Gouvernance budgétaire européenne : une proposition du FMI
le 6 septembre 2022
Face à un endettement élevé et à la hausse des taux d’intérêt, il est particulièrement important d’améliorer la gouvernance pour ancrer la politique budgétaire dans les États membres de l’UE.
Compte tenu du rôle primordial de la politique budgétaire dans la résolution des crises récentes et des difficultés à venir, les appels à réformer la gouvernance budgétaire en Europe sont plus pertinents que jamais.
La politique budgétaire apporte une aide capitale lorsque les ménages et les entreprises subissent des chocs de grande ampleur, comme la pandémie, ou quand la politique monétaire est entravée. Il faut cependant que les pays disposent de finances publiques saines. En raison de leur endettement élevé et de la hausse des taux d’intérêt, les États peinent davantage à répondre aux multiples priorités actuelles, notamment faire face à l’énorme augmentation du coût de la vie et à l’urgence climatique.
Dans ce contexte, l’Union européenne (UE) a besoin de règles budgétaires remaniées qui prévoient suffisamment de souplesse pour prendre des mesures audacieuses et rapides le cas échéant, mais sans mettre en péril la viabilité des finances publiques. Il est indispensable d’éviter toute crise de la dette qui pourrait avoir des effets très déstabilisants et menacer l’UE elle-même. Pour ce faire, il faudra accroître la marge de manœuvre budgétaire en temps normal.
Une nouvelle étude du FMI propose de réformer le cadre budgétaire de l’UE dans l’optique de relever les immenses défis qui se posent aux pouvoirs publics.
Une telle réforme devrait être avisée d’un point de vue économique et acceptable sur le plan politique, en s’appuyant sur les enseignements tirés de tentatives antérieures d’amélioration des règles budgétaires. Il sera essentiel de respecter la souveraineté des politiques budgétaires nationales tout en renforçant les incitations à adopter de bonnes politiques pour l’UE.
La proposition s’articule autour de trois piliers : remanier les règles budgétaires chiffrées pour tenir expressément compte des risques budgétaires auxquels les pays sont confrontés tout en ayant une direction claire à moyen terme ; consolider les institutions budgétaires nationales afin d’améliorer le débat intérieur et l’adhésion aux politiques ; et créer un fonds de l’UE pour aider les pays à mieux surmonter les ralentissements économiques et à fournir des biens publics essentiels.
Des réformes ambitieuses s’imposent
Les règles actuelles ont fait leurs preuves dans une certaine mesure, notamment en sensibilisant l’opinion au fait que les déficits budgétaires devraient être inférieurs à 3 % du produit intérieur brut, ce qui renforce la responsabilité des pouvoirs publics. Toutefois, elles n’ont pas empêché un accroissement préjudiciable de la dette publique et des risques qui pèsent sur la viabilité des finances publiques dans certains pays membres.
Comme nous l’avons vu avec la crise de la dette souveraine en Europe, ces risques ont menacé la stabilité de l’union monétaire dans le passé et restent des facteurs de vulnérabilité aujourd’hui, et ce malgré les nombreux efforts déployés pour améliorer les règles chiffrées et renforcer la surveillance centrale au fil des années.
Dans une certaine mesure, les règles ont été mal respectées en raison de la fragilité des institutions nationales, des pressions politiques et de chocs de grande ampleur. Cette réalité, conjuguée aux lacunes dans la conception du cadre budgétaire, qui fixe des plafonds de déficits pendant les périodes défavorables sans inciter suffisamment à constituer des amortisseurs durant les périodes propices, a été à l’origine de déséquilibres budgétaires. En outre, le cadre ne s’est pas révélé efficace pour stabiliser la production, et il est dépourvu d’instruments pour procurer des biens publics communs aux pays membres.
En réaction à la pandémie, en mars 2020, la Commission européenne a activé la « clause dérogatoire générale », qui permet d’enfreindre temporairement les règles budgétaires de l’UE. Les pays membres ont ainsi pu riposter de manière plus énergique et souple. Cependant, étant donné l’accroissement des déficits, dans de nombreux pays la dette a dépassé encore davantage le niveau de référence fixé à 60 % du PIB par le traité de Maastricht, ce qui crée des difficultés supplémentaires pour revenir aux règles actuelles.
La proposition du FMI s’articule autour de trois axes interdépendants :
- Des règles budgétaires à l’échelle de l’UE fondées sur les risques : Les actuels plafonds de référence fixés à 3 % pour le déficit et à 60 % pour la dette subsistent, mais la vitesse et l’ambition des ajustements budgétaires seraient liées à l’ampleur des risques budgétaires. Ceux-ci sont recensés par une analyse de viabilité de la dette qui repose sur une méthode commune, élaborée par un nouveau Conseil budgétaire européen indépendant, en concertation avec d’autres parties prenantes de premier plan. Les pays qui présentent des risques budgétaires plus élevés devraient tendre vers un solde budgétaire global nul ou positif au cours des trois à cinq prochaines années. Les pays qui affichent des risques budgétaires moindres et une dette inférieure à 60 % du PIB auraient davantage de souplesse mais devraient tout de même prendre en considération les risques dans leurs projets. Le cadre encouragerait la constitution d’une marge de manœuvre budgétaire assurant une grande souplesse pour faire face à des chocs et mener une politique anticyclique.
- Des institutions budgétaires nationales renforcées : Tous les pays de l’UE devraient adopter des cadres budgétaires à moyen terme et définir des plafonds annuels de dépenses sur plusieurs années compatibles avec le point d’ancrage de leur solde global durant la période. Des conseils budgétaires nationaux indépendants joueraient un rôle plus important pour renforcer le système d’équilibre des pouvoirs au niveau des pays, notamment en élaborant ou validant des projections macroéconomiques, en évaluant les risques budgétaires et en garantissant la cohérence des plafonds de dépenses et projets de budget. La Commission européenne continuerait à jouer son rôle stratégique de surveillance. Le Conseil budgétaire européen serait l’élément central d’un réseau de conseils budgétaires nationaux, qui contribuerait à promouvoir de bonnes pratiques et communiquerait un point de vue indépendant sur les risques d’endettement et la mise en œuvre du cadre.
- Une capacité budgétaire de l’UE bien pensée : Cela contribuerait à remplir deux missions essentielles : améliorer la stabilisation macroéconomique, surtout lorsque le taux directeur de la politique monétaire se situe à son niveau plancher effectif, et permettre la fourniture de biens publics communs à l’échelle de l’UE, par exemple des infrastructures de lutte contre les changements climatiques et de sécurité énergétique. Atteindre ces objectifs devient plus urgent en raison de la transition écologique et des fréquents problèmes de sécurité. Un fonds consacré à l’investissement pour le climat est une composante importante de la proposition.
La proposition doit être considérée comme un ensemble d’éléments interdépendants pour faciliter une réforme efficace. Cela passe par une relation de renforcement réciproque entre les règles de l’UE et leur application à l’échelle nationale, en particulier par une plus grande adhésion intérieure aux règles et par une meilleure harmonisation entre les dispositifs nationaux et les règles adoptées à l’échelle de l’Union. Un succès sur le premier point ne sera possible qu’en trouvant un compromis entre les besoins des pays membres et leur protection contre les retombées négatives d’autres régions de l’Union. Cela plaide en faveur d’une méthode fondée sur les risques, à savoir le premier pilier de la proposition du FMI. Le deuxième point appelle un rôle accru pour notre second pilier : des dispositifs nationaux nettement améliorés, y compris en renforçant les moyens et les missions d’institutions budgétaires indépendantes.
Face à la très grande incertitude économique et aux difficultés budgétaires à venir, une réforme du cadre budgétaire de l’UE ne saurait attendre. La prolongation de la clause dérogatoire générale jusqu’en 2023 ouvre une possibilité en ce sens. De nouveaux retards contraindraient les pays à revenir aux anciennes règles avec tous les problèmes qui vont de pair. Il ne faudrait pas laisser passer cette occasion.
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Vitor Gaspar dirige le département des finances publiques du Fonds monétaire international depuis 2014. Entre 2011 et 2013, il était le ministre d’État et des Finances du Portugal ; auparavant, il a occupé différentes fonctions au sein d’institutions européennes et portugaises, notamment chef du Bureau des conseillers de politique européenne (BEPA) à la Commission européenne, directeur général de la recherche à la Banque centrale européenne, directeur des études économiques et de la statistique à la banque centrale du Portugal, et directeur des études économiques au ministère des Finances du Portugal. Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne ; il est également diplômé de l’Université catholique portugaise.
Alfred Kammer est directeur du département Europe du Fonds monétaire international depuis août 2020. En cette qualité, il dirige les activités du FMI en lien avec l’Europe. Kammer était auparavant chef de cabinet de la Directrice générale, qu’il a conseillée sur les questions stratégiques et opérationnelles, tout en supervisant les activités de l’équipe de direction. Il a également occupé le poste de directeur adjoint du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation, et piloté les travaux du FMI en matière de stratégie et de surveillance. En tant que directeur adjoint du département Moyen-Orient et Asie centrale, il était chargé de la surveillance des évolutions économiques régionales et des questions relatives au secteur financier. Au poste de directeur du bureau de la gestion de l’assistance technique, il a conseillé la direction sur les opérations d’assistance technique et orchestré les collectes de fonds et les partenariats internationaux pour le renforcement des capacités. Il a également occupé le poste de conseiller du directeur général adjoint. M. Kammer a aussi rempli les fonctions de représentant résident du FMI en Russie. Depuis son entrée au FMI, il a travaillé aux côtés de pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient sur un large éventail de questions générales et stratégiques.
Ceyla Pazarbasioglu est directrice du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. En cette qualité, elle dirige les activités d’orientation stratégique du FMI ainsi que la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de ses politiques. Elle supervise également les interactions du FMI avec certains organismes internationaux, tels que le G20 et les Nations Unies.