Les enjeux économiques mondiaux et régionaux — Allocution devant l’Université d’État du Ministère des Finances
le 7 novembre 2011
Christine LagardeDirectrice générale, Fonds monétaire international
Moscou, le 7 novembre 2011
Texte préparé pour l’intervention
Bonjour. De nouveau, je suis vraiment ravie de me trouver dans cette ville magnifique. Je voudrais remercier les autorités russes et le Recteur Afanassiev de leur chaleureux accueil, auquel j’ai été très sensible.
C'est la première fois que je viens en Russie en tant que Directrice générale du FMI. Je me réjouis de la relation extrêmement forte qui existe entre le FMI et la Russie. À n’en pas douter, la Russie est l'un de nos plus importants actionnaires. C’est avec un grand intérêt que j’écouterai vos propos et examinerai avec vous les moyens propres à renforcer davantage notre partenariat à l’avenir.
Le grand écrivain russe Anton Tchekhov a écrit un jour que, «au fond, toute la vie est ainsi faite et les relations humaines sont devenues si incompréhensiblement compliquées que, quand on y pense, l'angoisse vous prend et que le cœur vous manque».
C'est vrai, l’économie mondiale moderne est incroyablement compliquée et interdépendante. La Russie et les pays émergents d’Europe ont relativement bien résisté à la crise économique mondiale. Mais aujourd'hui, des nuages menaçants s'accumulent à l'Ouest.
Et si nous ne faisons rien, la vision sombre de Tchekhov pourrait fort bien devenir réalité.
L’heure est à l'action et il n'est plus question d'avancer à pas timorés. Il y a quelques semaines, nous avons vu les dirigeants de la zone euro prendre d’importantes mesures; et il y a quelques jours les dirigeants du G20 ont eux aussi adopté d’autres initiatives. Certes, il reste beaucoup à faire, mais je suis impressionnée par la détermination qu’affichent les responsables.
La Russie a également un chemin à parcourir. Les risques qui émanent de l’économie mondiale sont graves et nous devons tous être vigilants.
Je voudrais donc évoquer quatre thèmes avec vous.
Premièrement, l'état de l'économie mondiale et les risques qui pèsent sur les pays émergents d’Europe en particulier.
Deuxièmement, les orientations que nous devons tracer pour lever la chape du désespoir et raviver la croissance économique mondiale.
Troisièmement, ce que la Russie peut faire de plus pour se protéger et assurer l'avenir de son économie.
Enfin, quatrièmement, l'importance de l’évolution que connaît la gouvernance économique mondiale, en particulier pour ce qui est du rôle de la Russie.
1. Les enjeux économiques mondiaux et régionaux
S’agissant du premier thème, comme je l'ai souvent dit, l'économie mondiale est entrée dans une phase dangereuse et incertaine, marquée par des perspectives de plus en plus sombres et un accroissement des risques. Les interactions négatives entre l'économie réelle et le secteur financier se sont fortement accentuées.
Qui plus est, le chômage demeure à des niveaux inacceptables dans de trop nombreux pays. L’une de mes plus grandes inquiétudes est que nous ne trahissions toute une génération de jeunes qui vont se retrouver coupés de l’économie productive et des liens qui font la société.
Quel est le cœur du problème? En substance, le monde souffre d'une crise de confiance collective.
Si nous n’agissons pas, si nous n’agissons pas ensemble, nous risquons d'être entraînés dans un tourbillon d'incertitude, d'instabilité financière et d'effondrement de la demande mondiale. Au final, le prix serait celui d’une décennie perdue de croissance faible et de chômage élevé.
Qu'en est-il des pays émergents d'Europe? Je l'ai dit, cette région a énormément progressé depuis la crise profonde d'il y a quelques années, grâce en grande partie aux saines politiques économiques qui ont été bien souvent adoptées.
Mais les risques sont manifestes. Si la tempête s'intensifiait davantage dans la zone euro, les pays émergents d'Europe — qui en sont les plus proches voisins — seraient durement touchés par la baisse des exportations et l'accentuation des tensions financières.
Et même si la plupart des pays de la région n'ont plus les déficits extérieurs courants élevés qu'ils avaient en 2008, il existe encore de grosses failles au sein du système. La dette extérieure de nombreux pays est élevée. La proportion des prêts en devises s'approche des niveaux records. Et cette fois, les banques mères occidentales seraient moins enclines à apporter leur secours sous forme de capitaux et de liquidités.
La marge de manœuvre budgétaire est aussi plus restreinte qu'en 2008. À l'époque, comme ils avaient semé en période de prospérité, les pays ont pu récolter les fruits de leur prévoyance quand la situation s’est dégradée, en laissant la demande publique se développer pour compenser en partie la baisse de la demande privée. Cette possibilité a disparu.
Mon message est donc simple : la région doit être prête à affronter d’éventuelles tempêtes; les faux sentiments de sécurité ne sont pas de mise; les enjeux sont extrêmement élevés.
2. Les actions à entreprendre
J’en viens ainsi à mon deuxième thème : les actions à entreprendre.
Naturellement, les pays avancés ont une responsabilité particulière à cet égard. Et puisque les pays de la zone euro sont au cœur de la tempête, ils doivent aussi être au cœur de la solution.
Les décisions adoptées par les dirigeants de la zone euro le 26 octobre constituent un pas décisif dans la bonne direction : rétablir la viabilité de la dette grecque; recapitaliser les banques européennes; renforcer le pare-feu contre la contagion financière; et jeter les bases d’une réforme robuste de la gouvernance financière dans la zone euro.
Au Sommet de Cannes, qui vient juste de s’achever, les dirigeants du G-20 ont rappelé qu’il était impératif de mettre ces mesures en application. Les responsables de la zone euro au sein du G-20 ont souligné leur détermination à agir dans ce sens. La mise en œuvre ne sera pas aisée et il faut s’attendre à un chemin cahoteux, mais à Cannes les dirigeants ont clairement réaffirmé leur profonde adhésion à ce dispositif.
De manière plus générale, ils ont également souligné qu’il ne fallait pas perdre de vue l’objectif primordial qui consiste à rétablir la croissance et la stabilité.
Quelles conclusions les économies avancées doivent-elles en tirer pour l’orientation de leurs politiques?
En matière de politique budgétaire, il convient de mettre l'accent sur un rééquilibrage à moyen terme vigoureux et crédible des finances publiques afin de faire revenir la confiance et de dégager les moyens de soutenir la croissance et l'emploi à court terme. Bien entendu, la marge de manœuvre varie d'un pays à l'autre. Ceux qui sont soumis aux pressions des marchés n'ont guère d'autre choix que de procéder à l'ajustement nécessaire. Mais les autres peuvent desserrer les freins si la croissance venait de nouveau à ralentir.
En présence d’anticipations inflationnistes bien ancrées, la politique monétaire peut rester accommodante.
De nombreux pays doivent réformer leurs politiques structurelles pour stimuler la compétitivité et la croissance.
Il reste aussi primordial d'améliorer la réglementation du secteur financier au cours des années à venir de manière à rendre le secteur financier à la fois plus sûr et plus stable et à le remettre au service de l'économie réelle.
Qu'en est-il des marchés émergents? Ils ne sauraient rester passifs. Mais ils ne peuvent pas non plus tous suivre le même chemin.
J'ai déjà cité Tchekhov; je souhaiterais maintenant reprendre la célèbre formule de Tolstoï : «les familles heureuses se ressemblent toutes, les familles malheureuses sont malheureuses chacune à sa façon».
Certains des principaux pays émergents en situation d'excédents extérieurs doivent contribuer davantage à la demande mondiale, en donnant une plus grande place aux sources intérieures de croissance. C'est une bonne chose, tant pour les pays concernés eux-mêmes que pour l'économie mondiale.
Mais pour d'autres marchés émergents, la voie à suivre est différente. Ils doivent renforcer le cadre de leur politique macroéconomique et reconstituer leurs marges de manœuvre budgétaire. Enfin, ils doivent préserver la stabilité financière, en particulier pour faire face à la volatilité des flux de capitaux. Ils doivent construire des garde-fous contre les chocs exogènes. Ce groupe de pays comprend la Russie.
3. Le rôle de la Russie
Permettez-moi maintenant de passer à mon troisième thème : le rôle de la Russie. En raison de sa taille et de sa dépendance à l'égard du pétrole, la Russie est confrontée à des problèmes quelque peu différents de ceux du reste de la région.
Sous l’effet de la crise il y a quelques années de cela, la Russie a assurément fortifié ses lignes de défense. Les banques et les entreprises ont réduit leurs risques de change. Le taux de change s'est assoupli, de manière à absorber des chocs extérieurs importants. Les autorités ont renforcé leurs capacités institutionnelles de gestion de crise. Tous ces progrès doivent être salués.
Par ailleurs, cependant, la Russie reste très vulnérable à plusieurs égards. Par exemple, une forte baisse des cours des matières premières pèsera sur la croissance. Les difficultés des banques du cœur de la zone euro pourraient durement toucher le système bancaire russe. Le déficit budgétaire hors recettes pétrolières a plus que triplé depuis la crise, et les possibilités d’une riposte budgétaire adaptée sont donc limitées.
Dans ces conditions, il faut en priorité reconstituer une marge de manœuvre budgétaire pendant que les cours du pétrole sont encore élevés. Il s'agit de maîtriser la pression des dépenses et de mettre de côté les recettes pétrolières exceptionnelles.
Quant à la politique monétaire, elle doit être axée sur le maintien d'une inflation faible pour mettre en place des conditions propices à la stabilité et à la prévisibilité. Cela contribuera aussi au développement des marchés financiers, pour faire de Moscou une place financière internationale.
Dans le secteur financier, la Russie doit améliorer le contrôle bancaire, de sorte que ses banques et autres établissements financiers respectent les normes les plus strictes.
Et si la tempête arrive? Dans ce cas, la Russie a plusieurs possibilités d'action. Elle pourrait laisser son taux de change s'ajuster, en déployant ses réserves pour atténuer la transition. Elle pourrait fournir des liquidités aux banques selon leurs besoins. Elle pourrait laisser jouer les stabilisateurs automatiques, de manière que les allocations de chômage augmentent et la charge fiscale baisse face à l'affaiblissement de la croissance.
À l'heure actuelle, la priorité absolue est de faire face aux dangers qui existent clairement aujourd'hui. En s’y attelant de manière efficace, la Russie sera mieux en mesure de s’orienter vers l’avenir dont elle a besoin, celui d’une croissance plus élevée et plus durable qui crée suffisamment d'emplois et profite à l'ensemble de la population.
Pour en arriver là, le pays doit réduire sa dépendance à l'égard du pétrole, ainsi que dynamiser et diversifier son économie. Il faut non seulement stabiliser la situation macroéconomique, mais aussi créer un climat d'investissement plus favorable, ce qui nécessite des réformes structurelles de grande envergure.
Des mesures ont été prises, mais il faut redoubler d'efforts, comme le reconnaissent les autorités russes elles-mêmes. C’est là le défi à relever.
4. Gouvernance économique mondiale
J’en arrive à mon quatrième et dernier thème : la transformation de l'économie mondiale qui résulte de l'émergence de nouveaux pôles de croissance.
La Russie est un des principaux pays émergents et joue aujourd'hui un rôle prépondérant sur la scène mondiale. Elle joue un rôle important au G-20. Elle est le plus gros producteur de pétrole du monde. Avec d'autres grands pays émergents, elle dynamise la croissance, notamment dans les pays à faible revenu, par la voie du commerce, de l'investissement et du financement.
Je suis aussi très heureuse d'affirmer que la Russie joue un rôle important au FMI. Elle est un des dix principaux actionnaires de l'institution. Et c'est tout à fait normal, étant donné le rôle de premier plan que le pays joue dans l'économie mondiale.
Il faut se rappeler que le travail du FMI consiste à servir ses pays membres. Mais pour bien s'acquitter de cette tâche, le FMI doit ressembler davantage à ses pays membres. Et ses pays membres doivent s’y reconnaître.
Dans ce domaine, nous avons accompli des progrès considérables au regard de notre gouvernance globale.
Dans une vaste réforme en 2010, les pays membres ont convenu d'un redéploiement historique des quotes-parts, à hauteur de six points de pourcentage, au profit des pays émergents et en développement dynamiques, tout en protégeant la part des voix des pays membres les plus pauvres. Cette réforme s'ajoute à une réforme antérieure, datant de 2008, ce qui fait que le redéploiement total des quotes-parts atteint le niveau sans précédent de 9 %.
Grâce à cette réforme de la gouvernance – en cours de mise en œuvre – le FMI sera le véritable reflet de ses pays membres à l’échelle mondiale. Cela signifie que nous serons mieux en mesure de répondre à leurs besoins – la Russie comprise – et de manière plus efficace. C’est d’ailleurs là tout le sens de notre démarche.
Conclusion : le rôle d’initiative de la Russie
Je vais vous laisser aujourd'hui avec une idée simple : nous nous trouvons tous sur le même bateau. Dans ce monde de plus en plus interdépendant, nous avançons et nous reculons ensemble sur le plan économique. C’est ensemble que nous devons naviguer dans les eaux troubles de l’économie. C’est également ensemble que nous traçons nos routes communes, et je suis convaincue que la Russie a un rôle prépondérant à jouer.
La Russie compte un passé magnifique, une culture incomparable, un peuple fier. La Russie est le pont entre l'Est et l'Ouest, l'Asie et l'Europe, l'ancien et le nouvel ordre économique. Je vous regarde et je vois l'avenir.
Certes, il y aura des obstacles sur le chemin. Mais la Russie en a surmontés tant d’autres par le passé. Je suis profondément convaincue que vous que vous le ferez de nouveau. Je peux vous assurer que le FMI est votre partenaire – et votre ami – dans cette formidable entreprise.
Je vous remercie de votre attention.
DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI
Relations publiques | Relations avec les médias | |||
---|---|---|---|---|
Courriel : | publicaffairs@imf.org | Courriel : | media@imf.org | |
Télécopie : | 202-623-6220 | Télécopie : | 202-623-7100 |