Recentrer l'action du FMI -- Allocution de M. Horst Köhler, Directeur général du Fonds monétaire international

le 30 mai 2000

Allocution de M. Horst Köhler
Directeur général du Fonds monétaire international
Conférence monétaire internationale
Paris, 30 mai 2000

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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

1. Alors que j'entame mon mandat à la tête du FMI, je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée de rencontrer un groupe aussi éminent de responsables du secteur financier privé.

2. Je souhaiterais avant tout faire rapidement le point sur l'économie mondiale. De manière générale, elle continue de bénéficier d'une dynamique plutôt favorable. Après le taux de croissance de 3¼ enregistré l'an dernier, les services du FMI tablent toujours pour cette année sur une croissance de plus de 4 %, et à peu près autant en 2001. Ces prévisions reposent sur la vigueur des économies les plus avancées, laquelle a propulsé la reprise mondiale après la crise financière qui a éclaté il y a trois ans. Le redressement des économies de marché émergentes a été particulièrement remarquable. Il faut y voir le résultat de leur détermination à mener des réformes structurelles et de fermes politiques financières, ce que le FMI a puissamment contribué à encourager.

3. Cela dit, la complaisance n'est pas de mise. Ne perdons pas de vue les risques, les incertitudes et les défis du moment présent. Notre vigilance et notre action doivent être à la mesure des enjeux :

  • Premièrement n'oublions pas que nos prévisions pour l'économie mondiale reposent sur un rééquilibrage graduel de la croissance entre les principales économies avancées. Or, une correction débridée des cours des actifs aux États-Unis ou tout autre phénomène qui entraînerait un ralentissement brutal de la croissance de l'économie américaine pourrait avoir un profond retentissement sur la demande mondiale et les marchés financiers internationaux.

  • Deuxièmement, les flux financiers externes vers les marchés émergents ont accusé de grandes fluctuations durant ces cinq dernières années et cette instabilité devrait vraisemblablement persister, d'autant plus qu'ils paraissent sensibles aux variations des taux d'intérêt américains. Les marchés émergents sont particulièrement sensibles à ces soubresauts, aussi est-il essentiel d'y maintenir le cap des réformes structurelles et de préserver au mieux leur solidité macroéconomique.

  • Troisièmement, la réforme n'est pas un processus unilatéral. La responsabilité n'incombe pas aux seuls pays à marché émergent et en développement. Une révolution est à l'œuvre dans les domaines de la technologie et de la communication, sans que pour autant toutes les économies avancées la mettent pleinement à profit. Un programme de réformes crédible pour les économies matures, et notamment une ouverture plus rapide de leurs marchés, est indispensable pour la croissance mondiale et permettra de rassurer les marchés en montrant que la correction engagée sur les places boursières de la planète ne va pas nécessairement se faire dans le désordre.

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4. Mais il est des considérations plus vastes encore et à plus long terme. Je songe à une question générale, une question qui s'est présentée à moi, en particulier lors de ma récente tournée en Amérique latine, lors de mes entretiens avec les chefs d'entreprises, les syndicats, les parlementaires et les représentants de la société civile. Elle est fort simple : où va la mondialisation ? Nul ne conteste désormais qu'elle peut promouvoir la croissance, les flux d'investissement et les transferts de technologie dans un nombre croissant de pays. Mais en toute honnêteté, nous devons également prendre en considération les multiples doutes qu'elle suscite.

5. Nombreuses sont les voix qui s'élèvent pour révoquer l'idée que l'économie mondiale et l'intégration des marchés financiers peuvent jouer au bénéfice de tous. Nous devons nous rendre à l'évidence : il existe effectivement un problème d'inégalité et de pauvreté à l'échelle mondiale. Or, à moyen et long terme, cette inégalité pourrait tout simplement devenir source d'instabilité politique et sociale et, partant, économique. La réduction de la pauvreté doit donc revêtir une importance vitale pour chacun d'entre nous.

6. La question est de savoir comment aborder au mieux ce problème. Il faut bien entendu entreprendre une action globale dont l'éducation et la formation, la bonne gestion des affaires et un dispositif de protection sociale performant ne sont pas les volets les moins importants. Mais la solution repose dans une grande mesure sur une solide croissance de l'économie mondiale, étant entendu que les pays en développement doivent avoir la possibilité d'en prendre leur part. Nous savons, dans ce contexte, que les marchés de capitaux privés sont une source vitale de croissance et d'investissement. Mais l'histoire des dix dernières années nous apprend cependant que ces marchés financiers de la planète sont aussi une forte tendance à l'instabilité, ce qui en fait une source de remous et de crises. Il est donc opportun et important que la communauté internationale centre sa réflexion sur le renforcement de l'architecture financière internationale.

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7. La communauté internationale a entrepris de nombreuses initiatives, dont plusieurs sont à la charge du FMI. Une grande part du travail est encore à un stade expérimental, mais des orientations claires et des progrès tangibles se dégagent clairement dans plusieurs domaines vitaux. Citons notamment :

  • la promotion de la transparence et de la responsabilisation,
  • l'élaboration de normes et codes reconnus à l'échelle internationale,
  • le renforcement des systèmes financiers nationaux et l'évaluation de la stabilité du secteur financier dans de nombreux pays,
  • les travaux entrepris par les institutions de Bretton Woods et d'autres instances pour évaluer la vulnérabilité externe,
  • le débat qui se poursuit sur les régimes de change appropriés, et qui montre combien il est important que le régime choisi s'accompagne de politiques macroéconomiques appropriées.

8. Voilà les «chantiers» que le FMI est fermement déterminé à mener à bien par le biais de ses activités de surveillance et, le cas échéant, d'assistance technique. Mais je voudrais aller plus loin et trouver une réponse crédible à la question de savoir dans quelle mesure le FMI lui-même a besoin de se transformer. C'est pourquoi nous avons adopté, pour les prochains mois, un programme de travail qui s'articule en deux volets. Le premier répond à la demande du Comité monétaire et financier international (CMFI) qui, au terme de sa réunion du mois dernier, nous a laissé un agenda particulièrement chargé — si chargé même et si élaboré, dans le domaine des normes et codes par exemple, que je me demande avec une certaine appréhension si sa mise en œuvre est possible en pratique dans les pays en développement.

9. Le deuxième volet de notre programme de travail consistera à esquisser ce que devrait être le rôle futur du FMI. Nous voulons faire en sorte qu'il contribue de manière aussi efficace que possible à assurer la prospérité économique dans le monde entier. De fait, le FMI a une longue tradition de réforme et d'adaptation, et il n'est certes pas resté inactif, on l'a vu, face aux crises qui ont secoué les marchés émergents ces dernières années. Je ne vois donc aucune raison de bouleverser de fond en comble cette institution ou de concevoir je ne sais quel grand dessein dans ce sens. Mais une question me paraît cruciale : le FMI s'est-il suffisamment adapté à un monde où les marchés financiers ont connu un développement phénoménal, en taille aussi bien qu'en complexité ? Dans ce contexte, les multiples rapports qui ont été consacrés à la réforme de notre institution ces derniers mois sont sans doute utiles. Ils recommandent pour la plupart que le FMI recentre ses activités. Je partage ce point de vue. L'autorité dont jouit le FMI tient essentiellement à son expertise. Mais nulle institution ne peut prétendre être experte dans tous les domaines. En se concentrant sur la stabilité macroéconomique, le FMI devrait être à même de cibler ses conseils sur le monétaire, le budgétaire, la politique de change et la politique du secteur financier. Il doit avoir une position claire sur les divers éléments clés d'une stratégie de croissance globale, qui doit être étudiée et arrêtée avec les autres institutions multilatérales. Mais à partir de ce principe, et afin d'assurer une bonne coopération entre les institutions, il faut aussi établir une division claire du travail, notamment entre le FMI et la Banque mondiale.

10. Il y aura d'autres crises à l'avenir, nul ne peut l'exclure. Le problème est que nous ne connaissons ni le moment ni l'endroit où elles se produiront, et nous ignorons quelle sera leur gravité. Le monde doit donc à l'évidence disposer d'une institution internationale publique capable, par ses prêts, d'opposer une réponse crédible à ces crises. La facilité de réserve supplémentaire (FRS) et les lignes de crédit préventives (LCP) récemment mises en place augurent certes d'une expansion prometteuse des mécanismes du FMI. Mais il nous faut réexaminer toute la panoplie des instruments à la disposition du FMI, afin de les alléger et de les affûter. Il faut nous demander s'il est possible, ou même souhaitable que le FMI, en tant que prêteur officiel, essaie de copier l'extraordinaire expansion des marchés de capitaux privés. Il me semble qu'il nous faut mettre une limite au volume de prêts que l'on peut attendre de notre institution pour endiguer les crises. En tout état de cause, il devient indispensable que le FMI et la communauté internationale accordent la plus grande attention à leur prévention, en insistant notamment sur l'adoption de politiques macroéconomiques saines, la transparence et le respect de normes et de codes pratiques. Si le FMI s'acquitte efficacement de cette tâche dans l'exercice de sa mission de surveillance, il y a, me semble-t-il, de bonnes chances pour que nous n'ayons pas à mettre sur pied les montages financiers de plus en plus faramineux que nous avons connus dans les années 90.

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11. Cela m'amène au débat sur la participation du secteur privé. Pour moi, le point de départ est le constat indéniable que ce sont les marchés internationaux qui jouent le rôle principal dans la promotion de l'investissement et de la croissance à travers le monde. Et nous devons veiller en particulier à ne pas compromettre ce rôle dans les économies émergentes et les pays en développement. Comment, dans ces conditions, le secteur privé peut-il être associé au processus pour le bien de tous et avec une moindre instabilité?

12. On devrait à mon sens pouvoir répondre à cette question si l'on retient trois grandes considérations :

  • la première, c'est qu'il n'y aura pas de renflouement automatique des pays en crise ou de leurs créanciers. Les deux parties ont une responsabilité majeure, qui est aussi la première ligne de défense contre les crises : il appartient à chaque pays de conduire une politique économique saine, et à chaque investisseur de juger sainement des risques encourus;

  • la seconde, c'est que l'«implication du secteur privé» doit céder la place à un «engagement constructif» — autrement dit à la coopération des pays emprunteurs, du secteur privé et du secteur officiel, surtout dans les périodes exemptes de crise. Il s'agit ici de mettre l'accent sur la prévention des crises, et de s'éloigner ainsi de l'approche coercitive ou punitive que certains participants aux marchés semblent percevoir quand on parle de l'«implication du secteur privé»;

  • la troisième, c'est que les solutions apportées aux situations de crise ne doivent pas paraître arbitraires. S'il n'est sans doute pas possible de concevoir un vaste ensemble de règles valables dans tous les cas, nous devrons néanmoins nous efforcer de dégager de grands principes applicables si nous ne voulons pas donner l'impression que les créanciers et les pays ne sont pas tous traités sur un pied d'égalité.

13. Ces considérations, et en particulier la recherche d'un «engagement constructif», font qu'il est essentiel que le FMI et le secteur privé entretiennent un dialogue ouvert reposant sur des informations fiables. Cela doit devenir une dimension permanente de nos activités. Je compte, pour ma part, prendre contact avec des représentants du secteur privé dès les premières semaines de mon mandat — c'est vous dire l'importance que j'attache à notre rencontre d'aujourd'hui — et j'ajoute que nous mettons en place, sous forme d'un groupe consultatif sur les marchés de capitaux, un foyer de contact qui doit faciliter l'ouverture d'un dialogue régulier entre les participants au marché et le FMI, sa direction et ses services.

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14. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, comme vous le savez, mon mandat au FMI ne fait que commencer. Mais je n'ai pas manqué d'être impressionné, d'emblée, par la qualité des employés de notre institution, qu'il s'agisse de son conseil d'administration, de ses services ou de sa direction. Et j'ai confiance dans la force des traditions, en particulier celle de rechercher un consensus des pays membres. C'est pourquoi j'ai bon espoir que notre programme de travail pour les mois à venir rendra le FMI encore plus efficace, et le système financier international encore plus solide. C'est la contribution majeure que nous pouvons apporter au renforcement durable de la croissance, qui est le meilleur gage du recul de la pauvreté et d'une plus grande stabilité politique dans le monde.





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