Jeter la lumière sur les zones d’ombre de la mauvaise gouvernance et de la corruption
Christine Lagarde22 avril 2018
La lutte contre la corruption exige des réformes réglementaires et institutionnelles de plus grande envergure (Kritchanut/iStock).
Le conseil d’administration du FMI vient d’approuver un nouveau cadre [LINK] visant à renforcer l’action en matière de gouvernance et de corruption dans nos pays membres. Permettez-moi de vous expliquer en quoi cela est important et ce que cela implique pour notre travail.
Coûts de la corruption
Nous savons tous que lorsqu’elle est ancrée dans les pays, la corruption exerce un effet pernicieux sur l’économie, en entamant leur capacité à générer une croissance inclusive and durable.
Le document que nous venons de publier présente des résultats empiriques prouvant qu’un haut niveau de corruption implique une baisse significative de la croissance, de l’investissement, de l’investissement direct étranger et des recettes fiscales. Un recul du 50e au 25e centile d’un indice de corruption ou de gouvernance se traduit par une chute d’au moins un demi-point du PIB par habitant et par une diminution de 1,5 à 2 % du ratio investissement/PIB. Nos résultats montrent également que la corruption et la mauvaise gouvernance engendrent un accroissement des inégalités et un affaiblissement de la croissance inclusive.
Ces résultats sont faciles à interpréter. Nous savons qu’en plus de réduire la capacité d’imposition des autorités, la corruption oriente les dépenses vers des projets à fort gaspillage avec des bienfaits à court terme plutôt que vers des investissements précieux dans des domaines tels que la santé, l’éducation et les énergies renouvelables. Nous savons qu’elle agit comme une taxe sur l’investissement — voire pire, en raison de l’incertitude entourant les nouvelles demandes de pots-de-vin. Nous savons également que la corruption conduit les jeunes à négliger leur formation et leur instruction — car l’avancement des carrières dépend davantage des relations que des compétences. Nous savons que la corruption affecte les pauvres, entrave les opportunités économiques et la mobilité sociale, sape la confiance dans les institutions et compromet la cohésion sociale. La corruption est un obstacle majeur à la réalisation des Objectifs du développement durable.
Renforcement de l’action
Compte tenu de tous ces éléments, le renforcement de l’action du FMI contre la corruption se justifie et tombe à point nommé. Soulignons que ce travail sur la corruption sera intégré à nos travaux généraux qui encouragent la bonne gouvernance dans des domaines importants tels que la gestion des finances publiques, la surveillance du secteur financier et la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Cette approche globale est une nécessité. Les faiblesses du système de gouvernance sont néfastes en soi, mais elles ouvrent aussi la porte à la corruption généralisée. Pour être efficaces, les stratégies de lutte contre la corruption ne doivent pas se limiter à envoyer les coupables en prison. Elles nécessitent des réformes réglementaires et institutionnelles de grande ampleur. En définitive, l’antidote le plus durable à la corruption se trouve dans la solidité, la transparence et la responsabilisation des institutions. Pour citer Louis Brandeis, « on dit que la lumière du soleil est le meilleur désinfectant et la lumière électrique le policier le plus efficace ».
Cette approche globale présente un autre avantage : la corruption tendant à être fortement corrélée aux errements plus généraux de la gouvernance et souvent difficile à mesurer, les faiblesses du système de gouvernance peuvent être utilisées pour recouper les résultats des évaluations de la corruption.
Je tiens à rappeler ici qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté pour nous. Nous disposons d’une politique en matière de gouvernance depuis 1997 et c’est une bonne politique : nos études ont démontré que ses principes sont les bons. Cette politique nous appelle à traiter les problèmes de gouvernance et de corruption lorsqu’ils ont un impact macroéconomique important. Elle nous invite à travailler avec les institutions partenaires, en particulier la Banque mondiale, dans leurs domaines de compétence, sans interférer dans la politique ou dans les dossiers d’infractions individuels.
Pourtant, malgré le bien-fondé de ces principes, notre revue a laissé apparaître que leur mise en œuvre était inégale. Nous n’avons pas toujours soumis les pays membres au même niveau d’exigence pour des actions similaires. Notre analyse a souvent manqué de clarté.
Cela va changer. Nous avons adopté un cadre de référence pour une approche renforcée en matière de gouvernance et de corruption qui vise une action plus systématique, équitable efficace et franche avec les pays membres.
Dans un premier temps, nous élaborons une méthodologie claire et transparente pour évaluer la nature et la gravité des faiblesses de gouvernance. Nous étudierons un large éventail d’indicateurs : la qualité des institutions budgétaires qui gèrent les impôts et les dépenses ; la solidité des mécanismes de surveillance du secteur financier ; l’intégrité des banques centrales ; la transparence et l’impartialité de la règlementation du marché ; la prévisibilité des aspects de l’état de droit essentiels à la bonne santé de l’économie, en particulier l’exécution des contrats ; et l’adéquation des dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Bien entendu, nous évaluerons également la gravité de la corruption de façon directe.
L’étape suivante consistera à analyser les répercussions économiques des failles identifiées en matière de gouvernance et de corruption, et à formuler des recommandations adaptées à chaque pays sur cette base. Notez que nous étudierons ces aspects sur le long terme. En effet, les déficiences de la gouvernance et la corruption sapent l’économie par le biais de bouleversements à court terme, mais aussi par un lent affaiblissement institutionnel. S’agissant de nos programmes de prêts, nous chercherons à déterminer si les problèmes identifiés entravent la capacité des pays à mettre en œuvre leurs réformes économiques.
Offre de corruption
Un autre élément s’ajoute à l’équation. Pour adapter une citation de Milton Friedman, il va de soi que la corruption est toujours et partout un phénomène impliquant deux parties. À chaque pot-de-vin reçu correspond un pot-de-vin donné. De plus, les fonds reçus par le biais de la corruption sont fréquemment dissimulés en dehors du pays, souvent dans de grandes places financières. Un pays pourra très bien avoir « les mains propres » chez lui, mais « les mains sales » en dehors de ses frontières.
Si nous voulons vraiment lutter contre la corruption, nous devons donc nous attaquer aux acteurs privés se livrant à des pratiques corrompues. Pour ce faire, nous allons encourager les pays membres à se prêter volontairement à une évaluation par le FMI de leurs dispositifs juridiques et institutionnels. Il s’agira de déterminer s’ils criminalisent et jugent le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers, et s’ils disposent de mécanismes adéquats pour éradiquer le blanchiment et la dissimulation d’argent sale. Je me félicite que neufs pays — le G7 dans son ensemble plus l’Autriche et la République tchèque — se soient déjà portés volontaires pour cette évaluation. Voilà un témoignage de confiance majeur à l’égard du nouveau cadre d’action.
Désormais assurés du soutien total de nos pays membres, nous devons passer à la phase de mise en œuvre. Attendez-vous donc à davantage d’évaluations et de discussions consacrées à la gouvernance et à la corruption dans notre surveillance et nos programmes de prêt. Nous allons également intensifier notre renforcement des capacités dans ces domaines afin d’aider les pays à consolider leurs cadres et institutions de réglementation.
Notre objectif est de faire preuve de franchise, de rigueur, de transparence et d’équité, ce qui nous donne davantage de crédibilité et nous permet de mieux travailler.
Pour en revenir à Brandeis, je suis convaincue que ce renforcement de notre action exercera sur la gouvernance et la corruption le même effet que l’investissement dans l’énergie solaire sur l’environnement : en exploitant la puissance colossale de la lumière du soleil, il placera l’économie mondiale sur une trajectoire plus saine et plus viable. Si ce cadre fonctionne comme prévu, la corruption trouvera de moins en moins de zones d’ombres où se cacher. J’ai hâte de collaborer étroitement avec nos pays membres afin de concrétiser cette volonté.
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Christine Lagarde est directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au commerce extérieur pendant deux ans.
Mme Lagarde a également poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.