Credit: (Photo: Ahmad Halabisaz/Newscom)

Les pays du Moyen-Orient et d’Asie centrale doivent s’attendre à des pertes désastreuses s’ils ne prennent pas de mesures d’adaptation au changement climatique

Il est essentiel que la communauté internationale coopère pour tirer le meilleur parti de l’adaptation et en gérer les coûts, en particulier pour les pays les plus vulnérables.

Le changement climatique a des effets dévastateurs au Moyen-Orient et en Asie centrale, où les pays pauvres ou touchés par des conflits sont ceux qui souffrent le plus de l’élévation des températures et des phénomènes météorologiques extrêmes.

Chaque année depuis 2000, les catastrophes climatiques ont en moyenne été responsables de plus de 2 600 morts, frappé 7 millions de personnes et provoqué 2 milliards de dollars de dégâts matériels directs.

Un nouveau document des services du FMI évalue les répercussions économiques des changements climatiques dans la région, montre comment il est désormais urgent de prendre des mesures d’adaptation et souligne la nécessité que la communauté internationale finance l’adaptation.

Notre analyse révèle que les catastrophes climatiques que connaît la région réduisent la croissance économique annuelle par habitant de 1 à 2 points de pourcentage. Or ces événements devraient devenir plus fréquents et plus graves à mesure que la planète se réchauffe.

Au cours des trente dernières années, les températures de la région ont augmenté de 1,5 degré Celsius, soit deux fois plus que la hausse observée au niveau mondial (0,7 degré Celsius). Cette évolution est particulièrement préjudiciable dans les pays déjà très chauds.

Une élévation des températures de 1 degré Celsius dans cinq des pays les plus chauds (Bahreïn, Djibouti, Émirats arabes unis, Mauritanie et Qatar) provoque immédiatement une chute de la croissance économique par habitant de l’ordre de 2 points de pourcentage.

En outre, la région abrite essentiellement des zones où le climat est rigoureux et où le réchauffement climatique aggrave la désertification, le stress hydrique et la montée des eaux. Les précipitations sont devenues plus aléatoires et les catastrophes climatiques telles que les sécheresses et les inondations plus fréquentes. Ce sont non seulement les vies humaines, mais aussi les moyens de subsistance qui sont désormais en péril.

Ainsi, en Tunisie, 90 % des sites touristiques se situent le long de côtes menacées d’érosion et à la merci de nouvelles hausses du niveau de la mer. En Iran, la grave sécheresse qu’a connue le pays l’an dernier a provoqué des manifestations, alors que les pénuries d’eau privaient d’emploi les agriculteurs.

Le changement climatique a des coûts humains et économiques élevés

Un pays est peu résilient face aux changements climatiques s’il est à la fois exposé aux aléas climatiques et vulnérable à leur égard. Ces pays, qui comprennent notamment des pays fragiles ou en proie à des conflits tels que l’Afghanistan, la Somalie et le Soudan, ainsi que le Pakistan, pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, sont gravement touchés et comptent davantage de décès et de sinistrés.

Dans ces pays, une grande partie de la population dépend de l’agriculture pluviale de subsistance, particulièrement sensible aux chocs climatiques. Cette difficulté se double d’une instabilité politique et macroéconomique, d’un faible développement socioéconomique et financier et de risques qui pèsent sur la sécurité alimentaire et sociale.

Les pays qui possèdent des institutions solides et des infrastructures résilientes face aux aléas climatiques (bâtiments résistants à la chaleur ou systèmes d’irrigation efficients par exemple) subissent généralement moins de pertes humaines. C’est également le cas des pays dont le niveau de développement socioéconomique et humain est élevé, comme les États membres du Conseil de coopération du Golfe.

Malgré les efforts déployés à l’échelle mondiale pour réduire les émissions de carbone, il semble inévitable que l’intensification du stress climatique se poursuive. D’ici à 2050, les températures estivales moyennes pourraient dépasser 30 degrés Celsius dans la moitié des pays de la région.

De plus, les saisons vont sans doute devenir plus sèches au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et la pluviométrie plus irrégulière dans le Caucase, en Asie centrale et au Pakistan, accentuant ainsi le risque de sécheresses. Au Tadjikistan, la probabilité que des sécheresses d’origine climatique surviennent au cours d’une année pourrait être multipliée par dix, passant de 3 % aujourd’hui à plus de 30 % d’ici la fin du siècle.

Une grande priorité

La plupart des pays admettent désormais que l’adaptation au changement climatique est une grande priorité et ont commencé à relever les défis climatiques. Il faudrait en priorité adopter des mesures très avantageuses dans tous les scénarios climatiques plausibles (dites à forte valeur ajoutée et sans regret) et renforcer les capacités à s’adapter aux défis climatiques futurs.

Ainsi, la Tunisie a développé sa capacité à produire de l’eau douce par dessalement. Le Pakistan a consolidé son dispositif de protection sociale en élargissant son programme de transferts monétaires ciblés. Enfin le Tadjikistan et l’Ouzbékistan ont modernisé les dispositifs transfrontaliers d’alerte précoce aux catastrophes naturelles.

Il n’existe pas de solution unique qui convienne à tous les pays car chacun rencontre des difficultés particulières, mais certains principes communs s’appliquent à l’ensemble de la région.

Comme l’a récemment souligné Kristalina Georgieva, Directrice générale du FMI, au Sommet mondial des gouvernements à Dubaï, les politiques d’adaptation doivent être pleinement intégrées à toutes les stratégies économiques nationales. Il faudrait élaborer des cadres économiques qui tiennent compte des risques climatiques afin de déterminer les bonnes réponses que les pouvoirs publics doivent apporter.

De plus, des interventions spécifiques doivent viser à intensifier les investissements publics dans des infrastructures résilientes, encourager le secteur privé à jouer un rôle accru dans l’adaptation et adapter les stratégies de croissance et de développement inclusifs de façon à prendre en compte les risques climatiques, par exemple en aidant les entreprises affectées par les changements climatiques et en renforçant la protection sociale des ménages vulnérables.

Des simulations réalisées sur le Maroc montrent que des investissements dans des infrastructures hydrauliques amélioreraient la résilience face aux sécheresses, réduiraient de près de 60 % les pertes de PIB et limiteraient l’augmentation de la dette publique.

Dans l’immédiat, la priorité des pays à faible revenu, fragiles ou touchés par un conflit, qui ont subi de lourdes pertes de PIB par le passé, devrait consister à renforcer les mesures à prendre en prévision des catastrophes tout en améliorant la capacité des institutions à faire face au changement climatique et la capacité des populations à réagir aux chocs.

Pour intensifier les efforts d’adaptation, il faudra augmenter considérablement les dépenses, et partant les financements.

Soutien international

Dégager de nouvelles recettes intérieures peut être un moyen important de favoriser les dépenses en faveur de l’adaptation climatique tout en freinant toute hausse de la dette publique. Les pays ont cependant besoin de davantage de soutien international pour financer l’adaptation, de préférence à des conditions concessionnelles, ainsi que de transferts de compétences et de technologies pour développer leur propre capacité à s’adapter aux changements climatiques.

Entre 2009 et 2019, les organisations bilatérales et multilatérales ont fourni à la région 70 milliards de dollars environ pour financer l’action climatique, d’après nos calculs à partir de données de l’OCDE. Mais une grande partie de ces fonds ont été consacrés à des mesures d’atténuation, et seulement un quart environ exclusivement à l’adaptation. Or on estime que les besoins d’adaptation sont beaucoup plus élevés.

La COP27 qui se tiendra cette année en Égypte sera l’occasion pour la communauté internationale d’augmenter sa contribution au financement de la lutte contre le changement climatique et de soutenir l’adaptation dans les pays en développement.

Il est essentiel de renforcer les capacités d’adaptation au changement climatique au Moyen-Orient et en Asie centrale et simultanément, de prendre des mesures d’atténuation et de transition au niveau mondial. Pour que les pays s’adaptent en temps voulu, des possibilités existent de créer des emplois durables et de soutenir la reprise et la résilience de l’économie après la pandémie.

Le FMI accompagne les efforts de ses pays membres dans ce domaine avec des conseils de politique économique, des activités de développement des capacités et des prêts. Le fonds pour la résilience et la durabilité, qu’il est proposé de créer, complètera l’appui aux réformes destinées à renforcer la résilience des pays face au changement climatique. 

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Jihad Azour est directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international. Il supervise le travail du FMI au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie centrale et dans le Caucase.

En tant que ministre des Finances du Liban entre 2005 et 2008, il a coordonné la mise en œuvre de réformes importantes, dont la modernisation des systèmes fiscaux et douaniers du pays. M. Azour a par ailleurs exercé diverses responsabilités dans le secteur privé, notamment chez McKinsey et Booz and Co., dont il a été vice-président et conseiller exécutif principal. Avant de rejoindre le FMI en mars 2017, il était partenaire au sein de la société d’investissement Inventis Partners.

Azour est titulaire d’un doctorat en finance internationale et d’un DEA en économie et finance internationales de l’Institut d’études politiques de Paris. Il a en outre effectué des recherches sur les pays émergents et leur intégration à l’économie mondiale dans le cadre d’un post-doctorat à Harvard. Il a publié plusieurs ouvrages et articles sur les enjeux économiques et financiers et a une longue expérience de l’enseignement.

Christoph Duenwald coordonne les travaux sur le climat du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, au sein duquel il est chef de division et chef de mission pour l’Iran. Il a dirigé des travaux sur le changement climatique et l’adaptation dans la région et a été responsable des activités du département dans le domaine des dépenses sociales et de la masse salariale de la fonction publique, dans le cadre de la stratégie du département en matière de croissance inclusive.