Un régime de ciblage de l’inflation constitue la meilleure solution en temps de crise
Depuis sa première application en 1990, le ciblage de l’inflation a généralement fait ses preuves en tant que stratégie de politique monétaire. La plupart des pays qui y ont eu recours ont pu réduire l’inflation et sa volatilité. Le ciblage de l’inflation a également permis à plusieurs pays émergents de substituer des mesures contracycliques à une politique monétaire procyclique, qui tend à amplifier les phases d’expansion économique et à aggraver la contraction de l’activité, ce qui a contribué à stabiliser la croissance du PIB.
Mon pays, la Colombie, en est un bon exemple. En 1999, après trois décennies où l’inflation était stable, mais obstinément élevée, nous avons adopté des cibles d’inflation. Avant ce changement, la banque centrale était confrontée à des mécanismes d’indexation complexes qui perpétuaient l’inflation. Elle était contrainte d’utiliser le taux de change comme point d’ancrage nominal de l’économie, sur fond d’inflation relativement élevée et de volatilité de la balance des paiements. En conséquence, en riposte aux chocs et aux cycles extérieurs, elle n’avait guère d’autre choix que de recourir à des mesures monétaires procycliques pour stabiliser le taux de change.
Changement de cap
Après l’adoption par la Colombie de cibles d’inflation, une politique monétaire contracyclique a pu être mise en œuvre pour la première fois. Les autorités ont alors permis la fluctuation du taux de change, qui a ainsi joué le rôle de première ligne de défense contre les cycles et les chocs extérieurs. Les réponses monétaires à la crise financière mondiale de 2007–09 et au choc lié à la pandémie de COVID-19 en 2020 en sont une illustration. Au cours de ces deux épisodes, les autorités ont laissé la monnaie nationale se déprécier, tout en comptant sur la crédibilité de la cible d’inflation, plutôt que sur le taux de change, comme principal point d’ancrage nominal de l’économie.
La stratégie de ciblage de l’inflation a également permis de contrer le fort choc inflationniste auquel nous avons été confrontés en 2014–16, lorsque la Colombie a subi une baisse simultanée des termes de l’échange après l’effondrement des cours du pétrole, une grave sécheresse et d’autres chocs sur l’offre. En conséquence, la dépréciation nominale annuelle a atteint 68 % en 2015, et l’inflation est passée d’environ 3 % à mi-2014 à 9 % en juillet 2016, puis a été ramenée au niveau cible de 3 % quelques années plus tard sans sacrifice majeur de la production. La crédibilité de la politique monétaire et la stabilité relative des anticipations d’inflation à long terme ont contribué à la réussite de cet ajustement.
Les défis de l’après-COVID
Les pays émergents qui ont opté pour le ciblage de l’inflation affrontent des défis de taille dans le contexte actuel post-pandémique. Le régime repose largement sur la crédibilité des autorités lorsqu’il s’agit de maintenir l’inflation à un niveau proche de sa cible, ce qui n’a pas été le cas depuis 2021.
Une fois de plus, la Colombie en est un bon exemple. L’inflation a progressé de moins de 2 % en 2020 à 13,1 % en 2022, son niveau le plus élevé depuis que nous avons adopté le ciblage de l’inflation. Cette hausse est due en grande partie aux prix des denrées alimentaires, qui ont augmenté à un rythme annuel de près de 28 % en 2022 sous l’effet de chocs sur l’offre tant nationaux qu’internationaux.
Une forte reprise de la demande globale a également poussé l’inflation à la hausse. Le PIB colombien a augmenté de plus de 10 % en 2021 et de 8 % en 2022. Le déficit croissant de la balance des transactions courantes est proche d’un record historique, malgré l’amélioration des termes de l’échange en 2022. Une demande excédentaire a également provoqué une tendance à la hausse de l’inflation de base qui, hors alimentation et prix réglementés par le gouvernement, est passée de 2,5 % en 2021 à 9,5 % en 2022.
La forte dépréciation de la monnaie nationale a également influencé l’évolution de l’inflation. À fin 2022, le peso colombien s’était déprécié de 38 % par rapport au début de 2021. Cette dépréciation est plus marquée que dans la plupart des autres pays d’Amérique latine. Elle a été associée à une détérioration de la perception du risque-pays par les investisseurs au cours des deux dernières années, avec des déficits budgétaires qui dépassaient largement ceux des autres pays de la région.
Les différents mécanismes d’indexation ont également une incidence sur l’inflation. Le relèvement annuel du salaire minimum, qui intervient au début de chaque année sur la base de l’inflation passée observée, est un facteur clé. À cet égard, les années 2022 et 2023 ont été singulières, puisque le salaire minimum a progressé respectivement de 10 % et de 16 %, soit bien plus que l’inflation globale. Ces hausses du salaire minimum ont contribué à maintenir l’inflation à un niveau élevé en raison de leur impact sur les coûts de production et de la spirale caractéristique salaires–prix : les prix grimpent sous l’effet de la hausse des salaires, qui augmentent à leur tour pour compenser la hausse des prix.
Communication et transparence
Dans ce contexte difficile, la politique monétaire a subi un resserrement sans précédent. Jusqu’à présent, la banque centrale a augmenté le taux d’intérêt directeur de 1,75 % en septembre 2021 à 12,75 % en janvier de cette année.
La succession de chocs sur l’inflation observée depuis 2021 et la réévaluation forcée de la politique monétaire qui s’imposait en conséquence ont également représenté un défi de communication pour la banque centrale. En raison des effets inflationnistes considérables et prolongés de ces chocs, la période de convergence vers la cible d’inflation est longue, et il faut l’expliquer au grand public. Une convergence trop rapide peut être très coûteuse en matière de production et d’emploi, mais une convergence trop longue risque de désancrer les anticipations d’inflation.
La banque centrale a déclaré publiquement que le processus de resserrement n’était pas fini et qu’elle était déterminée à ramener l’inflation à sa cible de 3 % sur une période de deux ans, avec un écart acceptable de 1 point de pourcentage. Heureusement, les anticipations d’inflation sont largement conformes à la trajectoire de convergence que nous souhaitons.
Ancrage crédible
L’inflation devrait décroître rapidement par rapport aux normes historiques, mais connaîtra probablement sa plus longue période au-dessus de son taux cible depuis l’introduction du régime de ciblage. Il sera donc plus difficile de maintenir la crédibilité de la cible en tant que principal point d’ancrage nominal de l’économie.
De toute évidence, les défis en matière de politique monétaire seront particulièrement difficiles à relever en 2023 et 2024. Nous prévoyons une forte décélération de l’activité économique, qui ramènerait la croissance du PIB à un faible taux de 0,2 % en 2023, sous l’effet d’un durcissement des conditions financières mondiales, d’un ralentissement de la croissance chez nos partenaires commerciaux et de la nécessité d’une politique monétaire nationale de contraction qui garantisse le rapprochement de l’inflation vers la cible établie par la banque centrale.
Ces défis ne constituent nullement un argument contre la stratégie de ciblage de l’inflation. Ils soulignent plutôt l’importance que nous attachons au renforcement de son rôle d’ancrage et la nécessité de mener, dans la conjoncture actuelle, une politique monétaire restrictive qui témoigne de l’engagement de la banque centrale à l’égard d’une cible d’inflation explicite et crédible.
Associé à un taux de change flottant, le ciblage de l’inflation a été bénéfique à l’économie colombienne. Le pays a ainsi pu faire face aux chocs économiques par des moyens autrefois inaccessibles. Nous restons convaincus que le renforcement de sa crédibilité reste le meilleur moyen de surmonter cette période difficile.
Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.