises et de nouvelles activités.

Ces réformes se sont étalées sur plus de dix ans et ont mis un certain temps à porter pleinement leurs fruits, mais le revenu par habitant tant aux Pays-Bas qu’en Suède dépasse maintenant sensiblement même celui de l’Allemagne.

Quelles leçons sont à tirer aujourd’hui pour les pays moins performants?

• Premièrement, les réformes donnent des résultats, mais cela prend du temps. Il faut du temps pour opérer les réformes elles-mêmes. Il faut du temps pour que leurs effets soient visibles — initialement la situation peut même se dégrader — et se ressentent pleinement. Mais sur la durée, les bienfaits se cumulent, et ils peuvent être considérables.

• Deuxièmement, il est tout aussi essentiel de traiter les déséquilibres macroéconomiques que d’éliminer les obstacles à la croissance. Si les déficits et la dette ne sont pas maîtrisés, il y a peu de chances que la croissance ne décolle. De même, corriger les déséquilibres économiques sans éliminer les obstacles à la croissance n’aboutira pas à rehausser durablement la croissance.

• Troisièmement, les réformes à entreprendre évoluent au fil du temps. À mesure que les entraves à la croissance disparaissent, de nouvelles contraintes deviennent pénalisantes.



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