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Credit: Jan Michael Hosan

Renforcer la résilience de la zone euro avant la prochaine récession

Shekhar Aiyar, John Bluedorn et Romain Duval

La croissance a rebondi dans la zone euro plus tôt dans l’année. Elle reste néanmoins fragile, alors que les risques se sont accrus. Le contexte actuel est propice à un renforcement de la capacité des pays de la zone euro à surmonter d’éventuelles difficultés économiques à l’avenir.

Une nouvelle étude des services du FMI examine la résilience des pays de la zone euro et constate que ceux-ci ont subi des récessions plus fréquentes et plus graves que les autres pays avancés au cours des vingt dernières années. Il est encore plus préoccupant de noter que les écarts entre les taux de croissance et de chômage des pays membres après les replis de l’activité dans l’ensemble de la zone euro se sont creusés. Ce creusement a été particulièrement prononcé après la crise financière mondiale de 2008.

Si, depuis lors, les pays de la zone euro ont largement amélioré des aspects fondamentaux de l’union économique et monétaire, ils doivent aller plus loin : il leur appartient de finaliser l’union bancaire et celle des marchés des capitaux et de créer une capacité budgétaire centralisée pour la stabilisation macroéconomique. Toutefois, l’amélioration de l’architecture à l’échelle de la zone euro ne peut pas totalement se substituer à la flexibilité économique procurée par des réformes structurelles nationales. Celles-ci ont aussi un rôle essentiel à jouer.

Nos conclusions montrent que des progrès sur le front des politiques nationales du marché du travail, des réglementations des marchés de produits et des régimes d’insolvabilité des entreprises renforceraient la résilience des pays et atténueraient les conséquences économiques et sociales de chocs négatifs. La zone euro pourrait ainsi mieux faire face à un choc de grande ampleur.

Des réglementations des marchés du travail et de produits bien conçues peuvent renforcer la résilience

Pour que les pays de la zone euro se montrent plus résilients, ils doivent pouvoir surmonter des chocs temporaires, à l’instar d’un resserrement du crédit ou d’une perturbation de l’approvisionnement. Il faut aussi que les ressources humaines et en capital puissent être affectées plus rapidement à leurs usages les plus productifs au lendemain de chocs permanents, par exemple une perte durable de compétitivité extérieure des industries nationales.

Les réglementations des marchés du travail et de produits peuvent s’avérer utiles sur les deux plans. Au cours des quarante dernières années, les récessions profondes ont donné lieu à des pertes de production moins importantes et moins durables dans les pays qui avaient réformé leurs réglementations des marchés du travail et de produits que dans ceux qui s’étaient abstenus de le faire.

Ainsi, les systèmes de négociation salariale et de prestations grâce auxquels les coûts de main-d’œuvre (salaires horaires ou heures travaillées) sont plus sensibles à la situation du marché du travail peuvent réduire les pertes d’emploi durant les périodes défavorables. Des procédures de licenciement moins complexes et plus prévisibles pour les travailleurs réguliers peuvent aider les entreprises à moduler et à accélérer le redéploiement des travailleurs d’entreprises et de secteurs en déclin vers des entreprises et secteurs plus prometteurs. Parallèlement, des dispositifs d’assurance chômage élaborés avec soin, complétés par de fortes aides et incitations à la recherche d’un emploi, peuvent procurer aux travailleurs la sécurité dont ils ont besoin.

Concernant les réglementations des marchés de produits, des obstacles administratifs moins élevés et des coûts de démarrage plus bas peuvent permettre à l’économie de s’adapter plus rapidement à l’évolution de la situation économique.

Il ressort de notre analyse que des réglementations des marchés du travail et de produits bien conçues jouent un rôle nettement plus important pour la résilience des pays qui sont dépourvus d’une politique monétaire nationale indépendante et de taux de change nominaux, à l’instar des pays membres d’une union monétaire.

L’Allemagne après la crise financière de 2008 en est une bonne illustration. Malgré une récession de grande ampleur, le chômage n’a pratiquement pas augmenté. Les entreprises ont été plus en mesure d’ajuster leurs coûts de main-d’œuvre via les salaires et surtout les horaires, ce qui s’explique en partie par les modifications qui avaient été apportées aux systèmes de négociation collective et de prestations plus tôt dans la décennie mais aussi par l’efficacité d’un dispositif gouvernemental baptisé Kurzarbeit. Ce dernier offrait une compensation financière aux salariés pour les heures de travail perdues, à un coût nul pour les entreprises. L’économie de l’Allemagne s’est redressée plus rapidement que celle de la plupart des pays européens comparables.

En revanche, au Portugal et en Espagne, les entreprises avaient une marge de manœuvre beaucoup plus restreinte. Elles ont donc opté pour la suppression de nombreux emplois temporaires, qui étaient eux-mêmes en partie le résultat d’une solide protection des contrats réguliers. Par conséquent, le chômage s’est envolé en 2009, accentuant encore les effets de la récession et de la crise qui a suivi dans la zone euro.

De meilleures politiques du marché du travail ne sont pas forcément synonymes d’une déréglementation généralisée et d’une protection moindre pour tous. Les pays peuvent élaborer différentes mesures qui tiennent compte de leurs préférences sur le plan social. À titre d’exemple, s’agissant des autorités du marché du travail, les approches « anglo-saxonne » et « nordique » peuvent apporter la flexibilité nécessaire. Toutes deux se caractérisent par une protection des emplois limitée mais présentent des différences en termes de protection des travailleurs et de coûts budgétaires, l’approche « nordique » s’appuyant sur des allocations chômage plus généreuses couplées à de fortes aides à la recherche d’un emploi.

De meilleures procédures d’insolvabilité

Un coût plus bas et une plus grande souplesse des procédures d’insolvabilité pour les entreprises constituent un autre type de réforme structurelle nationale pouvant renforcer la résilience. Les entreprises viables peuvent se restructurer et se redresser plus rapidement, tandis que les sociétés dites zombies qui ne sont pas productives sont écartées. Certains pays comme le Portugal ont accompli des progrès ces dix dernières années mais, dans bien des cas, il est possible d’aller plus loin.

Une législation efficace sur l’insolvabilité des entreprises se traduit par un redéploiement plus rapide du capital et de la main-d’œuvre vers des activités plus productives à la suite de ralentissements d’activité prononcés, ce qui réduit la mauvaise utilisation des ressources et accélère la reprise. Ainsi, après la crise financière mondiale de 2008, la mauvaise affectation des ressources entre les secteurs a progressé en moyenne dans les pays dotés d’un régime d’insolvabilité moins efficient et moins souple, alors qu’elle n’a pratiquement pas évolué dans les pays pourvus d’un régime de meilleure qualité.

Réduire la pression sur les politiques cycliques

Enfin, en améliorant la résilience des pays, les réformes structurelles nationales peuvent aussi réduire la pression sur les politiques cycliques, qu’il s’agisse de politiques budgétaires nationales ou de politiques monétaires communes pour stabiliser l’économie des pays membres de la zone euro durant les périodes difficiles. Qu’en est-il de l’efficacité de ces politiques ? En tant que telle, une plus grande rigidité accroît la sensibilité des pays aux chocs et tend donc à donner plus de poids aux politiques anticycliques (qui lissent le cycle conjoncturel). Cependant, si un pays a un espace budgétaire limité, par exemple en raison d’un endettement élevé, alors la confiance pourra reculer s’il tente une expansion budgétaire. Cela peut réduire à néant les effets expansionnistes classiques de la relance budgétaire, ce qui alourdit encore la dette pour un résultat nul à la clé. Cette conclusion souligne la nécessité pour les pays de la zone euro d’engager des réformes mais aussi de reconstituer l’espace budgétaire afin de se prémunir contre de futurs replis de l’activité.

Promouvoir des réformes structurelles devrait donc être la priorité numéro un de la prochaine Commission européenne. De telles réformes amélioreraient la productivité, la croissance et la convergence économique mais, comme nos travaux le laissent entrevoir, elles renforceraient aussi la résilience macroéconomique face à de futurs ralentissements d’activité. Il s’agit d’une mission importante dans un climat d’incertitude grandissante, avec des risques mondiaux et intérieurs de plus en plus marqués.

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Shekhar Aiyar est chef de division adjoint au département Europe du FMI. Il a travaillé sur un large éventail de pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique. Ses sujets d’étude englobent la macroéconomie internationale, la réglementation bancaire, la croissance économique et le rôle de la chance dans les compétitions internationales de cricket. Il est titulaire d’un doctorat de l’université Brown.

John Bluedorn est économiste principal dans l’unité réformes structurelles du département des études du FMI. Auparavant, il a été membre de l’équipe zone euro du FMI au sein du département Europe et a travaillé sur les Perspectives de l’économie mondiale, contribuant à de nombreux chapitres. Avant d’entrer au FMI, il était professeur à l’université de Southampton, au Royaume-Uni, après avoir été chercheur postdoctorant à l’université d’Oxford. M. Bluedorn a publié sur différents thèmes dans les domaines de la finance internationale, de la macroéconomie et du développement. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Californie à Berkeley.

Romain Duval est conseiller au sein du département des études du FMI, où il pilote le programme consacré aux réformes structurelles. Il est l’auteur de nombreuses publications dans des revues universitaires et de politique économique sur des thèmes très divers tels que les réformes structurelles, la croissance, le chômage, l’économie politique des réformes, les cycles économiques, la politique monétaire, les taux de change et le changement climatique. Il est titulaire d’un doctorat en économie.

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