Discours : Le rôle des pays émergents dans un nouveau partenariat mondial pour la croissance

le 4 février 2016

Université du Maryland, 4 février 2016
Christine Lagarde, Directrice générale, FMI

Texte préparé pour l’intervention

Bonjour. Merci Robert [M. le Doyen Robert Orr] de vos aimables paroles de présentation.

Et merci à vous tous — étudiants et enseignants — de me recevoir aujourd’hui. Permettez-moi de saluer mon amie l’Ambassadeur Susan Schwab, qui se joindra à moi après mon intervention.

Je suis ravie d’être l’invitée d’une des facultés d’administration publique les plus prestigieuses au monde. Les futurs leaders viennent ici pour acquérir des aptitudes fondamentales et c’est entre ces murs que les décideurs de demain développent les idées et élaborent les outils à la mesure des besoins pressants du XXIe siècle.

Je souhaiterais aujourd’hui partager avec vous quelques idées sur un thème fondamental pour ce siècle qui est le nôtre : je veux parler de l’importance grandissante des pays émergents. Importance grandissante pour l’économie mondiale, pour les pays avancés comme les États-Unis et, plus concrètement, pour vous et moi dans nos propres vies.

Plantons le décor et songeons aux simples habitudes qui marquent les 30 premières minutes de chacune de vos journées, depuis votre réveil, et voyons en quoi les marchés émergents y participent :

• Il est 7h00 (d’accord, je voulais dire 9h00 car la nuit a sans doute été longue!). Votre smartphone fabriqué en Chine vous dit qu’il est temps de se lever
• Vous vous dirigez vers la douche et en profitez pour envoyer un WhatsApp à un de vos profs. WhatsApp, pour ne rien vous cacher, a été créé par un informaticien Ukrainien.
• Quelques minutes plus tard votre colocataire se réveille à son tour. Un tiers des étudiants de cycle supérieur de l’Université du Maryland sont étrangers et donc il est possible qu’il ou elle ait ouvert Facetime pour parler avec ses parents ou amis en Inde.
• Il est 9h15, l’heure des grandes décisions : préférerez-vous un robusta kenyan à un arabica colombien?
• Vous allumez ensuite votre enceinte bluetooth — sans doute fabriquée en Malaisie — pour écouter les nouvelles.
• Pendant que vous dormiez de nombreuses places boursières à travers la planète ont réagi fébrilement aux dernières statistiques économiques chinoises : le fonds de retraite de vos parents risque d’en prendre un coup et vous commencez à avoir des doutes quant à vos prochaines vacances au Mexique.
• Heureusement, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles car le Zip Car que vous avez loué pour un déplacement, et qui vient probablement de Corée, vous coûtera moins cher en essence, vu la faiblesse de la demande de pétrole et l’offre considérable des pays émergents.

Ces minutes suffisent à constater combien le centre de gravité de l’économie mondiale a lentement basculé. Certes, les États-Unis restent la principale économie de la planète mais à New York, Chicago et Los Angeles, se sont joints d’autres pôles d’activité, de Beijing à Brasilia, de Moscou à Mumbai, et de Djakarta à Johannesburg.

Les pays émergents et en développement sont peuplés de 6 milliards d’habitants, soit 85 % de la population mondiale. Ces 85 % comptent plus que jamais pour l’économie mondiale et ils comptent plus que jamais pour vous, à en juger par les liens du commerce, de la finance, de l’économie, de la géopolitique et des simples relations humaines que vous vivez au quotidien.

Un nouveau partenariat pour la croissance

Les pays émergents et en développement représentent aujourd’hui près de 60 % du PIB mondial, contre à peine 50 % il y a encore une dizaine d’années1. Après la crise de 2008, ils contribuaient à plus de 80 % à la croissance mondiale, ce qui a également permis de sauver beaucoup d’emplois dans les pays avancés. C’est aussi aux pays émergents qu’il faut attribuer en grande partie le net recul de la pauvreté à l’échelle mondiale2.

À elle seule, la Chine a extirpé plus de 600 millions de personnes de la pauvreté durant les trois dernières décennies.

Cependant, après plusieurs années de réussite les pays émergents dans leur ensemble se heurtent à une dure et nouvelle réalité. Les taux de croissance sont en berne, les capitaux sont en reflux et les perspectives à moyen terme se sont fortement détériorées. L’an dernier, par exemple, ils auraient accusé des sorties nettes de capitaux de l’ordre de 531 milliards de dollars, contre des entrées nettes de 48 milliards en 20143.

Pour le court terme, le repli de la croissance, l’ampleur des sorties de capitaux et les récentes déconvenues boursières sont une source de préoccupation.

Qui plus est, d’après les prévisions du FMI, le rythme de convergence des pays émergents et en développement vers les nivaux de revenu des pays avancés sera moins de deux tiers de ce que nous avions prévu il y a encore une dizaine d’années.

La vie devient donc encore plus difficile pour des millions de pauvres. En outre, les classes moyennes nouvellement créées voient leurs espoirs déçus.

Cela porte atteinte aux pays émergents eux-mêmes, mais aussi aux pays avancés qui ont fini par y trouver des débouchés pour leurs investissements et leurs produits.

Il y a en outre le risque d’un creusement des inégalités et d’une aggravation du protectionnisme et du populisme.

Pour toutes ces raisons, il nous faut un nouveau «partenariat pour la croissance». Les pays émergents et les pays avancés doivent jouer leur rôle pour promouvoir une convergence plus rapide et plus durable.

Au vu de ce qui précède, je souhaiterais aborder trois questions :

• Premièrement, quels sont les principaux défis que doivent relever les pays émergents et quels sont les liens d’interdépendance qui unissent pays émergents et pays avancés?
• Deuxièmement, comment pouvons-nous forger un nouveau partenariat pour la croissance?
• Enfin, troisièmement, que peut-on faire pour accompagner ce processus, et notamment que peuvent faire les institutions telles que le FMI?

1. Principaux défis et retombées

Commençons d’abord par préciser ce que nous entendons par pays émergents. Il s’agit d’un groupe d’environ 30-50 pays en phase de transition : ils ne sont ni trop riches ni trop pauvres, ils ne sont pas trop fermés aux capitaux étrangers et leurs systèmes réglementaires et financiers ne sont pas encore parvenus à une pleine maturité.

Ajoutons à cela que ces pays présentent une incroyable diversité — culturelle, géographique voire économique. Aujourd’hui, par exemple, le Brésil et la Russie sont en récession, tandis que l’Inde et le Mexique enregistrent une croissance robuste. Nous aurions donc tort de considérer ces pays comme un bloc monolithique.

Par ailleurs, tous sont déterminés à se hisser au niveau des comparateurs plus riches. Cependant, comme je l’expliquais, la délicate conjoncture actuelle rend ce rattrapage d’autant plus difficile, ce qui m’amène aux principaux défis.

Défis

Premièrement — La transition de la croissance chinoise. La Chine a engagé un ambitieux rééquilibrage de son économie — pour passer de l’industrie aux services, des exportations aux marchés nationaux et de l’investissement à la consommation. Elle évolue par ailleurs vers un système financier davantage orienté sur le marché.

Ces réformes sont un processus nécessaire qui à long terme conduira à une croissance plus durable, dans l’intérêt de la Chine et de l’ensemble de la planète.

Cependant, à court terme elles entraînent un ralentissement de la croissance qui se propage au reste du monde par le truchement du commerce extérieur et du tassement de la demande de matières premières, et dont les effets sont amplifiés par les marchés financiers.

Deuxièmement — Le repli des cours des matières premières. Les cours du pétrole et des métaux ont chuté d’environ deux tiers depuis les maxima observés ces dernières années et ils risquent de rester faibles pendant un certain temps. Plusieurs pays émergents exportateurs de produits de base sont donc mis à rude épreuve et certaines monnaies ont déjà accusé de très fortes dépréciations.

Troisièmement — L’existence de politiques monétaires asynchrones. La Réserve fédérale a relevé les taux d’intérêt face au raffermissement de l’économie américaine, tandis que d’autres pays avancés se sont abstenus ou sont même allés en sens inverse.

Cela a contribué à une appréciation du billet vert qui pèse lourdement sur les finances des entreprises des pays émergents fortement endettées en dollars, surtout dans le secteur énergétique4.

Il s’ensuit que quiconque —banques ou États — détient des créances sur ce type d’entreprises risque de s’exposer à des pertes.

À ces défis s’ajoutent, pour le monde émergent, des risques géopolitiques et environnementaux grandissants. Songeons à la crise des réfugiés syriens. Elle touche directement des pays comme la Turquie, le Liban et la Jordanie, qui accueillent des millions de personnes déplacées.

Songeons aux retombées du changement climatique sur les prix alimentaires, la stabilité politique et la santé publique, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Selon les estimations, d’ici 2030 plus de 98 % des décès imputables au changement climatique se produiront dans les pays en développement.

Retombées et contrecoups

Les pays avancés sont concernés par tout cela en raison de ce que nous désignons au FMI les retombées et les contrecoups. Qu’entend-on par-là?

Il s’agit des conséquences intempestives que les mesures adoptées dans un pays peuvent avoir sur les autres, conséquences qui peuvent par ailleurs se retourner par un jeu d’interactions et finir par porter atteinte au pays d’origine, les contrecoups. Les pays émergents ont atteint une envergure telle que ces effets sont suffisamment importants pour être ressentis un peu partout.

Je vous donne quelques exemples :

Retombées financières. En août dernier, les marchés financiers mondiaux ont frémi à l’annonce d’un nouveau régime de change par la Chine. Au début de cette année, face à une nouvelle chute de la bourse de Shanghai, les investisseurs à travers le monde ont appuyé sur la touche «vendre». De manière plus générale, l’affaiblissement des fondamentaux des entreprises des pays émergents peut aussi avoir des retombées financières sur le reste du monde5. Il faut donc suivre de près les bilans.

Retombées commerciales. Ces dernières années les échanges mondiaux se sont fortement contractés, en partie à cause du ralentissement de l’économie chinoise. Cela nous concerne tous, non seulement en raison du fait que le commerce a traditionnellement été un des principaux vecteurs de croissance, de création d’emplois et de prospérité, mais aussi parce que les échanges entre pays émergents et pays avancés dépassent désormais les échanges entre pays avancés eux-mêmes.

Retombées économiques. Au total, d’après nos estimations, un ralentissement de la croissance d’un point dans les pays émergents provoquerait un repli d’environ 0,2 point dans les pays avancés. On pourrait penser que ce chiffre n’est pas alarmant, mais les pays avancés qui sont d’ores et déjà aux prises avec ce que j’appelle la «nouvelle médiocrité» de croissance faible et de chômage élevé pourraient être durement frappés.

N’oublions pas les retombées environnementales. Près de 90.000 milliards de dollars pourraient être investis dans les infrastructures durant les 15 prochaines années, surtout dans les pays émergents et en développement qui connaîtront une énorme poussée de l’urbanisation6.

Songeons simplement aux risques liés à de mauvais investissements qui, par exemple, auraient pour effet de perpétuer des structures de transport et d’énergie à fortes émissions de gaz carbonique dans ces mégalopoles. Cela aurait de profondes conséquences pour la qualité de vie de la planète, pour nous tous.

Vous l’aurez compris : les pays émergents et les pays avancés dépendent les uns des autres et le monde dépend de leur collaboration. Que peuvent faire les deux parties pour aller de l’avant?
2. Croissance : il faut être deux. Des responsabilités partagées

Pour répondre simplement : il faut être deux pour nourrir la croissance. Ceci m’amène à mon deuxième point. Des politiques résolues de la part des pays émergents et des pays avancés profiteront aux uns et aux autres et profiteront à l’ensemble de l’économie mondiale.

Que peuvent donc faire les pays émergents?

Commençons par les problèmes immédiats et centrons-nous sur les exportateurs de matières premières dont les déficits se creusent et qui subissent des tensions grandissantes en matière de change.

Ces pays pourraient atténuer leur ajustement budgétaire en rehaussant l’efficience de la dépense, en renforçant les institutions budgétaires et en augmentant les recettes hors matières premières. Par ailleurs, une plus grande flexibilité du régime de change peut aussi les aider à amortir l’impact des chocs exogènes.

Dans bien des cas les pays émergents devront aussi intensifier l’utilisation de ce qu’il convient d’appeler les «outils macroprudentiels», pour maîtriser les risques pesant sur le secteur financier, soit en assurant un suivi de l’endettement en devises de certaines des principales entreprises, soit en limitant les retombées de la forte expansion du crédit que beaucoup de pays ont connue durant ces dernières années.
Que peuvent faire les pays avancés?

Face à de modestes perspectives de croissance, les pays avancés doivent continuer d’accompagner la demande à la faveur d’une politique monétaire accommodante. Mais ils doivent équilibrer davantage l’action menée sur les divers fronts. Qu’est-ce que cela veut dire?

Depuis plusieurs années les pays avancés s’appuient principalement sur la politique monétaire pour maintenir les taux d’intérêt à un très faible niveau. Cela était vital pour contribuer à sortir de la crise financière de 2008.

Mais les banques centrales ne peuvent pas être les seules à agir. Les pays qui disposent d’une marge de manœuvre budgétaire doivent également utiliser la politique budgétaire pour relancer leur économie, par exemple en finançant une mise à niveau fort nécessaire des infrastructures publiques.

En outre, les États-Unis assument une responsabilité particulière à l’heure de la normalisation de leur politique monétaire, car celle-ci peut être source de retombées et de contrecoups. Il est donc important que la Réserve fédérale continue sur cette voie en procédant avec prudence et avec une bonne communication.

Et que peuvent faire et les pays émergents et les pays avancés?

Il n’y pas de réponse facile. Tous deux doivent gérer les grandes questions économiques sous-jacentes pour doper la croissance potentielle et promouvoir la convergence durable des revenus dont je parlais tantôt.

J’insisterai sur deux priorités :

D’abord, innover davantage et mieux — en levant les obstacles à la concurrence, en allégeant les formalités administratives, en encourageant la mobilité de la main-d’œuvre et en investissant davantage dans l’éducation et la recherche. Cela permettra de donner libre cours aux énergies créatrices et contribuera à mobiliser l’investissement privé à l’appui d’idées nouvelles, surprenantes et utiles.

Cela aiderait en outre à renforcer le rôle des établissements de recherche publics, comme l’Université du Maryland. N’oubliez pas que toutes les technologies qui entrent dans votre smartphone — internet, réseaux sans fil, GPS, microélectronique, écrans tactiles — ont profité du financement de l’État.

Les entreprises privées, comme Apple, orchestrent le tout — avec brio — mais à elles seules elles n’auraient trouvé ni les incitations ni les énormes moyens financiers pour percer.

Ensuite — faciliter un plus grand partage des technologies entre les pays avancés et leurs homologues émergents. Cela nécessiterait, par exemple, de trouver un meilleur équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et la diffusion des technologies.

Les pays émergents devraient revoir leur conception de la protection des brevets. En même temps, nous devons nous demander si, dans les pays avancés, les idées ne sont pas parfois trop protégées. Toutes ces questions font l’objet d’un vif débat à l’échelle mondiale, y compris sur les produits pharmaceutiques et les traitements médicaux.

Il y a un autre vecteur permettant de faciliter le partage des technologies et du savoir-faire : l’investissement direct étranger. En pourcentage du PIB, l’IDE à destination des pays émergents et en développement est aujourd’hui nettement inférieur à ce qu’il a été pendant la période 2000–06. D’après nos prévisions mondiales, il va encore diminuer d’ici à la fin de la décennie. Nous devons donc nous efforcer davantage de faire sauter les obstacles inutiles à l’IDE et de remplacer les capitaux fébriles par des investissements à long terme.

De la même manière, nous devons promouvoir le partage de technologie en encourageant les réformes commerciales. Pendant au moins trois décennies avant l’éclatement de la crise financière de 2008, les échanges commerciaux internationaux ont régulièrement augmenté deux fois plus vite que l’économie mondiale. Aujourd’hui, leur rythme d’expansion est égal ou inférieur à celui de l’économie mondiale. Outre les effets de la situation en Chine, cela tient au ralentissement de la libéralisation commerciale auquel nous avons assisté ces dernières années.

Nous devons donc redoubler d’efforts pour ouvrir davantage les systèmes commerciaux au niveau mondial et promouvoir l’intégration commerciale au moyen d’accords régionaux et multilatéraux.

Enfin — les pays avancés comme les pays émergents doivent achever et mettre en œuvre le programme mondial de réforme réglementaire — qui est indispensable pour rendre le système financier mondial plus résilient.

3. Que peut-on faire au niveau mondial?

Cela m’amène au dernier thème que je voulais évoquer : que peut-on faire de plus à l’échelle mondiale pour accompagner les efforts des pays émergents et des pays avancés? Et que peut faire le FMI pour apporter son concours à ce nouveau partenariat pour la croissance?

Du point de vue des pays émergents, le système monétaire international actuel n’est pas aussi favorable qu’il devrait l’être. C’est l’un des domaines pour lesquels j’appelle à une «mise à niveau à l’échelle mondiale».

Qu’est-ce que j’entends par «système monétaire international»? Je veux parler des règles et des conventions qui régissent les taux de change, les mouvements de capitaux internationaux, les réserves et les dispositifs officiels qui permettent aux pays de se procurer des liquidités en cas de difficultés — bref, ce que l’on appelle le dispositif mondial de sécurité financière.

Ce système comporte aussi des institutions qui ont été conçues pour garantir le respect des règles et des mécanismes. Le FMI a lui-même été créé il y a plus de 70 ans pour assurer le bon fonctionnement de ce système. Il le fait en surveillant la stabilité économique et financière de ses 188 États membres, en apportant des concours financiers en période de difficultés ainsi qu’en offrant une assistance technique et une formation de première qualité.

Il me semble qu’il serait utile de repenser en particulier deux éléments du système monétaire international : i) les flux de capitaux et ii) le dispositif mondial de sécurité.

Plus grande sécurité des flux de capitaux

Pour renforcer le système monétaire, il serait bon de prévoir une structure qui permette une plus grande sécurité des flux de capitaux.

Les flux de capitaux ont considérablement augmenté ces quarante dernières années. Entre 1980 et 2007 par exemple, les flux de capitaux internationaux ont été multipliés par plus de 25, alors que le commerce mondial est devenu huit fois plus important.

Côté positif, cela a permis une augmentation de l’investissement dans un grand nombre de pays émergents qui ont besoin de capitaux étrangers pour financer leur développement. En revanche, cela s’est aussi accompagné d’épisodes de forte volatilité des flux de capitaux, ce qui peut engendrer des tensions financières dans les pays émergents et, comme je l’ai déjà fait observer, provoquer des contrecoups pour les pays avancés.

Il est désormais de plus en plus admis que le caractère à court terme et la volatilité inhérente des flux internationaux de capitaux posent problème. Comment y remédier?

Encore une fois, il n’y a pas de réponse simple, mais je voudrais vous faire part de quelques réflexions préliminaires sur ce qui pourrait être fait à moyen terme. À mon sens, les pays gagneraient à un accroissement des flux de capitaux à long terme sous forme de participations.

Dans les pays d’origine par exemple, le cadre de supervision pourrait être adapté de manière à garantir le maintien de niveaux prudents de fonds propres pour couvrir les flux à court terme créateurs d’endettement. Dans les pays de destination, un renforcement des mesures macroprudentielles pourrait aider à rendre le système financier plus résilient.

De plus, dans les pays émergents comme dans les pays avancés, il pourrait être utile de revoir les politiques fiscales — qui font la part belle à la dette, essentiellement par le jeu de la déductibilité des intérêts.

Renforcement du dispositif mondial de sécurité financière

Outre une plus grande sécurité des flux de capitaux, pour être plus solide, le système monétaire international doit comporter un dispositif mondial adéquat de sécurité financière — pour permettre l’accès aux ressources financières en période de crise ou de difficulté.

Que recouvre précisément ce dispositif de sécurité? Il englobe les réserves de change des pays, les accords monétaires entre banques centrales — connus sous le nom de ligne de crédit réciproques —, les arrangements financiers régionaux et, bien sûr, le FMI.

Le dispositif s’est étoffé depuis la crise financière de 2008, mais il est aussi devenu plus fragmenté et asymétrique.

Par exemple, un grand nombre de pays émergents n’ont pas accès aux lignes de crédit réciproques des banques centrales des pays avancés. Cela est problématique, car les pays émergents ont absolument besoin des monnaies des pays avancés pour leurs transactions commerciales et financières.

Il n’est donc pas étonnant que beaucoup d’entre eux se soient constitué d’importants volants de sécurité sous forme de réserves de change. Pourquoi s’en préoccuper? Parce que cela veut dire que, pendant de nombreuses années, les capitaux ont circulé «vers l’amont», c’est-à-dire des pays émergents relativement plus pauvres vers les pays avancés relativement plus riches, ce qui est aberrant dans la mesure où les rendements des capitaux devraient être plus élevés dans les pays pauvres.

Un dispositif de sécurité renforcé aiderait à rendre moins nécessaire cette sorte d’«auto-assurance». Il libérerait aussi du capital pour réaliser les investissements dont le monde émergent a tant besoin — par exemple dans les secteurs des infrastructures, de la santé et de l’éducation.

Dès lors, comment renforcer le dispositif de sécurité? On pourrait par exemple envisager de renforcer et de développer les instruments financiers internationaux utilisés à titre de précaution et répondant aux besoins de tous. On pourrait aussi accroître la taille du dispositif de sécurité. Au cours des prochains mois, le FMI examinera avec les États membres ces questions et d’autres aspects du système monétaire international.

Le rôle du FMI

J’en viens maintenant à mon dernier point : le rôle du FMI. J’ai le plaisir de vous annoncer qu’il a été renforcé par l’approbation par les États membres d’un ensemble de réformes concernant les quotes-parts et la gouvernance, réformes qui sont d’ailleurs entrées en vigueur la semaine dernière. Pourquoi est-ce si important?

Premièrement, la viabilité financière de l’institution s’en trouve renforcée puisque ses ressources permanentes sont doublées, et elle est ainsi mieux équipée pour répondre rapidement aux besoins des États membres.

Deuxièmement, la représentation des pays émergents et en développement dynamiques dans la structure de gouvernance du FMI est renforcée. Pour la première fois de l’histoire, des pays émergents tels que le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie figurent parmi les dix plus grands actionnaires du FMI.

L’essentiel est que le FMI d’aujourd’hui reflète plus fidèlement la dynamique de l’économie mondiale du XXIe siècle, y compris le rôle des pays émergents. Les réformes renforcent aussi la capacité du FMI de rassembler les pays émergents et les pays avancés dans ce nouveau partenariat pour la croissance.

4. Conclusion : une nouvelle réalité économique

Voilà donc les réflexions dont je voulais vous faire part aujourd’hui. À mesure que les pays se sont développés et se sont enrichis, une nouvelle réalité économique a peu à peu vu le jour. Maintenant que certains de ces pays connaissent des difficultés après de longues années de croissance vigoureuse, le reste du monde s’en ressent aussi. Il n’y a pas lieu de s’en alarmer, mais nous devons absolument en être conscient et voir les choses un peu différemment, de manière un peu plus multilatérale.

J’ai parlé de ce que peuvent faire les pays émergents et les pays avancés. Mais vous, que pouvez-vous faire?

Vous êtes les dirigeants et les responsables de demain. A ce titre, vous serez appelés à apporter votre contribution, par exemple en faisant prendre conscience du changement climatique, en dénonçant les dangers d’une inégalité excessive et en exigeant que soient respectées les plus hautes normes éthiques dans tous les domaines de la vie.

Pour reprendre les paroles du Président John F. Kennedy :

«Le changement est la loi de la vie et ceux qui regardent seulement le passé ou le présent sont certains de manquer l’avenir.»

Le message que je voudrais faire passer aujourd’hui est que les pays émergents et en développement influeront de façon décisive sur le XXIe siècle et le monde dans lequel vous et vos enfants vivrez. En formant un nouveau partenariat, en renforçant le «nouveau multilatéralisme», nous créerons pour tous un avenir marqué par plus de paix et de prospérité.

Je vous remercie.


1 PIB mesuré en parité de pouvoir d’achat.

2 En 2012, selon les dernières estimations de la Banque mondiale, 12,7 % de la population mondiale vivait avec un maximum de 1,90 dollar par jour. Ce chiffre était de 37 % en 1990 et de 44 % en 1981.

3 Rapport de l’Institute of International Finance.

4 La dette des entreprises non financières dans l’ensemble des pays émergents a quadruplé entre 2004 et 2014 pour se hisser à 18.000 milliards de dollars (Rapport sur la stabilité financière dans le monde, octobre 2015).

5 Les résultats des études seront publiés dans l’édition d’avril 2016 du Rapport sur la stabilité financière dans le monde.

6 Global Commission on the Economy and Climate (GCEC), 2014, Better Growth, Better Climate: The New Climate Economy Report (Washington); b de Nicholas Stern.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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