Renforcer la viabilité des finances publiques dans le monde arabe Kristalina Georgieva, Directrice Générale du FMI
le 10 février 2023
Salam aleykoum .
Je suis ravie de participer à vos côtés à notre septième Forum arabe des finances publiques. Je tiens à remercier Son Excellence Mohamed bin Hadi Al Hussaini, ministre d’État chargé des affaires financières , ainsi que M. Al-Hamidy et son équipe du Fonds monétaire arabe, pour l’accueil qu’ils nous ont réservé.
Notre collaboration s’est avérée très précieuse au cours des dernières années. Nous avons beaucoup accompli ensemble, et notre partenariat avec la région s’est renforcé. L’année 2023 est à marquer d’une pierre blanche : vingt ans après Dubaï, c’est à Marrakech que se tiendra l’Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, au mois d’octobre.
Au cours de cette période, le monde arabe a réalisé de remarquables avancées et occupe sans conteste un rôle mondial de premier plan. J’en veux pour preuve le Sommet mondial des gouvernements, qui s’ouvrira demain, ou la conférence des parties, qui se tiendra dans la région pour la deuxième année de suite.
Malgré ces réussites, la région, tout comme une grande partie du monde, fait face à des difficultés considérables qui naissent de la confluence de plusieurs crises.
Aujourd’hui, je souhaiterais me pencher sur l’un des enjeux les plus urgents pour la région : il s’agit de savoir comment renforcer la résilience des finances publiques pour protéger nos populations, nos économies et notre climat.
1) Perspectives économiques
Commençons par les perspectives économiques, dans le monde et dans la région. [ Puisque vous avez déjà évoqué l’évolution de la situation macroéconomique régionale, je me contenterai de quelques remarques. ]
La croissance mondiale reste faible, mais il se peut qu’elle soit à un tournant . Après une expansion de 3,4 % l’an dernier, nous prévoyons que la croissance va ralentir à 2,9 % en 2023, avant de se redresser légèrement pour atteindre 3,1 % en 2024. Nous avons publié nos dernières prévisions il y a deux semaines ; elles sont certes moins sombres que celles du mois d’octobre, mais annoncent toujours un ralentissement de la croissance, et la lutte contre l’inflation restera une priorité en 2023.
Point positif, nous prévoyons que l’inflation passera de 8,8 % en 2022 à 6,6 % cette année, et à 4,3 % en 2024 ; pour autant, dans la plupart des pays, elle restera supérieure aux niveaux observés avant la pandémie.
Il s’agit là d’une évolution encourageante, mais les risques de dégradation persistent. Il est possible que la reprise de l’économie chinoise patine. L’inflation pourrait rester plus élevée que prévu, ce qui nécessiterait un durcissement encore plus important de la politique monétaire, au risque d’une réévaluation brutale des actifs sur les marchés financiers. La guerre menée par la Russie en Ukraine pourrait gagner en intensité, ce qui fragmenterait encore davantage l’économie mondiale.
À mesure que l’économie mondiale ralentira,la croissance devrait aussi chuter au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, pour passer de 5,4 % en 2022 à 3,2 % cette année, avant de remonter à 3,5 % en 2024. Les baisses de production décidées par l’OPEP+ pourraient réduire les recettes globales des pays exportateurs de pétrole. Quant aux pays importateurs de pétrole, ils pourraient se heurter à des difficultés persistantes. La dette publique est particulièrement préoccupante : plusieurs pays de la région présentent des ratios dette/PIB élevés, dont certains avoisinent les 90 %.
En outre, pour la quatrième année consécutive, l’inflation devrait dépasser les 10 % dans la région, au-dessus de la moyenne mondiale . Pour les pays émergents et les pays à faible revenu de la région, cette situation tient aux effets prolongés de la hausse des prix des denrées alimentaires ; dans certains cas, la dépréciation des monnaies nationales joue également un rôle. Nous nous attendons à ce que l’inflation diminue peu à peu, à mesure que les prix des produits de base se stabiliseront et que le durcissement des politiques monétaires et budgétaires portera ses fruits. Pour ce qui concerne les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’inflation devrait rester limitée.
Cependant, nous nous inquiétons des risques qui pèsent sur la région. La guerre que la Russie livre à l’Ukraine et des catastrophes climatiques pourraient aggraver les effets des pénuries alimentaires sur les plus fragiles. Qui plus est, le chômage reste très élevé, notamment chez les jeunes : dans ces conditions, les sociétés courent un risque considérable de déstabilisation.
Le durcissement des conditions financières, au niveau national comme au niveau international, pourrait entraîner une forte hausse des coûts de l’emprunt et, dans certains cas, l’assèchement des financements. Au niveau national, tout retard pris dans la mise en œuvre de réformes indispensables risquerait de compromettre les perspectives économiques et les finances publiques des pays de la région.
Vous l’aurez compris, nous abordons une nouvelle année difficile. Il y a cependant des raisons d’être optimiste, car les solutions ne manquent pas !
Ici, dans cette région, nous pouvons tous nous inspirer de la détermination et de l’esprit d’équipe des footballeurs marocains des Lions de l’Atlas lors de la coupe du monde organisée par le Qatar.
J’aimerais donc mettre en avant trois principes directeurs pour aider les pays à renforcer leur résilience en mobilisant leur politique budgétaire , avant d’expliquer comment nous pouvons faire équipe pour marquer des points sur des enjeux dont les solutions sont nécessairement collectives .
2. Renforcer la résilience grâce aux politiques budgétaires
Le premier de ces principes consiste à se doter d’un cadre solide pour la conduite de la politique budgétaire et la gestion des risques budgétaires .
Dans un monde marqué par les chocs et l’incertitude, la conduite de la politique budgétaire gagne en importance, mais aussi en complexité.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la volatilité des prix de l’énergie et des denrées alimentaires dans la région, qui contraint les autorités à intervenir pour protéger les plus fragiles, tout en préservant leurs plans de développement et d’investissement. À cette fin, elles doivent disposer de ressources financières suffisantes et planifier minutieusement leur emploi. Pour y parvenir, le Maroc élimine progressivement les subventions onéreuses et non ciblées pour les remplacer par des aides sociales ciblées. La Mauritanie a décidé d’ancrer sa politique budgétaire sur un niveau de référence pour surmonter la volatilité des recettes qu’elle tire de ses exportations minières ; elle a également augmenté les prix des combustibles de 30 % en réduisant les subventions. Enfin, certains pays exportateurs d’énergie profitent des périodes où les cours sont élevés pour constituer des réserves, afin de mieux affronter la volatilité des prix du pétrole.
Les États doivent également composer avec de nombreux risques budgétaires qui pourraient découler, notamment, des garanties publiques et des pertes essuyées par les entreprises d’État ; ces risques peuvent déstabiliser l’endettement et forcer les pouvoirs publics à réduire de manière draconienne des dépenses pourtant vitales. Pour mieux y faire face, l’ Égypte améliore le suivi de ce type de risques.
En outre, plusieurs pays arabes adoptent des cadres budgétaires à moyen terme réalistes. Cette mesure est indispensable pour atténuer les risques lorsqu’ils viennent à se matérialiser, et permet aux autorités de maintenir des dépenses essentielles, stabiliser la dette publique et inspirer confiance aux investisseurs. Le FMI aide plusieurs de ses pays membres à se doter de tels dispositifs. De plus, notre boîte à outils en matière de risques budgétaires permet de recenser les risques, de chiffrer leurs coûts éventuels et de hiérarchiser les mesures à prendre pour y faire face.
Le deuxième principe consiste à planifier et à investir sur le long terme pour surmonter les difficultés liées au changement climatique.
De l’Afrique du Nord à l’Asie centrale, la région se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde.
Il est non seulement urgent de réduire partout les émissions de gaz à effet de serre, mais il faut aussi prendre des initiatives dans de multiples domaines. Par exemple, pour accroître la capacité d’adaptation de la région, il est essentiel que les pays investissent dans des infrastructures résistantes aux effets du changement climatique et dans des systèmes d’alerte précoce. Les investissements dans les énergies renouvelables et la décarbonation de l’économie des pays de la région sont tout aussi indispensables.
Les autorités des pays de la région ont chiffré à plus de 750 milliards de dollars leurs besoins de financement pluriannuels en la matière. De tels besoins ne seront satisfaits qu’à condition que des politiques publiques et des solutions financières judicieuses soient mises en place pour favoriser un climat propice au financement privé de l’action climatique.
Dans ce domaine également, le FMI répond présent. Nous avons placé le climat au cœur de nos activités, et travaillons main dans la main avec nos partenaires pour faire progresser le financement de l’action climatique. J’en veux pour preuve la récente création de notre fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité, qui a pour ambition d’améliorer les politiques publiques en proposant aux pays membres des financements de long terme abordables pour les aider à surmonter des difficultés engendrées par le changement climatique. Nous sommes d’ores et déjà en pourparlers avec l’Égypte et d’autres pays concernant l’octroi de financements au titre de ce fonds fiduciaire .
Le troisième principe consiste à accroître les recettes fiscales.
Pour investir dans un avenir plus résilient, nous devrons renforcer davantage les politiques et les administrations fiscales. De nombreux pays de la région ont nettement augmenté leur capacité fiscale. Pourtant, le ratio moyen impôts/PIB, hors recettes tirées des hydrocarbures, n’est encore qu’à environ 11 %, ce qui représente moins de la moitié des recettes fiscales potentielles.
Il est possible d’obtenir de meilleurs résultats en améliorant la conception des politiques fiscales et en mettant fin aux exonérations fiscales qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. C'est ainsi que l’Algérie s’emploie à élargir son assiette fiscale et à répartir plus équitablement le poids de l’impôt. Bahreïn et l’Arabie saoudite ont recouvré des recettes considérables grâce à la mise en place de taxes sur la valeur ajoutée. Les Émirats arabes unis, pour leur part, s’apprêtent à mettre en place un impôt sur le revenu des sociétés.
Pour augmenter les recettes de l’État, il est également essentiel de moderniser l’administration fiscale ; les solutions numériques peuvent jouer un rôle utile à cet égard. C’est ce qu’a fait laJordanie, et le ministère palestinien des Finances s’y emploie également. La Somalie prend elle aussi des mesures et réforme son administration pour reconstruire ses capacités fiscales. Ce type d’initiatives doit permettre d’augmenter les recettes en assurant un meilleur respect des obligations fiscales par les contribuables ; les programmes de développement des capacités que propose le FMI peuvent vous aider à les concevoir et à les mettre en œuvre.
3. Approfondir la coopération internationale
Aujourd’hui, cependant, le niveau d’endettement de certains pays n’est pas viable, et les autorités nationales ne peuvent tout simplement pas résoudre seules ce problème urgent.
Le poids écrasant de la dette pèse sur les dépenses de santé, d’éducation et d’infrastructures ; cette situation frappe de plein fouet les populations les plus fragiles, mais il s’agit aussi d’un problème commun à l’ensemble de la région et au monde entier.
Dans ce domaine, l’esprit d’équipe doit prévaloir : le nombre de créanciers publics et privés est si élevé que seule la coopération multilatérale peut permettre de rétablir la viabilité de la dette.
En riposte à la crise de la COVID-19, le G20, sous présidence saoudienne, a lancé en 2020 l’initiative de suspension du service de la dette. Le cadre commun pour le traitement de la dette a été adopté peu après. Cependant, trois ans plus tard, il reste beaucoup à faire. Le traitement de la dette doit intervenir plus rapidement et de manière plus cohérente, et bénéficier à tous les pays qui en ont besoin.
Le moment est venu de passer aux actes , au-delà du problème des dettes souveraines.
Le monde arabe dispose d’une solide expérience en matière de coopération. C’est ainsi qu’au cours des cinq dernières années, les pays du CCG ont mis sur la table 54 milliards de dollars de financement budgétaire et de la balance des paiements. Ils ont également porté assistance dans la région à des pays à faible revenu et à des pays fragiles ou en proie à un conflit, en consentant des allégements de dette et en contribuant à la sécurité alimentaire. À ce titre, le Groupe de coordination arabe a annoncé l’année dernière des aides financières à hauteur de 10 milliards de dollars. Les pays donateurs peuvent également contribuer à la stabilité et à la croissance économiques de la région en participant à des initiatives multilatérales.
Depuis le début de la pandémie, le FMI a accordé quasiment 20 milliards de dollars de financement à certains de ses pays membres de la région. En outre, sur les 650 milliards de dollars de notre allocation record de droits de tirage spéciaux (DTS) de 2021, plus de 37 milliards ont bénéficié au monde arabe.
Avec les pays disposant de solides réserves, nous œuvrons désormais à la réaffectation de ces actifs en faveur des pays dont les besoins sont plus importants. Cela suppose également la réaffectation de DTS vers notre fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance , qui doit permettre de continuer à accorder des prêts à taux d’intérêt nul à des pays à faible revenu.
Au FMI, nous sommes fiers du partenariat que nous avons établi avec nos pays membres dans la région. L’ouverture de notre bureau de Riyad, qui apporte une preuve supplémentaire de la valeur du travail en équipe et du rôle de premier plan que joue la région, permettra de renforcer encore davantage cette coopération, au service de tous les habitants du monde arabe.
Choukrane .
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