L'Argentine et le FMI : prenons du recul, Intervention de Flemming Larsen, Directeur des Bureaux européens du FMI

le 18 novembre 2003

L'Argentine et le FMI : prenons du recul
Table ronde «Crises et sorties de crise»
Intervention de
Flemming Larsen1
Directeur des Bureaux européens du
Fonds monétaire international
Semaine de la coopération et de la solidarité internationale en Amérique latine
Pôle universitaire européen de Toulouse
Haut conseil de la coopération internationale
Toulouse, 18-22 novembre, 2003

À intervalles réguliers paraissent dans la presse européenne des articles qui tirent à boulets rouges sur le FMI, lui reprochant tantôt d'avoir été mauvais conseiller durant les années 90 et d'avoir ainsi causé les récents déboires de l'Argentine, tantôt de ne pas avoir vu arriver la débâcle financière, ou bien encore d'être incapable de ramener les pays sur la voie de la solvabilité et d'une croissance rapide. Trop souvent, ces articles déforment la réalité et présentent au lecteur une perspective simpliste des causes des crises récemment traversées par certains pays émergents, de même que du travail entrepris pour éviter qu'elles ne se répètent.

Il faut voir dans ces crises un enchevêtrement complexe de problèmes nationaux et systémiques à l'œuvre depuis le milieu des années 90, voire avant. Citons notamment, au risque de simplifier à l'extrême, les discordances entre le régime de change (souvent à taux fixe) et la politique économique des pays, et ce que d'aucuns (y compris le FMI) considèrent aujourd'hui comme une libéralisation prématurée des mouvements de capitaux à court terme. Les crises ont aussi résulté de la faiblesse des systèmes financiers, qui devenaient trop vulnérables aux risques de change, et des afflux massifs de capitaux cherchant à échapper à la basse conjoncture que traversaient les pays industrialisés au début des années 90. Ajoutons à cela l'accumulation d'une demande excédentaire, la montée en flèche des prix des actifs sous l'effet de la forte expansion du crédit, des investissements spéculatifs et souvent imprudents, les déficiences de la gouvernance des entreprises, des banques et du secteur public, et un manque général de transparence. Estimant que leur réussite économique reposait sur de solides fondamentaux, nombre de pays émergents ont en outre été grisés par leur succès. Aussi n'étaient-ils pas enclins à tirer les enseignements de l'expérience d'autres pays ni à écouter les mises en garde du FMI et d'autres instances contre les risques d'éclatement des bulles financières et la montée des vulnérabilités. Rien de surprenant à cela car, après tout, les pays industrialisés, eux aussi, peuvent faire preuve de la même suffisance aveugle lorsqu'ils sont portés par une conjoncture favorable, comme nous l'avons vu avec la récente bulle des valeurs technologiques.

Le FMI admet que, durant la période qui a précédé les crises, tous ses conseils et toutes ses appréciations n'ont pas été nécessairement corrects. Nous avons surestimé la capacité ou la volonté des pays de se plier aux exigences d'un régime de change fixe; nous pensions qu'ils étaient conscients de la nécessité de renforcer leur système bancaire comme condition préalable d'une bonne libéralisation des capitaux; ou bien encore, nous n'avions pas pris toute la mesure des créances improductives qui plombaient le système bancaire, et qui n'ont été mises en évidence que lorsque la panique s'était déjà amorcée. Mais dire que les conseils du FMI sont la cause principale des crises est parfaitement ridicule.

Cela dit, une fois la bulle des économies émergentes éclatée, le FMI n'aurait-il pas pu prévenir la débâcle financière qui s'en est suivie ? Et comme il ne l'a pas fait, ne faudrait-il pas y voir un autre échec des recettes qu'il prescrit ? Là aussi, le problème tient au manque de recul : lorsque les investisseurs, nationaux et étrangers, réalisent soudainement que la bulle ne peut pas durer et que les réserves de change fondent comme neige au soleil, la panique financière est sans doute inévitable. Or, le FMI peut justement en limiter la portée et la durée et circonscrire les risques de débordement dans des pays aux caractéristiques similaires, en aidant les gouvernements à adopter des mesures propres à rétablir la confiance. Pour ce faire, il faut que l'on voie bien que le pays est décidé à remédier aux principales faiblesses de sa politique économique et de ses institutions et qu'il reçoit un soutien financier pour reconstituer ses réserves de change. Dans certains cas, le pays peut en outre être amené à restructurer sa dette extérieure.

Parfois ces mesures de résolution des crises sont adoptées sans tarder et commencent à porter rapidement leurs fruits, ce qui permet aux pays d'opérer un redressement spectaculaire après une passe extrêmement difficile, comme l'on fait la Corée et la Thaïlande. Plus récemment, le Brésil et la Turquie ont aussi réussi à rétablir une certaine confiance dans le cadre des programmes appuyés par le FMI. Dans d'autres cas, les progrès ont été longs à se manifester du fait d'incertitudes persistantes liées à la situation politique et à la viabilité de la dette intérieure ou extérieure. Le doute subsistait par ailleurs quant à la capacité ou à la volonté des autorités de s'attaquer aux causes fondamentales des problèmes et de maintenir le cap des réformes depuis longtemps en souffrance. En Argentine, tous ces facteurs ont contribué à l'enlisement.

Qu'est-ce que le FMI aurait dû faire autrement dans le cas de l'Argentine ? Quels enseignements avons-nous tirés de cette expérience jusqu'à présent ? Le FMI consacre actuellement beaucoup d'énergie à comprendre ce qui n'a pas fonctionné. Les résultats des travaux en la matière seront publiés au cours des prochains mois. Cependant, je voudrais d'ores et déjà mettre l'accent sur au moins trois leçons fondamentales :

· Notre diagnostic économique - et politique - aurait dû être plus réaliste. Tout comme le gouvernement à l'époque et de nombreux économistes du secteur privé, le FMI a péché par excès d'optimisme quant au potentiel de croissance de l'Argentine. Il s'est en effet appuyé sur une extrapolation des taux de croissance élevés du début des années 90, c'est-à-dire au début du plan de convertibilité. Nous avons considéré à tort plusieurs éléments temporaires et ponctuels comme des signes d'une amélioration durable et substantielle de la trajectoire de croissance.

· Cela explique en partie que nous n'ayons pas suffisamment mis en garde les autorités contre les conséquences de leur politique budgétaire laxiste et contre le risque d'une crise budgétaire. Il va de soi que les mises en garde de cette nature doivent être formulées très tôt, pendant qu'il est encore temps d'éviter la catastrophe.

· Enfin, et cette leçon est liée aux deux autres, le FMI aurait dû rappeler avec insistance la conclusion à laquelle il était arrivé en 1998, à savoir qu'un régime de change fixe était intenable et que, apparemment, les autorités n'avaient pas la volonté d'infléchir suffisamment leur politique pour éviter l'effondrement qui a fini par se produire, ou qu'elles étaient incapables de le faire. Ces préoccupations ont été maintes fois exprimées, mais les autorités ont refusé d'envisager l'abandon de la caisse d'émission jusqu'à ce que les marchés les y obligent.

Le FMI et la communauté internationale ont parfois la difficile tâche de trouver un équilibre subtil entre la nécessité de venir en aide à un pays membre en difficulté et le risque de financer, et, implicitement, de perpétuer des politiques vouées à l'échec. Dans le cas de l'Argentine, il semblerait que cet équilibre n'était pas le bon. Mais nous ne saurons jamais ce qui se serait passé si le FMI avait décidé plus tôt de retirer son soutien financier ou si nous avions exigé une autre politique de change. De même, nous ne saurons jamais ce qui se serait produit si les autorités avaient respecté les conditions dont étaient assortis les concours du FMI, au lieu de revenir sans cesse sur leurs engagements.

* * *

L'économie argentine - heureusement - a commencé à se redresser et devrait connaître un taux de croissance de 4,8 % en 2003. Le FMI reste présent à ses côtés pour l'aider à sortir définitivement de l'impasse. Le gouvernement argentin et le FMI se sont récemment entendus sur un cadre de politique économique et de réformes visant à renforcer les institutions et à corriger les faiblesses et les contraintes à l'origine de la crise. Le programme convenu sera appuyé par un prêt triennal de 12,5 milliards de dollars du FMI. Compte tenu des remboursements prévu de l'Argentine au FMI sur les trois années du programme, le niveau d'engagement du FMI envers l'Argentine à la fin de la période ne changera pas. Le programme économique de l'Argentine comporte trois composantes fondamentales :

· Un dispositif budgétaire à moyen terme pour atteindre les objectifs de croissance, d'emploi et d'équité sociale, tout en contribuant à normaliser les relations avec tous les créanciers et à assurer la viabilité de la dette après la restructuration qui est en cours.

· Une stratégie destinée à asseoir la solidité du système bancaire et à faciliter l'expansion du crédit indispensable à la reprise.

· Des réformes institutionnelles visant à faciliter la restructuration de l'endettement des entreprises, à trouver une solution aux problèmes des sociétés de services publics, et à améliorer de manière décisive le climat des investissements.

Les réformes que le gouvernement entend mettre en œuvre ont été judicieusement articulées et programmées pour les trois années à venir, et il va sans dire que leur réussite dépendra de la détermination et de la rigueur des autorités dans leur exécution. Il appartient par ailleurs au FMI d'aider l'Argentine sur cette voie.

Comment, à l'avenir, le FMI pourra-t-il contribuer à atténuer le risque de nouvelles crises ? Le système monétaire est toujours en mutation, après une période de 15 à 20 ans durant laquelle le marché a progressivement pris le relais des pouvoirs publics pour assurer le fonctionnement des systèmes financiers. Ajoutons à cela l'intégration croissante des marchés de capitaux au plan mondial et l'apparition d'un large éventail de nouveaux instruments. Il est clair que ces phénomènes ont rendu certains pays vulnérables, notamment ceux dont la politique économique et les institutions donnaient des signes de faiblesse. C'est pour cette raison que le FMI s'efforce d'expliquer à ses pays membres comment réduire leur vulnérabilité aux crises, en limiter les retombées lorsqu'elles surviennent, et mettre à profit le processus de la mondialisation. Se fermer au reste du monde n'est pas une solution.

Le reste du monde doit également aider les pays émergents et en développement à mieux s'intégrer à l'économie mondiale. La meilleure façon d'y parvenir est de démanteler les barrières commerciales et de mettre fin aux distorsions qui empêchent un pays comme l'Argentine de mettre pleinement à profit ses avantages comparatifs dans le domaine agricole. Le cycle de négociations de Doha donne à l'Union européenne, aux États-Unis et aux autres pays industrialisés l'occasion de faire vraiment évoluer les choses en s'attaquant finalement à une grave iniquité du système commercial mondial. Nous ne pourrons pas rester sur l'échec de Cancun.

Certains détracteurs du FMI s'interrogent sur son utilité et vont même jusqu'à souligner son effet pernicieux et à préconiser sa disparition. Il est absurde d'aller imaginer que, si l'on ferme le FMI, les pays seront moins exposés aux crises et aux revers économiques, ou qu'ils en seront totalement préservés. Il faut savoir que le FMI représente la communauté internationale, et qu'il met à sa disposition son capital d'expérience et ses ressources financières - somme des contributions de l'ensemble des pays membres - pour faire face aux crises dans un esprit de coopération, à un coût économique et social nettement inférieur aux pertes que subirait le pays affecté s'il faisait cavalier seul. Certes, il arrive que la communauté internationale et le FMI se trompent dans leur diagnostic et dans les remèdes qu'ils prescrivent. Nous savons le reconnaître et mettre à profit les perspectives nouvelles que nous ouvrent notre intense travail de recherche, les étroites relations que nous entretenons avec les économistes du monde entier, et les bilans - internes et externes - que nous dressons continuellement pour déterminer ce qui marche et ce qui ne marche pas, et en élucider les raisons.

Et bien entendu, le FMI sera toujours là pour servir de bouc émissaire de premier ressort !


1 Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du FMI.





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