L'Intégration Régionale en Afrique: Une Etape Importante vers l'Intégration Mondiale - Allocution de M. Alassane Ouattara, Directeur général adjoint du Fonds monétaire international

le 14 avril 1999

anglais

Allocution de M. Alassane D. Ouattara
Directeur Général Adjoint du Fonds Monétaire International
à la 1ère Conférence des Ministres de l'Économie
et des Finances de la Francophonie
Monaco, le 14 avril 1999

C'est pour moi un grand plaisir de participer à la première Conférence des Ministres de l' Économie et des Finances de la Francophonie et de prendre la parole devant un auditoire aussi distingué. Je profite de l'occasion pour partager avec vous quelques éléments de réflexion sur l'importance de l'intégration régionale comme étape intermédiaire vers l'intégration des pays en voie de développement à l'économie mondiale. A cet égard, je pense que l'expérience de l'intégration régionale en Afrique francophone a été très encourageante, qu'elle est riche d'enseignements et pourrait servir d'exemple à d'autres pays qui veulent emprunter la même voie.

Après deux décennies de résultats inégaux, la situation économique de l'Afrique s'est améliorée au cours des dernières quatre années, et les perspectives sont de plus en plus encourageantes. Ceci est d'autant plus remarquable que les progrès réalisés sont dûs surtout à des efforts d'ajustement interne plutôt qu'à des phénomènes exogènes. Ces efforts ont été caractérisés par la mise en oeuvre de politiques macroéconomiques et structurelles appropriées, visant à améliorer l'efficience des économies et à créer les conditions d'une plus grande intégration à l'économie mondiale. De telles politiques peuvent justifier le regard optimiste de ce qu'il est convenu d'appeler le début d'une «renaissance africaine». Ce constat, doit, cependant, être tempéré par les risques que pose la multiplication des conflits en Afrique et qui appelle une action déterminée, tant au niveau régional qu'international.

Cela dit, force est de reconnaître que l'Afrique a encore beaucoup de chemin à parcourir pour regagner le terrain perdu pendant les années 80. Les taux de croissance ne sont pas encore suffisamment élevés pour faire reculer sensiblement une pauvreté omniprésente et les économies africaines restent encore fragiles et donc vulnérables aux chocs intérieurs et extérieurs. S'il est vrai que la lenteur de leur intégration à l'économie mondiale a mis la plupart des économies africaines à l'abri des secousses les plus violentes des récentes crises financières, l'envers de la médaille est que l'Afrique n'est pas en mesure de tirer pleinement parti des avantages de la mondialisation; mondialisation qui pourrait accroître les ressources disponibles pour l'investissement productif dont l'Afrique a tant besoin. Avec de faibles taux d'épargne intérieure, une pauvreté endémique, une dépendance encore trop prononcée vis-à-vis des produits primaires, un manque d'ouverture et de libéralisation de ses marchés, l'Afrique court le risque d'une marginalisation par rapport au reste du monde.

Je voudrais aujourd'hui articuler mes remarques autour de deux propositions: la première est que les pays en voie de développement n'ont pas vraiment le choix-- ils doivent s'intégrer aux marchés mondiaux s'ils veulent réussir. La deuxième est que pour la plupart de ces pays, l'intégration régionale peut faciliter leur intégration dans l'économie mondiale. Le succès de l'Union européenne depuis les années cinquante est une preuve des avantages de l'intégration régionale. Mais il en est de même des pays francophones africains qui coopèrent depuis longtemps en matière de politique monétaire et économique.

  • Donc, ma première proposition est que les pays en voie de développement n'échapperont pas à la mondialisation et ils ne devraient pas essayer de s'y soustraire.

L'Asie de l'Est a démontré, pendant la plus grande partie des trois dernières décennies, les avantages de l'ouverture au reste du monde et de la libéralisation économique. Cependant, la crise asiatique et ses débordements en Russie et sur d'autres marchés émergents ont fait passer les avantages de la mondialisation au second plan, et le débat a plutôt porté surles risques inhérents à une économie mondiale de plus en plus intégrée. Les responsables de pays qui ne sont pas encore totalement intégrés à l'économie mondiale peuvent légitimement se demander s'il est dans leur intérêt d'exposer davantage leurs pays aux risques auxquels les économies asiatiques ont dû faire face. La mondialisation est-elle véritablement une bonne chose pour les pays de petite taille, et si oui, sous quelles conditions?

La crise asiatique a démontré, en premier lieu et avec force, qu'il ne suffit pas d'ouvrir les économies sur l'extérieur. Il faut également, pour tirer pleinement parti de la mondialisation et pour prévenir des crises qui ont frappé plusieurs pays émergents, des politiques macroéconomiques saines et d'une transparence à toute épreuve, un cadre réglementaire et incitatif stable et rationnel, des systèmes financiers robustes assortis de mécanismes de supervision efficaces et, enfin, une bonne gouvernance dans la gestion tant des affaires publiques que privées.

Ceci m'amène à ma deuxième proposition:

  • La coopération régionale peut servir de véhicule pour la libéralisation non discriminatoire du commerce multilatéral et l' intégration dans l'économie mondialisée

L'intégration régionale bien conçue présente de multiples avantages pour les pays en voie de développement. D'abord, le resserrement des liens commerciaux entre ces pays renforcerait leur capacité à participer au commerce mondial. L'intégration régionale permettrait à bon nombre de pays de surmonter les obstacles que représente la relative exiguïté de leur marché national en permettant aux producteurs de réaliser de plus grandes économies d'échelle et de bénéficier de la mise en place d'infrastructures au niveau régional. Une approche régionale dans des domaines structurels clés - tels que la réduction et l'harmonisation tarifaires, la réforme du cadre légal et réglementaire, la rationalisation des systèmes de paiement, la restructuration des secteurs financiers, l'harmonisation desincitations à l'investissement et des régimes fiscaux, la réforme du marché de l'emploi - permet aux pays ainsi associés d'additionner leurs ressources. Ces pays peuvent ainsi se doter, au niveau régional, de moyens institutionnels et humains leur permettant d'atteindre un niveau de compétence technique et administrative auquel ils ne pourraient pas prétendre en agissant seul. L'approche régionale leur permet aussi de faire valoir leurs intérêts avec plus d'assurance et plus de force dans le concert des nations.

De plus, les conditions et les obligations d'une adhésion à un programme ambitieux de réformes au sein d'une organisation régionale facilitent aussi la tâche des responsables nationaux dans la mise en oeuvre de mesures politiquement difficiles, telles que la réduction des taux de protection ou la mise en place de réformes de grande envergure des systèmes réglementaires et judiciaires. En outre, la surveillance exercée au niveau régional et le dialogue entre les différents partenaires contribuent à réduire les risques de dérapages au plan macroéconomique. Il en résulte un environnement plus stable et plus prévisible qui est, sans nul doute, un facteur essentiel à l'épanouissement du secteur privé.

Quelles sont les conditions d'une intégration régionale saine?

Le véritable enjeu est de faire en sorte que les organisations régionales soient perçues comme des vecteurs efficaces d'intégration des pays en voie de développement à l'économie mondiale, permettant aux membres de se soutenir mutuellement dans leurs efforts de réformes. Ces organisations ne doivent surtout pas être perçues comme des mécanismes de défense, de certains groupes d'intérêts établis mais, bien au contraire, comme des organisations poussant à l'ouverture vers le reste du monde.

Que faut-il pour réaliser ces objectifs ? Tout d'abord, la volonté politique d'adhérer aux objectifs d'intégration régionale et de leur donner la priorité sur les contingences nationales. Deuxièmement, un effort résolu vers une plus grande convergence des institutions et des politiques économiques. Cela suppose que les pays se fixent des calendriers ambitieux mais réalistes pour la mise en place des réformes et des institutions régionales, en évaluant defaçon réaliste les moyens à mettre en oeuvre. Troisièmement, des institutions régionales robustes et efficientes. Ces institutions doivent, en effet, être habilitées à élaborer les politiques appropriées en dehors de toute considération d'intérêt national, sans pour autant perdre de vue la situation particulière de chaque membre; elles doivent aussi disposer des moyens humains et matériels suffisants pour aider les pays membres à appliquer ces politiques.

Les leçons des initiatives d'intégration régionale en Afrique francophone

Presque tous les pays représentés ici au sein de ce merveilleux ensemble qu'est la francophonie, sont associés, sous une forme ou une autre, à une initiative régionale. Toutefois, ce sont surtout les pays de la zone CFA qui ont su transformer leur coopération économique et monétaire en un moteur dynamique d'intégration et de coordination de leurs politiques économiques. En outre, l'envergure de leur volonté d'intégration s'étend bien au-delà des domaines «économiques» au sens strict. Ces pays sont en train de mettre en place les éléments nécessaires pour réaliser leur objectif ultime qui est la création d'un véritable marché unique. C'est ainsi qu'ils se sont dotés d'institutions régionales auxquelles ils ont confié la responsabilité des initiatives d'intégration. Je me réfère ici non seulement aux Commissions sous-régionales mais aussi au Système de Comptabilité Ouest-Africain (SYSCOA); à la Conférence Interafricaine des Marchés d'Assurances (CIMA); à la Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale (CIPRES); aux deux Commissions Bancaires sous-régionales; à la Bourse de valeurs sous-régionales et à AFRISTAT.

Certes, la monnaie commune a été, et continue d'être, le point d'ancrage de cette intégration. La longue expérience d'une politique monétaire menée par une institution forte qui doit préserver son indépendance par rapport aux gouvernements nationaux, a habitué ces États à céder une partie de leur souveraineté sur la politique économique à un organisme régional. Bien évidemment, il sera plus difficile pour d'autres pays, qui n'ont pas encore franchi cette étape d'une coordination étroite, d'atteindre une telle convergence des politiques et des institutions. Néanmoins, même si l'objectif de la coopération régionale demeure plus modeste, il serait souhaitable que ces pays étendent, de manière ordonnée, les champs deresponsabilité et de compétence de leurs organismes régionaux et renforcent la capacité et l'indépendance de ces derniers vis-à-vis des gouvernements nationaux.

Un autre aspect de l'intégration régionale en Afrique francophone qui mérite d'être souligné est l'initiative de l'OHADA, l'Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, à laquelle sont associés seize pays africains. A travers cette initiative, les dirigeants reconnaissent l'importance pour le développement économique de la sécurité économique, protégée par un cadre judiciaire performant. Outre les provisions pour l'harmonisation du droit, il convient de souligner que cette initiative attribue une importance centrale à la formation humaine, une condition préalable au bon fonctionnement des institutions.

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De toute évidence, les pays de l'Afrique francophone - surtout les pays de la zone CFA - ont déjà souscrit à l'intégration régionale comme moteur de leur intégration à l'économie mondiale. Il leur faut persévérer dans cette voie en assurant un équilibre judicieux dans la répartition des bénéfices de l'intégration entre pays côtiers et pays enclavés. Quant aux pays francophones qui n'ont pas encore fait autant de progrès sur le plan de la coopération régionale, je leur dirais de redoubler d'efforts et de suivre l'exemple de l'expérience de la zone CFA. Ce n'est en effet pas seulement en Europe ou en Amérique latine que l'on trouve des schémas d'intégration qui méritent d'être imités! En règle générale, je pense que tous les pays devraient se concerter, même en dehors d'un cadre formel de coopération régionale. Sous la Haute autorité et le dynamisme de son Secrétaire Général, la Francophonie offre un cadre pour approfondir cette concertation - elle représente, malgré les différences qui existent entre les pays qui la composent au plan de leur histoire, de leur culture, de leurs institutions, et de leurs expériences, un élément qui devrait faciliter une meilleure compréhension mutuelle au bénéfice de tous ses membres et donc de l'humanité tout entière.

Je vous remercie.



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