Le renchérissement des produits de base, dont les prix sont poussés à la hausse par la guerre en Ukraine, aura des répercussions économiques notables dans la région.
La guerre en Ukraine et les sanctions qui l’accompagnent ont entraîné une envolée des cours des produits de base qui aggravera les difficultés déjà rencontrées par les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, en particulier les importateurs de pétrole.
Après le pic à 130 dollars le baril qui a suivi l’invasion russe, les cours devraient avoisiner 107 dollars en moyenne en 2022, contre 38 dollars en 2021, selon la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale. De même, les prix des denrées alimentaires devraient augmenter d’encore 14 % en 2022, après avoir atteint des sommets historiques en 2021.
Cette flambée des prix intervient à un moment très critique pour la reprise dans la région : dans nos Perspectives économiques régionales, nous avons révisé nos prévisions de croissance pour l’ensemble de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en hausse de 0,9 point, à 5 %, mais ce chiffre reflète une amélioration des perspectives pour les pays exportateurs de pétrole bénéficiant des hausses des cours du pétrole et du gaz.
S’agissant des pays importateurs de pétrole, nous avons revu nos prévisions à la baisse, car le renchérissement des produits de base aggrave les difficultés liées à l’augmentation de l’inflation et de la dette, au resserrement des conditions de financement mondiales, aux progrès inégaux de la vaccination et, dans certains pays, aux facteurs de fragilité sous-jacents et à des conflits.
Les effets des prix élevés des produits de base
La hausse de l’inflation est une des conséquences les plus directes du renchérissement des produits de base. Les prix des denrées alimentaires ont représenté environ 60 % de la poussée de l’inflation globale mesurée l’an dernier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, hors pays du Conseil de coopération du Golfe. Nous tablons donc sur une inflation se maintenant à un niveau élevé dans la région en 2022, à 13,9 %, soit une hausse notable par rapport à nos prévisions d’octobre.
Il n’y a là rien de surprenant sachant que de nombreuses économies de la région sont largement tributaires des arrivées de produits alimentaires étrangers (environ un cinquième du total des importations) et que l’alimentation pèse lourd dans les paniers de consommation (plus d’un tiers en moyenne), voire plus encore dans le cas des pays à faible revenu.
La guerre a également avivé les craintes relatives à l’insécurité alimentaire, compte tenu de la dépendance de la région aux importations de blé en provenance de Russie et d’Ukraine et de la hausse des prix, qui rend les denrées encore moins abordables pour la population.
La situation des pays fragiles ou touchés par un conflit est particulièrement préoccupante, car leurs réserves stratégiques couvrent moins de 2,5 mois de consommation intérieure nette. Globalement, les hausses des prix alimentaires et les risques de pénuries de blé pénalisent davantage les pauvres, qui consacrent une part supérieure de leurs dépenses à l’alimentation. Ce contexte accentuera la pauvreté et les inégalités mais aussi les risques de troubles sociaux.
Le renchérissement des produits de base aura aussi des répercussions considérablement négatives sur les comptes extérieurs des pays importateurs de pétrole. Nous prévoyons que les soldes extérieurs de ces pays diminueront en moyenne de 1 point de PIB. La hausse des prix du blé portera à elle seule un coup dur aux pays à faible revenu, entraînant une nouvelle détérioration des comptes courants, d’environ 1,2 % du PIB en moyenne.
Comment les pays réagissent-ils à cette conjoncture ? Certains ont recours à des mesures ciblées pour soulager leur population, tandis que d’autres ont préféré en passer par de nouvelles subventions et davantage de contrôles des prix pour limiter les effets inflationnistes des hausses de prix mondiaux, ce qui, en l’absence de mesures de compensation, ne fera qu’aggraver les déséquilibres budgétaires.
L’augmentation des seules subventions à l’énergie pourrait atteindre 22 milliards de dollars pour les pays importateurs de pétrole en 2022, un montant qui aurait pu être dépensé autrement, en faveur d’aides plus ciblées ou d’autres mesures prioritaires. Outre les subventions existantes, certains pays ont adopté des mesures visant à amortir l’impact des hausses de prix, optant par exemple pour des transferts directs ou des baisses de droits de douane sur les produits alimentaires, ce qui alourdira la facture budgétaire.
Que devraient faire les décideurs ?
Les arbitrages à court terme sont devenus de plus en plus complexes pour les pays importateurs de pétrole au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La maîtrise de l’inflation est une des principales priorités, malgré la fragilité des reprises. Dans les pays où les anticipations d’inflation risquent de se renforcer ou les tensions sur les prix de se généraliser, il faut relever les taux directeurs. Une communication claire et transparente sera essentielle pour guider les marchés.
Il est urgent aussi que les pays s’attaquent aux risques d’insécurité alimentaire et atténuent l’impact des hausses des prix mondiaux sur les pauvres. Le moyen le plus efficace de protéger les ménages vulnérables réside dans des transferts ciblés, temporaires et transparents. Dans les pays où les filets de sécurité sont moins solides, les prix pourraient être augmentés de manière progressive. S’agissant des pays à faible revenu, il est crucial que la communauté internationale leur apporte un soutien financier de longue durée.
Pour les pays très endettés, ces mesures devraient s’accompagner de mesures de compensation par ailleurs : réduction des dépenses superflues, promotion de l’équité fiscale, voire une combinaison des deux, pour préserver la viabilité de la dette dans un contexte d’espace budgétaire limité.
La coordination des politiques budgétaire et monétaire, en les inscrivant dans un cadre de politiques publiques à moyen terme crédible, contribuera à faciliter les arbitrages.
Ces difficultés soulignent à quel point il importe de poursuivre les réformes structurelles, qui aideront les pays à encaisser les futurs chocs macroéconomiques et à accélérer la reprise. Les mesures qui favorisent l’efficience des dépenses publiques et du recouvrement des recettes, y compris grâce à la transformation numérique, promeuvent l’activité du secteur privé et renforcent les dispositifs de protection sociale seront autant de priorités importantes.
Alors que les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord s’emploient à adapter leurs politiques macroéconomiques à la nouvelle donne géopolitique, le FMI continuera de les aider en prodiguant ses conseils de politique économique, en fournissant des financements et en renforçant leurs capacités.
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Jihad Azour est directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international. Il supervise le travail du FMI au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie centrale et dans le Caucase.
En tant que ministre des Finances du Liban entre 2005 et 2008, il a coordonné la mise en œuvre de réformes importantes, dont la modernisation des systèmes fiscaux et douaniers du pays. M. Azour a par ailleurs exercé diverses responsabilités dans le secteur privé, notamment chez McKinsey et Booz and Co., dont il a été vice-président et conseiller exécutif principal. Avant d’entrer au FMI en mars 2017, il était partenaire au sein de la société d’investissement Inventis Partners. Azour est titulaire d’un doctorat en finance internationale et d’une maîtrise en économie internationale et en finance de l’Institut d’études politiques de Paris. Il a également effectué des recherches sur les pays émergents et leur intégration dans l’économie mondiale à l’Université Harvard, dans le cadre de ses études post-doctorales. M. Azour a publié plusieurs ouvrages et articles sur des questions économiques et financières, et il a une longue expérience d’enseignement.
Jeta Menkulasi est économiste principale au département Moyen-Orient et Asie centrale ; auparavant, elle a travaillé au département Europe et au département des finances publiques, ainsi qu’au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation. En tant qu’économiste, elle a appartenu à plusieurs équipes-pays du FMI (Argentine, Chypre, Liban et Ukraine). Elle est titulaire d’un doctorat en sciences économiques de l’Université du Maryland.
Rodrigo Garcia-Verdu est économiste principal au département Moyen-Orient et Asie centrale. Il a d’abord appartenu au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation et au département Afrique. Ressortissant mexicain, il a occupé des fonctions au sein de l’administration fédérale, au ministère de l’Économie et au ministère des Finances, ainsi qu’à la Banque du Mexique. Il est titulaire d’un doctorat en sciences économiques de l’Université de Chicago et d’une licence d’économie de l’Institut technologique autonome du Mexique (ITAM).