2001 IMFC
Statements 2001 Spring Meetings
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Discours de Monsieur Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des
Finances et de l'Industrie
CMFI - Washington - dimanche 29 avril 2001
English
Chers Collègues,
Notre réunion est à nouveau marquée, ce printemps, par les
incertitudes de la conjoncture mondiale. Nous avons, dans un passé récent, fait
face à des crises financières sévères ; en septembre dernier,
à Prague, nous traversions un violent choc pétrolier ; depuis quelques mois,
le ralentissement de l'économie américaine, la baisse des marchés
financiers, le recul des activités de haute technologie sèment l'inquiétude.
Cette instabilité pourrait, si elle se prolongeait, compromettre la confiance en l'avenir sans
laquelle il n'y a pas de croissance économique. Elle alimente en tout cas les critiques
contre la globalisation.
Je crois, pour ma part, que la mondialisation est un facteur de croissance et que
l'échange est un moteur du développement. Cette conviction ne découle
pas d'une vision idéalisée de la communauté des nations ; elle
suppose de faire face en permanence aux risques d'instabilité, d'antagonismes, de ruptures
que recèle le développement de l'économie de marché. La
sécurité est une condition de l'échange et de la croissance et, par contre
coup, de la démocratie et de la justice.
Pour nous, Européens, ces propos sont, à l'heure de la reconstruction des
balkans, particulièrement actuels : permettez-moi à ce propos de joindre
ma voix à celle de notre collègue suédois Bosse Ringholm en me
réjouissant de l'élargissement du FMI à la République
Fédérale de Yougoslavie.
Assurer la sécurité de tous les acteurs dans la vie économique
internationale constitue sans aucun doute un bien public fondamental. Le Comité
monétaire et financier international exerce à cet égard des
responsabilités de premier plan dont la France a depuis longtemps souligné le
caractère politique. Je voudrais me concentrer aujourd'hui sur les actions à
entreprendre en priorité en matière de croissance, de développement, de
régulation internationale.
1. Créer un cadre macroéconomique propice à la
croissance.
Nous partageons, j'en suis sûr, une commune préoccupation face à
l'évolution conjoncturelle. L'ajustement de l'économie américaine
était attendu, et à certains égards nécessaire pour corriger les
excès de la période de croissance antérieure, mais il est sensiblement plus
marqué que prévu. Malgré quelques signes encourageants,
l'économie japonaise ne semble pas encore prête à sortir de sa
léthargie, on ne doit pas sous-estimer l'impact de cette inflexion en particulier en Asie ou
en Amérique Latine.
La montée des incertitudes mondiales rend plus que jamais nécessaire une
bonne coordination des politiques économiques. Je pense en particulier aux
déséquilibres des transactions courantes des grandes zones économiques,
et à leurs conséquences possibles sur les taux de change. Cette coordination est
au cœur des missions du Fonds ; il appartient à ce Comité de
l'animer.
Pour la première fois depuis longtemps, l'Europe est devenue la principale zone de
croissance et de stabilité. L'euro nous protège dans une certaine mesure des
turbulences mondiales et nous aide à mettre enœuvre les réformes. Nous
avons la volonté de poursuivre un policy mix équilibré qui conjugue
soutien de la croissance et stabilité des prix. Le chômage a continué
à reculer. Les créations d'emplois, qui restent fortes, ont jusqu'ici alimenté
la confiance des consommateurs et des investisseurs. Notre volonté est de poursuivre les
réformes engagées après le sommet de Lisbonne et sur lesquelles un point
d'avancement a été fait récemment à Stockholm, pour que les
citoyens et les entreprises profitent pleinement du grand marché en euro. L'ouverture
à la concurrence progresse régulièrement et le rapport Lamfalussy
constitue un coup d'accélérateur pour l'intégration des marchés de
capitaux.
Les perspectives de la France restent à ce jour favorables ; la hausse des prix
est très faible (environ 1 point ½). Le chômage a reculé de plus d'un
million de personnes depuis 4 ans. L'emploi, la consommation, l'investissement demeurent
dynamiques. Notre prévision de croissance a été revue en
légère baisse mais nous tenons le cap pour l'amélioration des finances
publiques.
Confiance donc, mais confiance vigilante. La vigilance doit rester de mise en Europe car,
depuis quelques semaines, la balance des risques s'est modifiée sous l'influence du
ralentissement mondial. Les pressions inflationnistes sont maîtrisées.
L'équilibre des finances publiques constitue un objectif financier central à un
horizon de trois ans qu'il serait paradoxal de compromettre par un ralentissement de la croissance.
Notre attitude monétaire devra tenir compte de ces données.
2. Agir pour le développement, promouvoir un meilleur partage de la croissance
mondiale.
Le développement sera une des questions centrales des années à
venir. Un bilan sans complaisance des décennies écoulées doit être
fait : beaucoup d'objectifs n'ont pas été atteints, un volontarisme parfois
excessif est souvent resté sans lendemain. Mais la lucidité ne doit pas pousser au
pessimisme. D'abord parce qu'humainement nous n'en avons pas le droit. Mais aussi parce que,
partout dans le monde, nous voyons surgir de nouvelles énergies, des idées neuves
se diffusent dans la société civile, des équipes dirigeantes élues par
leurs peuples accèdent aux responsabilités publiques, prêtes à
relever les défis qui les attendent. Le développement peut désormais se
bâtir sur un socle solide, la démocratie.
Je reviens de la réunion de la zone franc à Abidjan où avec mes
collègues Ministres des finances africains nous avons longuement évoqué
ces questions. J'ai aussi eu l'occasion de réunir récemment à Paris des
représentants de la société civile et des ONG pour entendre leurs
propositions et leurs réflexions sur le développement. Trois axes de travail
paraissent prioritaires : la lutte contre les inégalités et pour la
réduction de la pauvreté, la bonne gestion des biens publics mondiaux, la
réussite de l'intégration commerciale internationale.
La réduction de la pauvreté est une priorité absolue : en 25 ans
la richesse des pays industrialisés s'est accrue de 70% contre 6% dans les PMA, et en
Afrique un enfant sur 7 meurt avant l'age de 5ans. Une croissance économique forte,
respectueuse de la cohésion sociale et bénéficiant directement aux plus
pauvres, est évidemment nécessaire. Mais la communauté internationale
peut et doit aller plus loin. D'abord, les dépenses sociales et en particulier la santé
et l'éducation pourraient être sanctuarisées dans les plans d'ajustement
structurel afin que le moins disant social ne l'emporte pas dans les pays en crise ; un pays ne
saurait renoncer à toutes perspectives sociales faute de capacités de
remboursement suffisantes. Ensuite, les Banques de développement et l'AID en particulier
devraient pouvoir intervenir dans les pays les plus endettés sous forme de dons pour les
secteurs sociaux fondamentaux. Il faut également veiller à
accélérer la mise enœuvre de l'initiative sur la dette et en particulier affecter
rapidement les sommes ainsi libérées à des mesures de lutte contre la
pauvreté. La France qui contribue à hauteur de 10 Md Euros au volet
bilatéral pourra apporter une assistance technique aux pays qui n'ont pas franchi le fameux
point de décision, cela peut faire gagner du temps pour consacrer plus vite ces nouveaux
moyens à combattre la pauvreté.
La santé est un bien public fondamental et aider l'autre, c'est aider soi même.
Pour la lutte contre les grandes endémies et en particulier le SIDA, j'ai proposé
à Prague l'année dernière que la Communauté internationale y
consacre 10 Md USD pour assurer pour tous l'accès aux molécules essentielles et
diffuser partout des outils de prévention. Le Secrétaire Général de
l'ONU fixait récemment le même ordre de grandeur. L'heure est à l'action
en mobilisant tous les partenaires, la Banque mondiale, ONUSIDA, l'OMS et les ONG. En
France, un dispositif fiscal particulier devrait être proposé prochainement au
Parlement pour faciliter la recherche dans les entreprises sur les maladies touchant gravement les
pays les plus pauvres.
L'environnement et l'eau en particulier sont également un véritable patrimoine
pour l'humanité qu'il ne faut pas livrer aux spéculateurs mais gérer en
« père de famille », une famille où tous les pays sont des
égaux. L'économie, la technologie doivent être mises au service des
générations futures plutôt qu'au mépris de l'air, de l'eau et des
écosystèmes. Nous soutiendrons donc au sein de l'Union européenne la
poursuite du processus de Kyoto et le Fonds pour l'environnement mondial doit être une
des pierres angulaires du développement durable. Nous avons également
décidé de faire de l'eau un cadre stratégique pour l'aide publique
française au développement.
Renforcer l'intégration dans le commerce mondial est un objectif essentiel dans une
stratégie de développement durable. L'Union européenne a pris
récemment une initiative majeure, « Everything But Arms ». Je
me réjouis de cette solution prolongeant les efforts des conventions de Lomé et de
Cotonou. Nous invitons les autres pays industrialisés à suivre la même voie.
Le FMI pourrait aussi réfléchir davantage sur son rôle dans la gestion
macro-économique de l'ouverture commerciale des pays en développement.
L'ouverture commerciale, si elle a indiscutablement des effets bénéfiques à
moyen terme, peut présenter à court terme un bilan plus contrasté :
les ajustements nécessaires sont souvent délicats et coûteux, ils doivent
être bien identifiés et, si nécessaires, traités avec l'aide de la
communauté financière internationale. C'est pourquoi j'encourage vivement le
FMI, qui a vocation à assurer la stabilité macro-économique, à se
saisir de la question et à envisager des outils adaptés, y compris la
création d'un instrument spécifique visant à compenser le choc temporaire
qui peut résulter de l'ouverture commerciale.
3. Construire un monde plus sûr.
En matière financière, beaucoup a été fait depuis les crises de
1997-98 mais beaucoup reste à faire. L'intégration croissante est aussi facteur
d'instabilités comme notamment le rappellent les difficultés argentine et turque. Le
cadre de prévention et de gestion des crises, plus légitime que jamais, doit donc
être adapté et renforcé.
Le jeu des marchés, vecteur d'efficacité économique, n'est pas garant
à lui seul de la sécurité économique. L'esprit de Bretton-Woods
doit prévaloir pour définir les responsabilités du FMI. Le concept parfois
évoqué d'un FMI plus « modeste » ou plus
« économe », pour sympathique qu'il soit, est en
décalage par rapport aux exigences de la
mondialisation « humanisée » : assurer la croissance
mondiale, promouvoir la solidarité, garantir le bon fonctionnement des circuits
monétaires et financiers supposent un FMI ambitieux et actif. Par ses soutiens financiers et
par ses conditionnalités, le FMI doit rester le pivot du système monétaire
et financier multilatéral.
La crise asiatique a relancé les débats sur les conditionnalités
attachées aux interventions du Fonds. Les réserver au seul domaine
macroéconomique serait un grave pas en arrière. Le FMI peut et doit contribuer
à créer les bases d'économies saines qui ont besoin de cadres
institutionnels, juridiques, prudentiels appropriés. Mais un bon dosage des politiques
budgétaires et monétaires ne suffit pas, comme nous l'ont montré les crises
asiatiques, et l'intervention du Fonds doit être plus vaste. En revanche, ces
conditionnalités, ne doivent pas prendre la forme d'un exercice tatillon et bureaucratique,
elles doivent plutôt s'appuyer sur quelques principes pour mettre enœuvre des
réformes cruciales. Je compte sur le Bureau d'évaluation indépendant -
désormais opérationnel après la nomination de son Directeur
général - pour nous faire rapport sur ce thème essentiel.
En matière de coopération, nous sommes partisans d'un
multilatéralisme fort, gage de solidarité et d'efficacité. Certaines
propositions récentes ne vont pas dans la bonne direction : une confiance quasi
religieuse dans la liturgie des marchés, des réticences à impliquer le
secteur privé, l'affaiblissement du FMI en limitant sa capacité d'action
financière et sa conditionnalité. Ces orientations, si nous les adoptions,
réduiraient notre capacité de prévention et de gestion des nouvelles crises
et ouvriraient la porte à l'inégalité et au clientélisme.
L'idée d'interventions, en cas de crise, sur une base uniquement bilatérale, porte en
elle un risque d'éclatement du système multilatéral et doit être
écartée vigoureusement. Certes, le FMI peut et doit s'appuyer sur des pôles
de stabilité régionale, mais ancrés dans le système
multilatéral. Le cadre de « Asean+3 » en est un bon exemple.
Bien insérés dans le système multilatéral, ces liens
régionaux facilitent l'intégration internationale et réduisent le risque de
crise.
Le cadre d'implication du secteur privé dans les crises financières,
approuvé l'an dernier, est un instrument à appliquer sans hésitation de
façon pleine et entière. Notre collègue suédois B. Ringholm a
rappelé au nom de la présidence de l'UE les principaux domaines où le
FMI doit progresser. J'en souligne trois : la définition en amont des hypothèses de
financement privé; un suivi en temps réel de la participation des créanciers
privés; et enfin en cas de participation insuffisante des ces derniers, l'élaboration
d'une stratégie crédible et publique. Sur ces points déjà
agréés, il est maintenant temps de passer à la pratique.
Pour un monde plus sûr, il faut des acteurs économiques plus responsables en
particulier dans le domaine social. Je soutiens donc sans réserve les travaux menés
en ce sens en particulier à l'OCDE. Les principes directeurs à l'intention des
entreprises multinationales en sont un bon exemple : étendus désormais sur
une base mondiale, ils sont plus efficaces. De la même manière, la Convention
contre la corruption des agents publics étrangers dans les transactions commerciales
internationales est un bon outil. Pour garantir son efficacité, elle doit être
appliquée et mise enœuvre complètement par tous les pays signataires.
Etablir et appliquer des règles et des normes économiques et
financières mais aussi sociales et environnementales est particulièrement
nécessaire pour un bon fonctionnement d'une économie de marché :
cela doit conduire à la mise en place de véritables états de droit. Cela est
parfois difficile particulièrement pour les pays en développement : ils
doivent être associés en amont aux travaux préparatoires et aidés
dans leur démarche, pour « s'approprier » ces règles.
Quant aux pays industrialisés, ils doivent s'attacher à traiter les
vulnérabilités du système : fonds à effet de levier, concurrence
fiscale déloyale, blanchiment, centres offshore. L'efficacité va de pair avec une
« moralisation » de la vie économique et financière et
l'action des institutions financières internationales en ce sens doit être
approfondie.
La légitimité des institutions financières internationales passe par une
transparence accrue et par une véritable implication des Gouverneurs dans la
définition des objectifs. Les propositions de la société civile doivent
être examinées, la transparence être la règle. Dans le cas du FMI, la
France a plaidé de longue date pour que le CMFI soit l'enceinte adéquate
d'orientation politique. Nous avons réalisé certains progrès, je pense au
bureau d'évaluation indépendant. Mais nous devons aller plus loin pour articuler
une vision politique commune et l'expliquer à nos mandants. Aussi, j'ai deux propositions
précises.
D'abord, les programmes d'ajustement structurels ne doivent pas favoriser le moins-disant
social, mais au contraire rester en ligne avec notre stratégie d'action contre la
pauvreté. Derrière la protection des plus vulnérables, il en va de la
réussite des programmes à travers l'adhésion des populations et finalement
de la légitimité des interventions du Fonds. Concrètement, le FMI devrait
s'assurer que les réductions des dépenses publiques ne touchent pas les secteurs
sociaux, mais au premier chef les dépenses improductives. Avoir à l'esprit les plus
pauvres, cela doit être un "réflexe" du FMI. Les Banques
multilatérales de Développement doivent évidemment jouer un rôle
essentiel dans cette vigilance sociale. Les crises ne justifient pas, au contraire, un
relâchement de cet objectif, les dépenses sociales prioritaires doivent être
protégées, des investissements vitaux tels que la santé et
l'éducation ne doivent pas être sacrifiés sur l'autel de l'urgence. La lutte
contre la pauvreté est un enjeu dans tous les pays en développement. L'Europe et
la France ont montré qu'intégration économique internationale pouvait
aller de pair avec identité sociale forte : c'est notre conception du rôle crucial
du capital humain dans le cercle vertueux de la croissance. Je propose donc que, pour chaque
programme d'ajustement, le FMI et la Banque mondiale présentent une analyse des
mécanismes d'accompagnement social et en assurent un suivi régulier.
Ensuite, la mondialisation financière ne peut profiter à tous que si les pays en
développement accèdent rapidement et dans de bonnes conditions aux capitaux
privés et particulièrement aux investissements internationaux. Nous savons ce que
l'ouverture à des investissements stables peut apporter : croissance, savoir-faire,
technologies, etc. L'Union européenne, et en son sein la France, militent pour que
l'investissement soit intégré aux négociations de l'OMC. Mais,
au-delà, après une préparation institutionnelle sérieuse et
adaptée à chaque pays dans son calendrier et ses modalités, il faut
rechercher une intégration progressive à la sphère financière
internationale de tous les pays en développement. L'ouverture au monde, par le commerce
ou la monnaie, a ses règles, c'est vrai aussi de l'ouverture financière. Il s'agit donc
pour les autorités publiques, multilatérales et nationales, d'encadrer, de
réguler et d'accompagner ce processus, bénéfique à long terme
mais qui sans précaution, peut avoir des effets adverses à court terme. J'encourage
donc le Directeur général du FMI, qui a lui-même placé ce sujet au
cœur de ses priorités, à explorer davantage cette question pour
trouver le bon équilibre entre ouverture et régulation financière.
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Chers collègues, le XXIe siècle peut ouvrir une période de croissance
et de prospérité sans précédent parce qu'une nouvelle
révolution technologique est en cours, parce que les moyens de former et de mettre en
valeur le capital humain sont à notre portée, parce que partout l'exigence
démocratique est à l'_uvre. Nous connaissons aussi les menaces à
écarter : instabilité financière, inégalités sociales,
maladies endémiques, atteintes à l'environnement. L'intégration
économique internationale peut et doit être un puissant facteur
d'entraînement, mais à condition de créer de la
sécurité économique pour tous les acteurs. Nous serons à la
hauteur de cette responsabilité si nous agissons pour soutenir une conjoncture fragile, si
nous _uvrons pour un développement plus solidaire qui donne un nouvel horizon aux pays
les moins avancés, si nous savons créer les règles indispensables à
un développement durable et mettre les institutions financières internationales au
service de cette stratégie. J'ai la conviction que nous pouvons atteindre ces objectifs.
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