Les retombées de la guerre en Ukraine laissent peu de marge de manœuvre aux dirigeants.
Les pays d’Afrique subsaharienne subissent un nouveau choc grave et de nature exogène. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une flambée des prix des denrées alimentaires et des combustibles qui menace les perspectives économiques de la région. Ce nouveau coup dur n’aurait pas pu intervenir à un plus mauvais moment : la reprise de la croissance s’amorçait et les dirigeants commençaient à remédier aux séquelles sociales et économiques de la pandémie de COVID-19 et à d’autres problèmes de développement. La guerre aura de lourdes conséquences : elle réduira les niveaux de vie et aggravera les déséquilibres macroéconomiques.
Nous tablons à présent sur un ralentissement de la croissance à 3,8 % cette année, contre 4,5 % l’an dernier (taux plus élevé que prévu), d’après nos dernières Perspectives économiques régionales. Même si nous prévoyons une croissance annuelle de 4 % en moyenne à moyen terme, ce rythme sera trop lent pour pouvoir regagner le terrain perdu en raison de la pandémie. L’inflation dans la région devrait rester élevée en 2022 et en 2023, à respectivement 12,2 % et 9,6 %. C’est la première fois depuis 2008 que l’inflation moyenne dans la région atteindra de tels niveaux.
La guerre fait sentir ses effets sur les pays par trois principaux canaux, avec de grandes disparités entre les pays et dans ceux-ci :
- Les prix des denrées alimentaires, qui représentent quelque 40 % des dépenses de consommation dans la région, augmentent rapidement. Environ 85 % des stocks de blé de la région sont importés. La hausse des prix des combustibles et des engrais pèse aussi sur la production alimentaire nationale. À eux tous, ces facteurs pénaliseront de manière disproportionnée les populations pauvres, surtout dans les zones urbaines, et accentueront l’insécurité alimentaire.
- La hausse des cours du pétrole alourdira la facture des importations des pays importateurs de pétrole de la région à hauteur de quelque 19 milliards de dollars, ce qui aggravera les déséquilibres commerciaux et augmentera les coûts du transport et d’autres produits de consommation. Les pays fragiles qui importent du pétrole seront les plus durement touchés : les soldes budgétaires devraient se dégrader d’environ 0,8 % du produit intérieur brut par rapport à la prévision d’octobre 2021, soit deux fois plus que pour les autres pays importateurs de pétrole. En revanche, les huit pays exportateurs de pétrole de la région profitent du renchérissement du brut.
- Le choc devrait compliquer un exercice d’équilibrage budgétaire déjà délicat, à savoir augmenter les dépenses de développement, accroître les recettes fiscales et contenir les tensions sur la dette. En général, les autorités budgétaires ne sont pas en bonne posture pour affronter de nouveaux chocs après la pandémie. La moitié des pays à faible revenu de la région sont déjà surendettés ou présentent un risque élevé de surendettement. La hausse des cours du pétrole représente aussi un coût budgétaire direct pour les pays à travers les subventions aux carburants, alors que, dans le contexte de l’inflation, une réduction de ces aides serait peu appréciée. Les tensions sur les dépenses ne feront que s’accentuer à mesure que la croissance s’essoufflera. Parallèlement, sur fond de hausse des taux d’intérêt dans les pays avancés, les financements pourraient devenir plus onéreux et plus difficiles à obtenir pour certains pays.
Pour faire face à ces problèmes de taille, une riposte soigneusement planifiée s’impose. La politique budgétaire devra être ciblée afin d’éviter d’accroître la vulnérabilité liée à la dette. Les dirigeants devraient, dans la mesure du possible, avoir recours aux transferts directs en vue de protéger les ménages les plus vulnérables. Il serait en outre utile d’améliorer l’accès au financement pour les agriculteurs et les petites entreprises.
Les pays qui ne sont pas en mesure d’accorder des transferts ciblés peuvent avoir recours à des subventions temporaires ou à des allégements d’impôts ciblés qui prendront fin à une date précise. Si elles sont bien pensées, ces mesures peuvent protéger les ménages en laissant plus de temps pour s’adapter peu à peu aux prix internationaux. Afin de renforcer la résilience aux futures crises, il est toujours important que ces pays mettent sur pied des dispositifs de protection sociale efficaces. Les technologies numériques, comme l’argent mobile ou les cartes à puce, pourraient servir à mieux cibler les transferts sociaux, comme l’a fait le Togo durant la pandémie.
Les pays importateurs nets de produits de base, à l’instar du Bénin, de l’Éthiopie et du Malawi, devront trouver des ressources pour protéger les populations vulnérables en redéfinissant les priorités de dépenses. Les pays exportateurs nets, comme le Nigéria, sont susceptibles de tirer parti de la hausse des cours du pétrole ; néanmoins, un gain budgétaire est possible uniquement si les subventions aux carburants qu’ils accordent sont limitées. Il est capital que les gains exceptionnels soient en grande partie affectés à l’agrandissement de la marge de manœuvre, grâce à des institutions budgétaires solides, par exemple un cadre budgétaire à moyen terme crédible et un système de gestion des finances publiques robuste.
Pour trouver l’équilibre entre juguler l’inflation et stimuler la croissance, les banques centrales devront surveiller de près l’évolution des prix et relever leurs taux d’intérêt si les anticipations d’inflation s’inscrivent en hausse. Elles doivent aussi se prémunir contre les risques que des taux plus élevés font peser sur la stabilité financière et conserver un cadre d’action crédible sous-tendu par une grande indépendance et une communication claire.
Une solidarité internationale indispensable
La communauté internationale doit passer à l’action pour atténuer la crise de la sécurité alimentaire. Dans leur récente déclaration commune, le FMI, la Banque mondiale, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies et l’Organisation mondiale du commerce ont appelé de leurs vœux la constitution de stocks alimentaires d’urgence, l’octroi d’une aide financière, y compris sous forme de dons, une augmentation de la production agricole et la levée des entraves aux échanges, entre autres mesures.
Si les pays du Groupe des Vingt respectaient leur engagement de transférer 100 milliards de dollars de leur allocation de droits de tirage spéciaux du FMI (DTS) à des pays vulnérables, il s’agirait d’une contribution majeure aux besoins de liquidité à court terme de la région et à son développement à plus long terme. Il existe plusieurs possibilités pour transférer les DTS, par exemple via le fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance du FMI ou le nouveau fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité, qui a suscité des engagements de près de 40 milliards de dollars.
Enfin, pour certains pays, le rétablissement de la viabilité de la dette passera par un reprofilage de la dette ou par une restructuration pure et simple de la dette publique. Pour que cela se concrétise, le cadre commun du G20 doit mieux définir son processus et son calendrier de restructuration de la dette ainsi que l’application du principe de comparabilité de traitement entre les créanciers. Il importe également que les paiements au titre du service de la dette soient suspendus en attendant qu’un accord soit trouvé.
*****
Abebe Aemro Selassie est le directeur du département Afrique du FMI. Il en était auparavant le directeur adjoint. Il a dirigé les équipes du FMI chargées du Portugal et de l’Afrique du Sud, ainsi que la publication des Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne. Il a en outre travaillé sur la Thaïlande, la Turquie et la Pologne, ainsi que sur plusieurs questions d’ordre général. Entre 2006 et 2009, il a été représentant résident du FMI en Ouganda. Avant de rejoindre le FMI, M. Selassie a travaillé pour le gouvernement éthiopien.
Peter Kovacs est économiste au sein de la division études régionales du département Afrique du FMI. Auparavant, il a travaillé à la Commission européenne sur les politiques macrobudgétaires et la gestion des finances publiques, en charge des pays d’Afrique subsaharienne. Il a étudié l’économie, les politiques publiques et les finances publiques à l’université de Pécs en Hongrie. Ses domaines de recherche de prédilection sont notamment les politiques et institutions budgétaires, la viabilité de la dette, la préparation du budget, la mise en œuvre du budget, la comptabilité, l’information et la surveillance.