La dette, un obstacle sur la route des objectifs de développement durable
Chris Lane et Elliott HarrisLe 27 avril 2018
Un marché à Port-au-Prince (Haïti) : certains pays en développement sont à la traîne s’agissant des revenus.
En 2015, 193 pays ont adopté les 17 objectifs de développement durable (ODD), qui définissent une feuille de route universelle à l’horizon 2030. Ces objectifs partent du principe que pour construire un avenir durable, la croissance économique doit aller de pair avec l’inclusion sociale et la protection de l’environnement.
Nos institutions respectives, le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DAES-ONU) et le Fonds monétaire international (FMI), s’associent pleinement à ces objectifs. Du point de vue de l’ONU, ils représentent un pas en avant vers un monde plus pacifique, plus prospère et plus coopératif, surtout en cette époque pleine de dangers. Pour le FMI, ils servent de support à la stabilité économique ainsi qu’à une croissance durable et inclusive.
L’année 2017 a donné lieu à un accroissement de la plupart des flux de financement du développement, qui a été porté par la reprise de l’économie mondiale, l’augmentation de l’investissement et des conditions favorables sur les marchés financiers. Pourtant, moins de trois ans après l’adoption des ODD, leur mise en œuvre se heurte à un obstacle de taille : la hausse de la dette publique dans certains pays en développement. Tel est l’inquiétant message contenu dans un nouveau rapport sur le financement du développement publié par l’ONU, en collaboration avec le FMI et près de 60 autres organismes.
Le problème est le suivant : comme l’a récemment indiqué le directeur général adjoint du FMI, Tao Zhang, 40 % des pays à faible revenu sont confrontés à un risque élevé de surendettement ou sont incapables d’assurer le service de leur dette, alors qu’ils étaient 21 % dans cette situation il y a tout juste cinq ans. De surcroît, plusieurs pays en développement sont également à la traîne en termes de revenu par habitant, en raison de facteurs tels que la fragilité et le conflit. On trouve parmi eux des pays vulnérables comme Haïti, la République démocratique du Congo et le Tchad.
Des recettes fiscales insuffisantes, un soutien international trop faible
L’incapacité de nombreux pays à lever assez de recettes fiscales constitue un problème majeur. Elle tient à de nombreuses raisons, notamment l’étroitesse de la base de l’impôt, la dépendance excessive à l’égard des industries extractives et les carences de l’administration fiscale, sachant que la fraude fiscale contribue également au problème. Le bas niveau des rentrées fiscales dans les pays en développement à faible revenu, où leur montant médian ne représente que 13,3 % du PIB, est en partie attribuable à l’importance du secteur informel et à la fraude fiscale.
Par conséquent, toute stratégie de réforme doit avoir pour priorité l’accroissement des recettes intérieures. Mais en cette époque où l’activité économique est de plus en plus mondialisée, l’action nationale ne suffira pas. Nous allons également devoir améliorer la collaboration internationale en matière de fiscalité. Les autorités développent de nouvelles normes internationales sur l’échange d’informations, ce qui va dans le bon sens. Nous devons veiller à ce que les pays en développement bénéficient également de cette évolution.
L’aide publique au développement (APD) a également un rôle primordial à jouer. Selon des données publiées récemment, l’APD s’élevait à 146,6 milliards de dollars en 2017, soit moins de la moitié de l’objectif international, fixé à 0,7 % du revenu national brut des pays donateurs. De plus, une part croissante de l’APD est affectée aux actions d’urgence, comme la couverture des coûts des réfugiés dans les pays d’accueil et l’aide humanitaire. Cette aide est bien entendu fondamentale, mais elle diminue les ressources disponibles pour les investissements publics à long terme dans le développement durable. Les flux d’APD en faveur des pays les plus pauvres et vulnérables stagnent et restent concentrés sur une poignée d’entre eux. Les pays donateurs doivent densifier leur soutien dans ce domaine.
L’investissement privé au service des ODD
Au vu de l’ampleur des besoins d’investissement, il sera essentiel d’attirer davantage d’investissements privés. Or les pays les moins développés auront du mal à le faire à grande échelle, en particulier dans des secteurs autres que les industries extractives. Le rapport appelle les pays en développement à poursuivre leurs efforts pour créer un climat des affaires concurrentiel, notamment en améliorant leurs cadres institutionnels et réglementaires, et en élaborant des « pipelines » de projets et des projets appelant à investissements, notamment dans les infrastructures.
Plus récemment, les dirigeants ont également travaillé sur le partage des risques avec les investisseurs privés au moyen par exemple de garanties et de partenariats public-privé. À condition d’être montées correctement, ces initiatives mixtes peuvent débloquer de nouveaux investissements au service des ODD. Pour l’heure en tout cas, elles passent le plus souvent à côté des pays où les besoins sont les plus aigus. À ce jour, seuls 7 % des financements privés mobilisés ont été destinés à des projets dans les pays les moins développés.
Ces activités présentent également le risque d’alourdir la dette, notamment sous la forme de passifs hors bilan conditionnels. Il convient de manier ce risque avec précaution.
Risques liés à l’augmentation de la dette
Notez que la récente augmentation de la dette n’a pas forcément que des mauvais côtés. Ces dernières années, l’ouverture de l’accès aux marchés financiers mondiaux et les emprunts octroyés par de nouveaux créanciers, comme la Chine, ont débloqué des financements cruciaux pour les investissements dans les infrastructures. Or l’investissement dans la capacité de production, s’il est apporté de façon judicieuse, peut engendrer une augmentation des recettes qui permet de compenser le service de la dette. Le rapport recommande que ce puissant levier soit pris en ligne de compte dans les analyses de viabilité de la dette.
Le bât blesse lorsque la dette est déjà élevée, lorsque les ressources ne sont pas correctement utilisées (en raison notamment de la corruption et de faiblesses de la gouvernance) ou lorsqu’un pays est frappé par des catastrophes naturelles ou des chocs économiques, comme des inversions des flux de capitaux. L’autre problème vient du fait que la nouvelle vague de crédit privé se traduit souvent par des taux d’intérêt plus élevés et des échéances plus courtes. Cette évolution rend aussi la coordination entre les différents créanciers plus difficile, ce qui complique les choses lorsqu’une restructuration de la dette est nécessaire.
Lorsque le risque de crise de la dette est élevé, la réactivité de l’intervention destinée à atténuer les tensions financières immédiates peut faire la différence entre une guérison rapide et des séquelles durables. Nous devons réfléchir sérieusement à des solutions innovantes dans ce domaine. Par exemple, une plus grande utilisation des titres de créance conditionnels catégoriels pour les émetteurs souverains, qui réduisent ou reportent les obligations de remboursement d’un pays en période de crise, peut offrir un certain répit dans certaines situations. En diminuant les risques de défaillance et les primes de risque, ils élargissent également l’espace budgétaire disponible pour les investissements.
Une autre piste intéressante concerne les échanges de créances contre des actions environnementales. Ils voient des bailleurs de fonds racheter des encours de dette, libérant ainsi des ressources pour combattre le changement climatique et aider les régions fortement touchées par des catastrophes liées au climat.
Il faut agir maintenant
Quoi qu’il en soit, nous n’avons plus que vingt ans pour mettre en œuvre les ODD. L’expansion actuelle de l’économie mondiale offre une occasion idéale pour agir, mais il faut veiller à ne pas déroger au programme de financement en alourdissant la dette publique.
L’ONU et le FMI avancent main dans la main sur cette cause commune, comme en témoigne notre rapport collaboratif, qui dispense des recommandations sur les finances publiques et la dette, les investissements privés, le commerce et d’autres priorités capitales pour le financement des ODD. Nos institutions s’engagent à approfondir leur soutien aux ODD, au service de leurs pays membres, afin de bâtir un monde plus prospère et plus pacifique.
*****
Christopher Lane (clane@imf.org) est le représentant spécial du FMI auprès des Nations Unies. Au FMI, il a travaillé principalement sur les politiques macroéconomiques et le développement économique dans les pays émergents et les pays en développement. Avant d’occuper son poste actuel, M. Lane a été responsable entre 2012 et 2016 des travaux opérationnels et stratégiques dans près de 70 pays en développement à faible revenu, traitant notamment des initiatives d’allégement de la dette en faveur des pays aux prises avec des catastrophes de santé publique (par exemple, Ébola) et de renforcement des dispositifs de protection financière pour les pays en développement. M. Lane a également été chargé de travaux stratégiques et opérationnels sur le Libéria, le Mali, la Russie, la Turquie, la Lituanie et le Nigéria.
Le Secrétaire général des Nations Unies, M. António Guterres, a nommé M. Elliott Harris (Trinité-et-Tobago), en tant que sous-secrétaire général chargé du développement économique et économiste en chef du département des affaires économiques et sociales à compter du 2 avril 2018. M. Harris apporte plus de 25 années d’expérience internationale dans les domaines de l’économie internationale et de l’analyse des politiques de développement, associées à une connaissance du système des Nations Unies et des processus de coordination multilatéraux et interinstitutionnels. Il possède une vaste expérience dans l’élaboration des politiques macroéconomiques et leur application comme un instrument central de réduction de la pauvreté, et pour un développement économique durable et résilient. Son travail dans le domaine économique se concentre également sur les liens entre la macroéconomie, et les politiques sociales et environnementales mondiales. Avant sa nomination, M. Harris occupait depuis 2015 le poste de sous-secrétaire général et chef du bureau de New York du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Il a intégré l’équipe de direction du PNUE en 2013 en tant que directeur du bureau de New York et secrétaire du groupe de gestion de l’environnement.