(photo : Chine Nouvelle/SIPA/NEWSCOM)  (photo : Chine Nouvelle/SIPA/NEWSCOM)

À l’épreuve du feu : la riposte des pouvoirs publics face à la pandémie de COVID-19 dans les pays émergents et les pays en développement

Martin Mühleisen, Vladimir Klyuev et Sarah Sanya

La crise du coronavirus est une crise inédite. Pour les pays émergents et les pays en développement (PEPD), elle a déclenché une riposte jamais vue, tant par sa portée que par son ampleur.

Malgré leur diversité et, dans quelques cas, leur peu de ressources, les pays de ce vaste groupe, composé de pays émergents et de pays à faible revenu, ont renforcé les prestations de services de santé et fourni un appui sans précédent aux ménages, aux entreprises et aux marchés financiers. Même si leur marge de manœuvre limitée ne leur a pas permis de prendre des mesures d’une ampleur comparable à celle des pays avancés, certains sont parvenus à aider d’autres pays.

Un monde nouveau

La brusque décélération de l’activité économique dans les PEPD, sous l’effet ravageur de la pandémie de COVID-19 sur l’économie mondiale, est du jamais vu depuis cinquante ans. Plusieurs pays enregistrent une forte chute des flux d’échanges et de capitaux, et subissent les conséquences d’une baisse record des prix du pétrole et d’autres produits de base. La note souveraine d’une série de pays a été revue à la baisse.

Le FMI a établi un inventaire des mesures prises par les autorités nationales en réponse à la pandémie de COVID-19, et certaines tendances communes se dégagent.

La politique budgétaire pour sauver des vies et protéger les moyens d’existence

La politique budgétaire a été l’élément central de la riposte des PEPD. Dans ces pays, la crise sanitaire requiert des dépenses de santé massives, bien que cette hausse représente peu de chose à côté des ressources nécessaires pour soutenir l’économie dans son ensemble.  Les pays ont accordé des prêts, des garanties et des allégements fiscaux aux entreprises, grandes ou petites, et sont venus en aide aux ménages vulnérables en augmentant les prestations d’assurance chômage et en accordant des subventions pour les services d’utilité publique. 

Le financement de ces nouvelles mesures provient d’une variété de sources, dont des emprunts, des ponctions sur les réserves, le réaménagement des priorités dans le cadre des budgets existants, et l’aide multilatérale.

Certains pays se trouvaient dans une situation vulnérable avant cette crise, avec une croissance déjà languissante, un endettement élevé et peu d’espace budgétaire pour soutenir le secteur de la santé et une économie vacillante. Près de la moitié des pays à faible revenu étaient considérés comme surendettés ou présentaient un risque élevé de surendettement déjà avant la crise, selon le cadre de viabilité de la dette utilisé par le FMI. Partiellement du fait de ces contraintes, les mesures budgétaires discrétionnaires prises face au choc ont été d’une ampleur inférieure — quoique considérable — à celle des mesures prises dans les pays avancés : en dépenses supplémentaires et en baisses d’impôts, elles représentent 2,8 % du PIB dans les pays émergents et 1,4 % dans les pays en développement, contre 8,6 % du PIB dans les pays avancés.

L’appui monétaire et l’appui au secteur financier, gages de stabilité

Les banques centrales des PEPD ont amorti l’impact du choc sur les conditions de crédit en abaissant leurs taux directeurs et en injectant des liquidités. Contrairement à d’autres épisodes de poussée des sorties de capitaux, notamment au début de la crise financière mondiale, la majorité des pays émergents ont abaissé leurs taux directeurs (d’au moins 50 points de base pour la plupart d’entre eux) plutôt que de les relever. Des pressions inflationnistes moins élevées et des cadres de politique monétaire plus crédibles dans l’ensemble pourraient l’expliquer.

Comme de nombreux pays avancés, certains pays émergents ne disposent que d’une faible marge pour réduire encore les taux d’intérêt et ont donc mis en œuvre des mesures de politique monétaire non conventionnelles, tels que des achats d’obligations d’État ou d’entreprises.

Les autorités ont assoupli des restrictions, notamment en ce qui concerne la liquidité et le classement des prêts, afin d’aider les banques à jouer un rôle de soutien durant la pandémie.

En outre, quelques pays, dont la Chine et la Colombie, ont relâché un certain nombre de mesures macroprudentielles : des restrictions à l’emprunt et au crédit qui avaient été instaurées pour prévenir la croissance excessive du crédit et l’accumulation de risques systémiques dans le secteur financier qui peut survenir lorsque la conjoncture est bonne. Aujourd’hui, cet assouplissement peut favoriser l’offre de crédit aux ménages et aux secteurs économiques les plus durement touchés.

Une flexibilité à préserver

Les monnaies des PEPD appliquant un taux de change flexible se sont dépréciées en réaction aux poussées de sorties de capitaux et à l’aversion accrue pour le risque ; cette dépréciation a dépassé 25 % dans un petit nombre de cas.

De nombreux pays ont tiré parti de leurs volants de sécurité pour alléger une partie de la pression en intervenant sur le marché des changes et en utilisant leurs réserves internationales. Un petit nombre de pays ont relâché le contrôle des entrées de capitaux, tandis que le recours à des mesures visant à freiner les sorties de capitaux a été très limité.

La dématérialisation, ballon d’oxygène pour les plus vulnérables

Des pays tels que la Bolivie ou l’Indonésie utilisent les technologies numériques pour contrebalancer les difficultés économiques que rencontrent subitement les ménages et les PME, ainsi que pour limiter la propagation de la maladie en promouvant les moyens de paiement scriptural. D’autres, comme la Colombie ou le Kenya, s’emploient à assurer un accès abordable aux services numériques (en levant les restrictions à l’accès Internet) et financiers (en abaissant les frais d’utilisation des services bancaires mobiles et des paiements électroniques). La Zambie a octroyé des subventions aux petits exploitants agricoles au moyen d’un système numérique.

« Les solutions numériques permettent d’accorder une aide ciblée aux catégories vulnérables et accroissent l’efficacité des mesures macroéconomiques traditionnelles. »

Gérer les perturbations de l’approvisionnement

La pandémie et le long confinement entravant les chaînes d’approvisionnement mondiales, de nombreux pays ont pris des mesures, temporaires pour la plupart, afin d’assurer la sécurité alimentaire et le maintien de l’accès aux fournitures médicales. Par exemple, plusieurs pays ont instauré une réglementation des prix et adopté des lois interdisant de fixer des prix exorbitants pour les denrées alimentaires de base et les fournitures médicales. Certains ont assoupli les restrictions à l’importation. Il est à déplorer que dans certains cas, des restrictions ont été instaurées sur les exportations de denrées alimentaires et de produits pharmaceutiques.

La solidarité internationale pour aider les pays à aller plus loin

En réaction au choc lié à la COVID-19, le dispositif mondial de sécurité financière a été activé et renforcé. La Réserve fédérale américaine a ouvert de nouvelles lignes de crédit réciproque avec les banques centrales de plusieurs grands pays avancés et émergents.

Le moratoire de la dette adopté à l’initiative du G-20 et l’assistance financière apportée par le FMI et d’autres institutions, aide les PEPD à faire face aux difficultés. Le FMI a rapidement fourni une aide d’urgence à plus de 60 pays. En outre, pour répondre à la demande accrue de liquidité, le FMI a récemment établi une nouvelle ligne de liquidité à court terme dans le cadre de sa riposte à la COVID-19, pour compléter ses instruments de prêt. Par ailleurs, les volumes massifs de liquidité injectés par les banques centrales de grands pays avancés, qui visaient principalement les conditions financières intérieures, ont également allégé les pressions pesant sur les pays émergents et les pays en développement.

Parallèlement, les PEPD s’apportent également une assistance mutuelle, ainsi qu’à d’autres pays dans le besoin. Plus particulièrement, les banques régionales de développement fournissent un appui aux entreprises du secteur privé, contribuent au financement du commerce extérieur et veillent à maintenir l’accès à des fournitures médicales. Parmi les exemples d’assistance bilatérale, citons l’Albanie, qui a dépêché une équipe de médecins en Italie, et le Viet Nam, qui a fait don de fournitures médicales à des pays voisins ainsi qu’à des pays avancés.

Les pays émergents et les pays en développement ont été fortement touchés par le choc lié à la COVID-19 et par la réaction des marchés. L’analyse des mesures figurant dans l’inventaire du FMI fait apparaître une riposte exceptionnelle de la part des pouvoirs publics, étayée par l’innovation et par la coopération internationale. Dans cette situation mouvante et inédite, il est dans l’intérêt des pays de s’inspirer de ce qui se passe ailleurs, et le FMI est déterminé à recueillir et partager les meilleures pratiques et à tenir compte de ces données dans son travail d’analyse afin de continuer à apporter son concours à ses pays membres.

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Martin Mühleisen est directeur du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. À ce titre, il dirige les travaux sur les orientations stratégiques, ainsi que sur la conception, l’exécution et l’évaluation des politiques du FMI. En outre, il supervise les interactions du FMI avec des organes internationaux tels que le G-20 et les Nations Unies.

Vladimir Klyuev est chef adjoint de l’unité des politiques macroéconomiques au sein du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. Au cours de sa carrière au FMI, il a travaillé sur un certain nombre de pays avancés, émergents et à faible revenu. Il a aussi passé plusieurs années au département des études du FMI, où il s’est intéressé aux questions multilatérales. M. Klyuev est l’auteur d’un grand nombre d’articles et de communications théoriques et empiriques sur divers sujets tels que les régimes de change, l’épargne des ménages ou le ciblage de l’inflation. Il est titulaire d’un doctorat d’économie politique et d’affaires publiques de l’université Harvard.

Sarah Sanya est économiste au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI. À son poste actuel, elle participe à l’élaboration de politiques macroéconomiques et à l’évaluation de leur mise en œuvre dans des pays membres du FMI. Elle s’est occupée de divers pays au cours de sa carrière au FMI. Ses publications et ses recherches portent sur la reprise après une crise, les politiques macrofinancières et le risque systémique. De 2017 à 2019, elle a travaillé à la Banque mondiale comme économiste spécialiste du Kenya. Mme Sanya est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat de l’université de Southampton, au Royaume-Uni.