Grèce : d’importants progrès mais des mesures s’imposent pour corriger les séquelles de la crise et promouvoir une croissance inclusive
le 31 juillet 2018
La Grèce a réussi à résorber ses énormes déficits budgétaires et courants et à rétablir la croissance. Elle doit désormais s’employer à corriger les séquelles de la crise et à promouvoir une croissance inclusive. C’est ce qui ressort du dernier bilan annuel de l’économie grecque publié par le FMI.
À l’occasion de la publication du rapport annuel sur la situation de l’économie grecque, Gros plan s’est entretenu avec Peter Dohlman, chef de mission pour la Grèce, pour traiter des grandes conclusions du rapport, des principales recommandations qui pourraient contribuer à améliorer les perspectives de croissance et à relever les niveaux de vie, et de l’avenir des relations entre le FMI et la Grèce.
1) Au terme des activités liées au programme conclu avec le FMI quel est le bilan des acquis de la Grèce?
Avant de répondre à votre question, permettez-moi de transmettre mes sincères condoléances au peuple grec suite à la récente tragédie provoquée par les incendies qui ont ravagé la région d’Attica.
Revenons à votre question. La Grèce peut signaler de nombreuses réussites. Elle a mis fin aux déficits budgétaires astronomiques (passant d’un déficit de 15 % du PIB en 2009 à un excédent légèrement supérieur à 1 % en 2017) et aujourd’hui son solde des transactions courantes est proche de l’équilibre. Pour y parvenir, la Grèce a dû prendre des décisions difficiles, notamment en matière de réforme des retraites et de la fiscalité, et opérer des améliorations dans l’administration publique, notamment en conférant une plus grande indépendance à l’administration des recettes.
Par ailleurs, la Grèce a déployé de meilleurs dispositifs de protection sociale, en adoptant par exemple le revenu social de solidarité. Elle a en outre doté les marchés du travail d’une plus grande flexibilité et rendu les salaires plus compétitifs.
Sur le marché des produits et des services, de nombreux secteurs ont été libéralisés conformément aux recommandations de l’OCDE, le dispositif de réglementation des investissements a été rendu plus propice à l’entreprise et plusieurs professions jusque-là fermées ont été ouvertes à la concurrence. Plus récemment, la Grèce a adopté un important arsenal juridique pour contribuer à résoudre les créances improductives, initiative essentielle pour remettre les banques d’aplomb. Ce travail, l’amélioration de la conjoncture extérieure et d’autres facteurs ont permis de rétablir la croissance. Celle-ci devrait d’après nous, s’accélérer à moyen terme au même titre que la création d’emplois. L’État a de nouveau accès aux marchés de capitaux, encore que pour l’instant les opérations se soient largement limitées à des activités de gestion des passifs.
2) L’accord de confirmation avec le FMI, dont le principe avait été approuvé, n’a jamais été déclenché. Faut-il comprendre que la Grèce n’a pas réalisé suffisamment de réformes?
L’accord visant à accompagner le programme d’ajustement économique des autorités a fait l’objet d’une approbation de principe et devait entrer en vigueur une fois que le FMI recevrait des assurances spécifiques et crédibles de la part des partenaires européens de la Grèce pour assurer la viabilité de la dette, et sous réserve du respect continu des objectifs du programme économique de la Grèce.
Bien que des assurances suffisantes n’aient pas été reçues à temps en matière d’allégement de la dette, l’accord a toutefois contribué à fournir aux créanciers les assurances nécessaires pour les décaissements en faveur de la Grèce et pour mener à terme la deuxième revue du programme du MES en juillet 2017. Il nous a en outre offert un cadre approprié pour entretenir une étroite coordination avec la Grèce et avec les institutions européennes au regard des politiques à mettre en œuvre, et permis d’aboutir à des résultats plus concrets.
3) Après cette reprise gagnée de haute lutte, le pays est-il tiré d’affaire?
Les acquis sont certes nombreux, mais la crise a laissé des séquelles très
profondes. Citons notamment les niveaux exceptionnellement élevés de dette
publique, les créances improductives, le chômage et les taux élevés de
pauvreté.
La Grèce doit s’attaquer à ces séquelles tout en assurant une croissance supérieure et durable et en restant compétitive au sein de la zone euro. Dans notre rapport nous préconisons un rééquilibrage de la politique budgétaire pour mieux accompagner la croissance et renforcer les dispositifs de protection sociale; un renforcement plus volontariste des bilans bancaires afin de rétablir le crédit; et l’adoption d’autres mesures pour doper la productivité et améliorer la gouvernance. La Grèce va devoir continuer de protéger les dépenses sociales et les dépenses d’investissement en se situant dans le cadre des objectifs d’excédents élevés convenus avec les institutions européennes.
4) Quelle sera la présence le FMI à l’avenir?
Comme pour tous les pays membres du FMI, nous continuerons de dresser un bilan de santé annuel, c’est-à-dire nos consultations au titre de l’article IV, lesquelles feront intervenir de vastes entretiens avec les autorités grecques sur l’ensemble des questions de politique économique. Le FMI assure également un travail dit de «post-programme» avec les pays qui ont mené à terme leur activités liées à un programme mais continuent d’assumer d’importantes obligations de remboursement à notre égard; autrement dit nos interactions avec les autorités ne se limiteront pas à celles qui découlent du cycle de consultations au titre de l’article IV.
Dans ce contexte, nous rendrons compte de ces activités au conseil
d’administration deux fois par an, dans le cadre du processus de
consultation titre de l’article IV et dans celui du suivi post-programme,
et publierons ensuite nos conclusions. Dans ces activités, nous
travaillerons en concertation avec les institutions européennes. Durant ces
dernières années, l’assistance technique a représenté une part
substantielle de nos relations avec la Grèce et nous estimons que ce
travail se poursuivra, à la demande des autorités, dans des domaines bien
ciblés tels que l’administration des recettes et la gestion des finances
publiques.
5) L’endettement de la Grèce reste très élevé. L’allégement de la dette consenti par les partenaires européens suffira-t-il?
L’allégement de la dette récemment convenu avec les partenaires européens, l’existence d’une vaste marte de liquidité, et le fait que l’essentiel de la dette publique grecque soit assorti de faibles taux d’intérêt du secteur officiel contribuent à améliorer considérablement les perspectives d’un accès durable aux marchés de capitaux à moyen terme.
Cependant, à mesure que la dette du secteur officiel arrivera à échéance et qu’elle sera remplacée par des concours du marché plus onéreux, la Grèce aura progressivement plus de difficultés à assurer le service de sa dette. Elle devra par ailleurs enregistrer un taux de croissance élevé du PIB et dégager d’importants excédents budgétaires primaires pendant de nombreuses années pour maintenir la dette publique sur une trajectoire descendante.
L’engagement des partenaires européens à accorder un allégement complémentaire le cas échéant, au terme d’une revue en 2032, représente un important dispositif de sécurité à cet égard.
6) On a beaucoup parlé des fortes réductions des retraites décidées par le gouvernement dans le cadre du programme. Pourquoi sont-elles nécessaires?
Les mesures programmées qui entreront en vigueur en 2019 représentent un autre pas décisif vers une croissance inclusive. Elles ne modifieront pas le niveau global du solde budgétaire des administrations publiques mais elles contribueront à mieux concilier les dépenses de retraite, l’aide sociale ciblée (y compris en faveur des ménages défavorisés et des chômeurs) et l’investissement. La réforme des retraites est essentielle pour permettre à l’État de s’acquitter de ses obligations envers les retraités dans le long terme et elle les rendra en outre plus équitable, aussi bien pour l’ensemble de la génération actuelle de retraités que sur l’ensemble des générations à venir. Certains retraités qui cotisent de longue date devraient pouvoir bénéficier de cette réforme.
À leur maximum en 2015, les retraites absorbaient 38 % des dépenses des
administrations publiques et l’État devait transférer 9,5 % du PIB pour
financer le régime de retraites. À l’époque, le système d’aide sociale de
la Grèce était fortement concentré sur des retraites extrêmement généreuses
par rapport aux salaires ou par rapport aux cotisations que les salariés
avaient versées durant leur vie active. Le montant considérable des
dépenses liées aux retraites, y compris en faveur des classes relativement
aisées, ne laissait guère de marge pour l’aide directe aux populations les
plus menacées par la pauvreté, y compris les ménages à revenu modeste et
les chômeurs.
7) Pourquoi le FMI s’inquiète de l’intention des autorités de revenir à l’ancien système de conventions collectives?
L’un des acquis les plus importants de ces huit dernières années est celui
d’un marché du travail plus flexible et d’une structure salariale plus
compétitive suite aux réformes des conventions collectives de 2011. Les
autorités ont toujours considéré ces changements comme provisoires et
envisagent désormais de les remettre en question, ce qui signifie que, de
nouveau, le gouvernement sera habilité à étendre les conventions
collectives négociées entre représentants des entreprises et des salariés
dans un secteur ou un métier donné à tous les travailleurs de ce secteur ou
de ce métier. Cela aura pour effet de réduire la flexibilité du marché
travail et risquera de dissocier les salaires de la productivité au niveau
de chaque entreprise, ce qui n’est pas de bon augure pour la réduction du
chômage et le renforcement de la compétitivité de la Grèce au sein de la
zone euro. En outre, les entreprises seront limitées dans leur capacité à
se restructurer, or cela reste nécessaire compte tenu du surendettement
bancaire, fiscal et social.
8) Les banques grecques sont-elles en bonne santé?
Les banques grecques ont été durement frappées par la crise. Suite à la participation du secteur privé à la restructuration de la dette souveraine de 2012, les actifs des établissements grecs ont perdu de la valeur. Cette perte a été aggravée par le fait que certains emprunteurs n’étaient tout simplement pas en mesure d’assurer le service de leur dette et par les défauts de paiement stratégiques des emprunteurs qui ont profité de la protection qui leur était accordée, en présence d’une justice inefficiente, pour ne pas rembourser leurs prêts alors qu’ils étaient en mesure de le faire. Si nous ajoutons à cela les retraits massifs de dépôts durant le premier semestre de 2015, on comprend que la capacité des banques à accorder de nouveaux crédits ait été fortement limitée.
Sur le plan positif, des améliorations ont été progressivement enregistrées sur plusieurs aspects essentiels, dont la liquidité globale, la qualité des actifs et la gouvernance. Cependant, les portefeuilles bancaires continuent de s’alléger, ce qui a des retombées négatives sur le crédit. Un travail considérable s’impose pour rétablir pleinement le climat de confiance à l’égard du système financier et insuffler une nouvelle vigueur au rôle d’intermédiation des banques.
Il importe de souligner que les autorités ont renforcé le dispositif législatif et réglementaire du secteur financier afin de faciliter la résolution des créances improductives. Ces instruments devraient être mis en œuvre et les restrictions qui subsistent sur les flux de capitaux devraient être levées de manière prudente en suivant une feuille de route convenue d’un commun accord.
9) Le programme de réforme de la Grèce se poursuit, à quoi peut donc s’attendre le pays une fois qu’il sera achevé?
La Grèce a besoin d’une croissance soutenue, plus forte et plus inclusive. Le pays traverse une transition démographique délicate — une population vieillissante et en déclin, d’où une population active en diminution — et il doit donc redoubler d’efforts pour accroître la participation à la population active et la productivité de la main-d’œuvre et mobiliser l’investissement.
À notre avis, les réformes en cours porteront pleinement leurs fruits de manière progressive, mais un travail soutenu, par-delà les réformes déjà engagées, sera nécessaire pour que la Grèce soit en mesure d’attirer davantage d’investissements, de créer plus d’emplois de qualité et de se doter d’une meilleure protection sociale.
L’application résolue des réformes permettra d’améliorer progressivement la prospérité et le bien-être de la population grecque, de rendre l’économie plus résiliente aux chocs et de combler l’écart avec les partenaires de la zone euro.