Bulletin du FMI : Pour devenir un pays à revenu intermédiaire, le Sénégal s’inspire de l’expérience de ses pairs
le 2 février 2015
- Le Sénégal, aujourd’hui pays à faible revenu, veut rejoindre les pays émergents
- L’enjeu des réformes est semblable à celui d’autres pays, sans être forcément de même ampleure
- Les leçons des pays pairs, nouvelle forme d’assistance concrète pour mener les principales réformes
Les pays à faible revenu qui envisagent de prendre des mesures décisives pour entrer dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire pourraient beaucoup apprendre de l’expérience des pays comparables qui ont déjà franchi ce pas, ont conclu les participants à un séminaire de réflexion organisé au siège du FMI à Washington.
PAYS ÉMERGENTS D’AFRIQUE
Ce séminaire de trois jours intitulé «La transformation du Sénégal en une économie émergente», organisé par le FMI et les autorités sénégalaises, visait à permettre des échanges entre pays pairs. Des hauts responsables du Cap-Vert, de Maurice et des Seychelles se sont ainsi entretenus, en personne et par téléconférence, avec la délégation du Sénégal du 15 au 17 décembre 2014.
Cette manifestation reprenait la formule du séminaire d’apprentissage entre pairs organisé un mois plus tôt à Maurice afin d’examiner la voie suivie par les pays à revenu intermédiaire pour devenir des pays à revenu élevé. Ce séminaire avait réuni à l’Institut de formation pour l’Afrique de Maurice dix-huit hauts responsable de sept petits pays d’Afrique à revenu intermédiaire. De l’avis de tous les participants, l’apprentissage entre pairs offre des possibilités encore inexploitées pour faire avancer les réformes dans leur pays.
Sortir du piège
Le séminaire de réflexion avait pour but d’apporter un soutien aux autorités sénégalaises, qui sont engagées dans des réformes indispensables à la réussite de leur nouvelle stratégie de développement, le Plan Sénégal Émergent. Ce plan a été examiné et soutenu par le Conseil d’administration du FMI dans le contexte des consultations de 2014 au titre de l’article IV avec le Sénégal. Il est conçu pour aider le Sénégal à sortir du piège de la croissance faible et de la pauvreté généralisée qu’il a connu ces dernières années, pour devenir un pays émergent au cours des deux prochaines décennies.
Reposant sur plusieurs piliers — croissance par la transformation et la diversification; développement humain et protection sociale; et amélioration de la gouvernance, de la paix et de la sécurité —, ce plan prévoit des réformes pour faire en sorte que la croissance économique profite à tous. L’augmentation de l’investissement — public et privé, intérieur et étranger — dans des projets susceptibles de stimuler la croissance, les infrastructures et le capital humain permettrait au Sénégal d’entrer dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire pendant la durée de vie de la génération actuelle.
La priorité sera donnée à l’amélioration des services publics, à la recherche d’une plus grande efficacité des dépenses de l’État grâce à la réforme de la gestion des finances publiques, à la limitation de la consommation publique afin de dégager l’espace budgétaire nécessaire à l’investissement, et au renforcement des dispositifs de protection sociale.
D’autres l’ont fait
L’expérience d’autres pays laisse à penser que l’ambition du Sénégal est réalisable.
Entre 1990 et 2013, environ 40 pays ont affiché des taux de croissance moyen du PIB réel par habitant de 5 %, voire plus (à parité de pouvoir d’achat). L’expérience de ces pays montre que le Sénégal peut être encore plus ambitieux et porter son taux de croissance à 7 % à moyen terme, en s’appuyant sur les réformes intérieures et les exportations rendues possibles par les investissements étrangers.
Bien que tous les pays ne réussissent pas toutes leurs réformes, le Sénégal pourrait suivre l’exemple de certains, dont l’Inde, le Guyana et Sri Lanka. Les «lions» africains, c’est-à-dire les pays émergents que sont le Cap-Vert, Maurice et l’Ouganda, se sont aussi engagés sur la voie déjà empruntée par les «tigres» asiatiques pour passer du statut de pays à faible revenu à celui de pays émergent à revenu intermédiaire.
Khoudijah Boodoo, Board of Investment, Maurice«La voie des réformes est semée d’embûches pendant la phase de mise en œuvre. Les problèmes qui se posent sont les mêmes, quel que soit le pays considéré et son niveau de développement, même s’ils n’ont pas tous la même ampleur : capacité d’exécuter les projets, suivi, évaluation, budgétisation. L’apprentissage avec les pairs est une bonne formule pour comprendre le «comment». En écoutant ceux qui ont déjà suivi la même voie, on saisit mieux les difficultés, on tire les leçons de leurs échecs et on peut connaître différents point de vue».Khoudijah Boodoo, Board of Investment, Maurice«La voie des réformes est semée d’embûches pendant la phase de mise en œuvre. Les problèmes qui se posent sont les mêmes, quel que soit le pays considéré et son niveau de développement, même s’ils n’ont pas tous la même ampleur : capacité d’exécuter les projets, suivi, évaluation, budgétisation. L’apprentissage avec les pairs est une bonne formule pour comprendre le «comment». En écoutant ceux qui ont déjà suivi la même voie, on saisit mieux les difficultés, on tire les leçons de leurs échecs et on peut connaître différents point de vue».
Accent sur le «comment»
D’emblée, la délégation sénégalaise a précisé que, plutôt que d’examiner ce qu’il faut faire, la réflexion devrait porter sur comment le faire, car toutes les réformes prioritaires du Sénégal étaient déjà définies dans le Plan Sénégal Émergent. Sur la base des sujets choisis par les autorités, l’expérience concrète partagée par les pays pairs et les experts a permis de dégager les priorités suivantes :
• Il est indispensable de mobiliser des recettes afin de créer un espace budgétaire solide pour financer les réformes. La principale idée à retenir est celle de la création d’une unité chargée de faire le lien entre la collecte d’informations, le contrôle fiscal et le recouvrement des impôts.
• La qualité des dépenses publiques doit être fondamentalement améliorée. L’identification de zones spécifiques d’efficience serait le point de départ pour incorporer une procédure de sélection des projets en huit étapes suggérée par la Banque mondiale et déjà utilisée par certains pays pairs. Une assistance technique et une évaluation externe périodique aideraient à garantir l’intégrité de cette procédure.
• Dans le domaine de la gestion des finances publiques, des systèmes d’information fiables sont indispensables. Le Système intégré de gestion des finances publiques et le système de gestion des informations douanières utilisés au Sénégal se sont révélés assez fiables dans l’ensemble pour permettre une gestion efficiente et transparente du budget et des douanes. Les pays pairs et les experts internationaux ont présenté les avantages respectifs de divers systèmes de gestion des douanes et des finances publiques.
• Les orientations données par les pays pairs pour la réforme du secteur énergétique du Sénégal étaient d’ordre stratégique : assurer en priorité l’accès universel à l’électricité, même si la qualité des services peut encore être améliorée; prendre ensuite des mesures pour améliorer la qualité des services; et envisager un relèvement des tarifs en dernier ressort, et seulement après amélioration des services.
• En ce qui concerne le renforcement des capacités, l’expérience de Maurice, qui a attiré les membres de la diaspora par des programmes destinés aux jeunes diplômés, par exemple au moyen de projets de partenariats public-privé, est particulièrement importante pour le Sénégal. Une approche allant dans ce sens renforcerait les capacités de la fonction publique et rehausserait le prestige du service public.
• Pour réussir, toute réforme doit être accompagnée de mesures de protection sociale. Un ciblage et une gestion adaptés des transferts publics permettraient d’en faire une source fiable de revenu pour les familles dans le besoin. Un registre des pauvres, établi et tenu de façon appropriée, permettrait aux autorités et aux bailleurs de fonds d’acheminer leur aide de façon efficace.
• Enfin, un suivi rigoureux des réformes est important.
Pierre Ndiaye, Ministère de l’Économie et des Finances, Sénégal«Notre délégation est fortement encouragée par cette réunion. Nous avons l’intention d’y donner suite en renforçant le dialogue interne et en développant la coopération sud-sud, surtout avec les pays pairs. Nous nous félicitons de la possibilité offerte par l’Institut pour le développement des capacités de former des Sénégalais dans les domaines clés de nos réformes. En particulier, nous apprécions la possibilité d’intégrer dans ces ateliers des représentants des pays pairs dont l’expérience présente un intérêt pour le Sénégal.»Pierre Ndiaye, Ministère de l’Économie et des Finances, Sénégal«Notre délégation est fortement encouragée par cette réunion. Nous avons l’intention d’y donner suite en renforçant le dialogue interne et en développant la coopération sud-sud, surtout avec les pays pairs. Nous nous félicitons de la possibilité offerte par l’Institut pour le développement des capacités de former des Sénégalais dans les domaines clés de nos réformes. En particulier, nous apprécions la possibilité d’intégrer dans ces ateliers des représentants des pays pairs dont l’expérience présente un intérêt pour le Sénégal.»Avantages mutuels
Le séminaire d’échanges a bénéficié au Sénégal et aux pays pairs, en les aidant à affiner leur réflexion sur les réformes. Parmi les questions pratiques dont la discussion a été mutuellement enrichissante pour les pays pairs, on citera : les moyens d’améliorer l’efficacité des dépenses, la mise en place de mécanismes de suivi, l’utilisation d’unités chargées de fournir les services, les techniques de gestion de projet au-delà de l’analyse coûts-avantages, l’importance de susciter une adhésion politique pour la sélection des projets, les mécanismes d’annulation de projets en cours de mise en œuvre et diverses possibilités de procéder à la réforme du secteur de l’électricité.
L’apprentissage entre pairs constitue aussi une manière économique de partager des connaissances. De l’avis des participants aux deux séminaires, les plates-formes multilatérales existantes, à savoir l’Institut de formation pour l’Afrique et les centres régionaux d’assistance technique du FMI ainsi que les organismes régionaux tels que l’Union économique et monétaire oust-africaine, pourraient être utilisées pour développer et soutenir l’apprentissage entre pairs, en personne et en ligne. Par le biais de ces échanges, les pays pairs pourraient non seulement s’enrichir mutuellement, mais ils pourraient aussi se fixer des buts communs et partager leurs expériences réussies avec les pays qui se trouvent dans une situation comparable.
Bertrand Belle, Ministère des Finances, Seychelles«Des divergences peuvent apparaître quant aux stratégies à suivre pour appliquer certaines mesures. Même si les pays peuvent avoir des divergences de fond, il est plus rassurant de savoir que les divergences sont dues à la diversité des contextes nationaux, car, dans ce cas, il n’y a pas lieu d’avoir de divergences sur le plan technique, lesquelles sont alors purement quantitatives. Cela risquerait d’aboutir à l’apparition de gagnants et de perdants et à des expériences regrettables.»Bertrand Belle, Ministère des Finances, Seychelles«Des divergences peuvent apparaître quant aux stratégies à suivre pour appliquer certaines mesures. Même si les pays peuvent avoir des divergences de fond, il est plus rassurant de savoir que les divergences sont dues à la diversité des contextes nationaux, car, dans ce cas, il n’y a pas lieu d’avoir de divergences sur le plan technique, lesquelles sont alors purement quantitatives. Cela risquerait d’aboutir à l’apparition de gagnants et de perdants et à des expériences regrettables.»
Le chemin à suivre
Ces deux séminaires ont contribué à la définition d’orientations pour l’apprentissage entre pairs.
• Tout d’abord, il doit y avoir des affinités naturelles entre les participants : tous doivent avoir le même intérêt à fournir et recevoir des conseils.
• L’échange doit porter avant tout sur des solutions pratiques applicables à des réformes spécifiques. Le pays intéressé doit établir une liste de réformes spécifiques, en se fondant sur ses propres priorités de réforme.
Pour avancer, les discussions pourraient porter sur les composantes des réformes auxquelles travaillent les participants. Étant donné qu’aucun pays ne peut exceller dans tous les domaines, les discussions devraient aussi être sélectives et porter sur les réformes qui ont le mieux réussi et qui présentent un intérêt pour les différents pays.
Par exemple, les réformes intéressant le Sénégal seraient : l’introduction de numéros d’identification fiscale, la planification des investissements, le tourisme et la mobilisation de la diaspora au Cap-Vert; et la suppression des subventions et le développement du tourisme aux Seychelles.
L’expertise de Maurice offre en particulier un vaste potentiel d’apprentissage entre pairs dans de nombreux domaines : création de centrales de crédit, modernisation des titres fonciers et du cadastre, soutien aux jeunes entrepreneurs, moyen d’attirer les jeunes talentueux dans la fonction publique, fiscalité des télécommunications, soutien au secteur du tourisme, création de zones observant de bonnes pratiques commerciales, certification de normes de service dans le service public et partenariats public-privé.
Ali Mansoor, Sous-directeur, Département Afrique du FMI«La formule de l’apprentissage entre pairs est expérimentale pour le FMI. Elle a fonctionné parce que le Sénégal avait la volonté d’apprendre de ses pairs. De leur côté, les trois pays à revenu intermédiaire ont jugé utile d’y participer. Le FMI a été essentiellement l’intermédiaire et a joué un rôle catalyseur clé en rassemblant les hauts responsables qui avaient eu à faire face à des défis comparables et en offrant une plate-forme de partage des expériences. Les experts du FMI et de la Banque mondiale ont présenté l’éventail des meilleures pratiques internationales. C’est maintenant à nos collègues sénégalais de faire le meilleur usage des conseils qu’ils ont reçus.»Ali Mansoor, Sous-directeur, Département Afrique du FMI«La formule de l’apprentissage entre pairs est expérimentale pour le FMI. Elle a fonctionné parce que le Sénégal avait la volonté d’apprendre de ses pairs. De leur côté, les trois pays à revenu intermédiaire ont jugé utile d’y participer. Le FMI a été essentiellement l’intermédiaire et a joué un rôle catalyseur clé en rassemblant les hauts responsables qui avaient eu à faire face à des défis comparables et en offrant une plate-forme de partage des expériences. Les experts du FMI et de la Banque mondiale ont présenté l’éventail des meilleures pratiques internationales. C’est maintenant à nos collègues sénégalais de faire le meilleur usage des conseils qu’ils ont reçus.»
Le FMI est un lieu où sont mises en commun les expériences des différents pays et offre une plate-forme unique de partage des connaissances. Il peut apporter son aide sous diverses formes, notamment par un dialogue renforcé sur la politique économique, une assistance technique au siège ou dans les centres régionaux, et l’organisation d’échanges futurs entre pairs.
Les sept petits pays à revenu intermédiaire qui ont participé au séminaire de Maurice réfléchissent sérieusement aux prochaines étapes de leur processus d’apprentissage et préparent un livre intitulé Africa on the Move: Unlocking the Potential of Small Middle Income Countries (SMICs) (L’Afrique en mouvement : pour libérer le potentiel des petits pays à revenu intermédiaire).
Les autorités sénégalaises envisagent de continuer à dialoguer avec un petit nombre de pays comparables pour mettre en place une initiative d’apprentissage actif entre pairs. Le prochain atelier est prévu pour début 2015; il portera sur les partenariat public-privé, avec la participation, entre autres pays, de l’Afrique du Sud et de Maurice.
Pourrait suivre un autre atelier sur les unités de prestation de services, avec la Banque mondiale et, peut-être, le Royaume-Uni, la Malaisie, Maurice et l’Afrique du Sud. Enfin, ces échanges entre pairs fourniront la matière d’un livre à paraître dont le titre provisoire est : «Sénégal : la marche vers l’émergence».