Bulletin du FMI : L’expansion des banques panafricaines pourrait accroître les risques systémiques
le 4 février 2015
- L’essor des banques panafricaines profite au développement financier
- La supervision bancaire se heurte toutefois à des contraintes et à un manque de ressources dans la plupart des pays d’Afrique
- Il est urgent de renforcer la supervision de certaines holdings bancaires
Selon un récent rapport des services du FMI, l’essor que connaissent les activités bancaires transfrontalières en Afrique depuis quelques années soulève des problèmes de supervision qui, s’ils ne reçoivent pas de réponse, peuvent accroître les risques systémiques.
SUPERVISION DES BANQUES TRANSFRONTALIÈRES
Ce rapport note que les banques panafricaines ont une présence systémique dans quelque 36 pays et qu’elles sont désormais plus importantes que les établissements bancaires européens et américains implantés de longue date sur le continent africain.
Les banques panafricaines sont porteuses de concurrence, particulièrement dans les pays d’accueil dont le marché est restreint, et d’innovation, et elles ouvrent de nouvelles possibilités de diversification pour leurs pays d’origine.
Le rapport souligne toutefois que la capacité de supervision se heurte à des contraintes et à un manque de ressources dans la plupart des pays d’Afrique. Des progrès sont évidents dans un certain nombre de domaines, mais de plus vastes efforts s’imposent pour renforcer la supervision dans certains cas.
«L’arrivée de banques panafricaines est salutaire vu les besoins d’inclusion financière et de développement des circuits financiers en Afrique. Par ailleurs, la rapide expansion transfrontalière de ces établissements crée, sur le plan de la réglementation et de la supervision, une nouvelle problématique qu’il importe de gérer, faute de quoi ce phénomène pourrait causer des risques systémiques et des risques de contagion» a déclaré Mauro Mecagni, Sous-directeur du Département Afrique du FMI.
Dynamique de l’expansion
L’essor des banques panafricaines s’explique par la convergence de plusieurs facteurs.
• La fin de l’apartheid au milieu des années 90 a ouvert la voie aux banques sud-africaines, qui ont ainsi pu diffuser leur savoir-faire à l’étranger
• Au Nigéria, l’augmentation sensible des fonds propres réglementaires minimum après la crise bancaire du milieu des années 2000 a poussé les banques à s’étendre à l’international pour mettre en valeur leurs fonds propres nouvellement constitués.
• Les banques marocaines ont également vu la possibilité d’étendre leurs réseaux à l’extérieur face à un marché national plus saturé.
• Le regain de dynamisme de l’intégration régionale et le succès remporté par les modes de paiements mobiles au Kenya ont été favorables à l’expansion des banques kenyanes en Afrique de l’Est
De manière plus générale, la multiplication des échanges commerciaux entre pays africains a poussé les banques à suivre leurs clients à l’étranger. L’apaisement des conflits civils, l’amélioration notable de la situation macroéconomique et les débouchés offerts par de vastes populations non bancarisées dans l’ensemble du continent ont constitué un terrain propice à l’expansion des groupes bancaires.
Nouvelles activités
La présence de banques panafricaines ouvre des débouchés et profite à l’économie des pays concernés. De manière plus précise, les activités transfrontalières permettent de générer de nouvelles activités et de diversifier l’économie dans les pays d’origine. S’agissant des pays d’accueil, ceux-ci profitent de plusieurs retombées positives :
• Concurrence accrue, accès à des aptitudes plus pointues et accès à des fonds propres;
• Diversification des sources de financement;
• Amélioration éventuelle de la qualité de la supervision et de la réglementation grâce à la présence de banques étrangères animées par les normes plus rigoureuses du pays d’origine, comme dans le cas du Maroc et de l’Afrique du Sud.
Il ressort de données ponctuelles que l’expansion des banques transfrontalières dynamise la concurrence, en particulier dans les pays d’accueil où les marchés locaux sont restreints. Ces banques sont des moteurs d’innovation, elles renforcent l’inclusion financière et, dans certains cas, elles contribuent à réduire les coûts.
Les banques africaines sont également devenues des chefs de file dans le montage de prêts consortiaux, occupant ainsi le vide laissé par les banques européennes. La crise financière mondiale et le durcissement réglementaire qui s’en est suivi, de même que les coûts élevés des opérations de petite échelle, ont accéléré le retrait des banques européennes du continent.
Transmission des risques
La montée en puissance des banques panafricaines crée également de nouveaux mécanismes de transmission des risques macrofinanciers et d’autres phénomènes de contagion entre pays d’origine et pays d’accueil. À mesure que ces groupes bancaires gagnent en envergure et en complexité, de considérables lacunes de supervision apparaissent, au même titre que des problèmes de gouvernance et des questions en matière de résolution transfrontalière. Cette expansion a eu pour effet de créer un réseau de banques d’importance systémique, dont la santé financière, dans certains cas, n’est pas entièrement appréhendée en raison de lacunes de supervision consolidée.
Dans la plupart des pays africains, la capacité de supervision est déjà limitée et les ressources en la matière sont insuffisantes; or, les banques transfrontalières sollicitent encore plus les instances de supervision des pays d’origine. Des progrès sont manifestes dans la plupart des domaines, mais à certains égards il faut redoubler d’efforts pour renforcer la supervision. Dans un cas particulier, au demeurant important, une grande banque transfrontalière n’est soumise à aucune supervision ou règlementation consolidée.
Charles Enoch, qui faisait partie du Département des marchés monétaires et de capitaux au moment de l’élaboration du rapport, a signalé : «Ce projet est une application des priorités institutionnelles visant à mieux centrer la surveillance en renforçant l’évaluation du secteur financier, des interconnexions et des effets de contagion, et il constitue un exemple de l’excellente collaboration entre départements du FMI et avec les autorités de la région».
Recommandations de politique générale
Le document contient des recommandations de politique générale qui accordent une grande priorité à la mise en œuvre d’une supervision consolidée, au renforcement de la coopération à l’appui de la gestion et résolution de crises, à la mise en place effective de collèges de superviseurs pour toutes les banques panafricaines, et à la création d’un comité de superviseurs des principales banques transfrontalières pour animer le processus de réforme en Afrique.
Le manque de surveillance réglementaire des sociétés holding bancaires et leur supervision consolidée doivent recevoir une attention urgente dans certains pays d’origine, signale le rapport, qui précise par ailleurs que sans un plan de coopération clair à l’appui de mécanismes de résolution, la supervision à elle seule n’aura sans doute qu’un effet limité.
La plupart des pays africains ont également besoin de renforcer leur dispositif de résolution bancaire au plan national. La récente crise financière mondiale a clairement démontré les coûts de l’absence d’un cadre transfrontalier opérationnel, et combien il était difficile d’en créer un, d’où la nécessité d’un travail soutenu dans ce domaine.
Prochaines étapes
Le 12 janvier, les services du FMI ont rendu compte du rapport au Conseil d’administration de l’institution. En outre, les principales conclusions du rapport avaient été examinées avec les gouverneurs des banques centrales concernées à l’occasion de l’Assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale de 2014, à Washington. Les autorités et le Conseil d’administration ont salué l’initiative, la jugeant pertinente et importante, voyant en elle une contribution essentielle au traitement de la problématique, et ils se sont vivement associés à ses recommandations. Cette démarche régionale novatrice contribue déjà à éclairer le volet macrofinancier du travail de surveillance du FMI.
Paul Mathieu, conseiller régional pour l’Afrique au sein du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI a signalé que «ce travail n’était que la première étape d’un projet visant à mieux comprendre les liens financiers transfrontaliers et risques systémiques grandissants en Afrique et à renforcer la supervision financière».
La première étape consiste à faire en sorte que les conclusions et recommandations contribuent à éclairer la surveillance bilatérale et régionale. Ce travail a déjà commencé à l’occasion des consultations au titre de l’article IV en cours avec le Maroc et l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
Les services du FMI ont également entrepris d’étudier les moyens d’approfondir le travail d’analyse à la faveur de tests de résistance sur les principales banques panafricaines, et de mieux comprendre les interconnexions issues des liens transfrontaliers, les vulnérabilités et les mécanismes de contagion. En outre, un travail d’assistance technique spécialisé sera mis au point avec les partenaires du FMI en Afrique, pour accompagner les réformes nécessaires sur l’ensemble du continent.