Pérenniser la croissance et se prémunir contre les risques
Par Christine Lagarde15 mars 2018
Même si l’économie mondiale connaît toujours une embellie, davantage de nuages se profilent à l’horizon (iStock par GettyImages).
Lorsque les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du Groupe des Vingt se sont réunis en octobre dernier, l’heure était à l’optimisme au sujet de l’expansion de l’économie mondiale et des possibilités d’engager des réformes indispensables.
Lorsqu’ils se retrouveront à Buenos Aires la semaine prochaine, leur priorité ira aux mesures qui s’imposent pour protéger cet essor contre les risques de ralentissement et doper la croissance à l’avenir.
La bonne nouvelle est que la dynamique de croissance a continué à se renforcer pour concerner les trois quarts de l’économie mondiale.
Toutefois, même si l’économie mondiale connaît toujours une embellie, davantage de nuages se profilent à l’horizon. Voyez les craintes grandissantes à l’égard des tensions commerciales, du récent regain de volatilité sur les marchés financiers et de la situation géopolitique plus incertaine.
En outre, le redressement attendu pour 2018 et 2019 finira par s’essouffler, d’où des perspectives délicates à moyen terme pour de nombreux pays, surtout dans les pays avancés.
C’est pourquoi les pays doivent agir pour se prémunir contre les risques, faire preuve d’une plus grande résilience et stimuler une croissance à moyen terme qui profite à tous. L’heure est à présent venue de prendre des mesures audacieuses et de tirer pleinement parti de cette période de croissance mondiale.
Perspectives mondiales
En janvier, le FMI a revu à la hausse sa prévision de PIB mondial à 3,9 % pour 2018 et 2019.
Quels sont les facteurs à l’origine de cette dynamique? Pour l’essentiel, des mécanismes cycliques : la croissance mondiale est tirée par la vigueur remarquable de l’investissement et du commerce, tandis que les capitaux et le crédit continuent à circuler facilement à l’intérieur des pays et entre eux.
Cette année et l’an prochain, les pays avancés devraient afficher une croissance supérieure à leur potentiel à moyen terme encore fragile. Dans les pays émergents et les pays en développement, la croissance devrait continuer à se raffermir à court terme, sous l’effet d’une légère amélioration des perspectives des exportateurs de produits de base.
Oui, la dynamique mondiale actuelle reste forte. Et oui, nous devrions prendre des mesures concrètes pour faire en sorte qu’elle le demeure.
Cinq priorités se dégagent selon moi :
1. S’abstenir de tout protectionnisme
Les dirigeants doivent travailler de concert et de manière constructive pour réduire les obstacles au commerce et régler les différends commerciaux sans recourir à des mesures exceptionnelles. Ils doivent veiller à ce que les droits de douane annoncés récemment aux États-Unis n’entraînent pas une multiplication des mesures protectionnistes. L’histoire économique montre clairement que les guerres commerciales pèsent sur la croissance mondiale mais sont aussi ingagnables.
Nous savons que le préjudice des droits de douane, dont les pays sont eux-mêmes responsables, peut être considérable même lorsque les partenaires commerciaux ne ripostent pas avec leurs propres taxes.
Nous savons aussi que le protectionnisme a des effets pernicieux car il pénalise surtout les consommateurs les plus pauvres qui achètent davantage de produits importés à bas prix. En d’autres termes, porter atteinte au commerce est nuisible à l’économie comme à la population.
Par ailleurs, la solution pour corriger les déséquilibres économiques mondiaux consiste à ne pas créer de nouveaux obstacles aux échanges. Il est essentiel d’utiliser des ressources budgétaires pour faire face aux déséquilibres mondiaux. Il faut par exemple réduire les déficits aux États-Unis afin de replacer la dette publique sur une trajectoire viable et accroître les investissements d’infrastructure et les dépenses d’éducation en Allemagne.
Et surtout, les personnes qui sont victimes de la mondialisation et du progrès technologique doivent bénéficier d’un soutien plus important afin qu’elles puissent investir dans leurs compétences et opérer une transition vers des emplois de meilleure qualité.
2. Se prémunir contre les risques financiers
Pour se prémunir contre les risques, il faut aussi remédier à l’accumulation de dettes dans les secteurs public et privé, après une longue période de conditions financières favorables.
Dans les pays développés du G-20, les niveaux d’endettement public ont atteint 114 % en moyenne. À l’échelle mondiale, l’endettement des États, des entreprises et des ménages se situe à un plus haut niveau historique.
Il en résulte une vulnérabilité financière. Imaginons un scénario qui associe une envolée imprévue de l’inflation et un brusque resserrement des conditions financières mondiales. Ces événements pourraient se traduire par des corrections sur les marchés financiers, par des craintes à l’égard de la viabilité de la dette et par un retournement des flux de capitaux dans les pays émergents.
Afin de réduire ces risques, les pays devraient mettre à profit la dynamique actuelle en constituant une marge de manœuvre budgétaire, de manière à pouvoir passer à l’action au moment du prochain ralentissement d’activité, et en recourant activement à des mesures macro- et microprudentielles. Dans les pays émergents, les taux de change flexibles peuvent contribuer à atténuer les chocs exogènes.
3. Accélérer les réformes économiques
Alors qu’ils s’emploient à protéger l’essor actuel, les dirigeants doivent aussi favoriser une croissance à moyen terme à la fois plus solide et mieux partagée.
Il est particulièrement important de doper la croissance pour les pays avancés du G-20. L’an dernier, leur PIB était inférieur de quelque 15 % en moyenne au niveau tendanciel antérieur à la crise de 2008, tandis que celui des pays émergents est resté proche de ce niveau.
En d’autres termes, ces pays développés doivent accélérer durablement leur croissance bien au-delà de l’expansion actuelle.
Pour stimuler la productivité et la croissance potentielle, les pays peuvent redynamiser les réformes, notamment sur les marchés du travail.
À titre d’exemple, les pays du G-20 se sont engagés à réduire l’écart de taux d’activité entre les hommes et les femmes de 25 % d’ici à 2025, ce qui pourrait créer 100 millions de nouveaux emplois selon des estimations. Pour atteindre cet objectif, certains pays devront véritablement redoubler d’efforts, alors que d’autres — comme l’Allemagne, l’Australie, le Brésil, le Japon et le Royaume-Uni — ont déjà accompli des progrès notables.
Ces initiatives et d’autres réformes de premier plan sont plus puissantes et faciles à mettre en œuvre lorsque la santé économique des pays est meilleure. Autrement dit, le moment est venu d’agir.
4. Favoriser une croissance plus inclusive
Pour que la croissance devienne plus durable, elle doit être plus inclusive. Une priorité essentielle est de façonner l’avenir du travail de manière à ce que tous les citoyens en profitent.
Par exemple, une récente initiative au Canada a montré qu’une formation sur le tas peut être plus efficace que des cours théoriques.
Il est plus important que jamais de réduire le déficit de main-d’œuvre qualifiée puisque la révolution numérique transforme les lieux de travail et industries. Selon des estimations de McKinsey, 375 millions de travailleurs, soit 14 % de la population active mondiale, risquent potentiellement de perdre leur emploi d’ici à 2030.
Personne ne sait exactement à quoi ressemblera cet avenir mais on peut affirmer sans risque d’erreur qu’une intervention des pouvoirs publics sera nécessaire.
Une nouvelle étude du FMI montre ainsi que les progrès issus de l’innovation technologique peuvent être largement partagés en aménageant les impôts et les prestations sociales et en augmentant les dépenses publiques consacrées à l’éducation et à la formation.
5. Renforcer la coopération internationale
Il est indispensable de travailler de concert pour garantir une croissance mondiale solide, durable, équilibrée et inclusive. Entre les échanges commerciaux, la concurrence fiscale, le changement climatique et la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, les domaines dans lesquels une coopération internationale plus forte, et non plus faible, s’impose ne manquent pas. En voici deux exemples concrets :
• Nous devons collaborer pour remédier à l’accroissement de la vulnérabilité de la dette dans les pays à faible revenu. Les niveaux d’endettement public pour le pays médian ont augmenté pour passer de 33 % en 2013 à 47 % l’an dernier. Les pays en proie à une lourde dette extérieure doivent agir rapidement afin d’empêcher une poursuite de l’accumulation des dettes et s’appuyer davantage sur la mobilisation de recettes intérieures pour répondre aux besoins de financement du développement. Les créanciers officiels bilatéraux devraient élaborer des projets pour participer aux opérations de restructuration de la dette, si besoin est, et échanger des informations avec les autres créanciers.
• Il est aussi possible de mettre en place des réglementations internationales pour les crypto-actifs, y compris les initial coin offerings (ICO). L’objectif devrait être d’exploiter le potentiel des technologies sous-jacentes, tout en assurant la stabilité financière et en réduisant les risques liés au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme.
Le G-20 peut jouer un rôle de chef de file sur toutes ces questions. Ce faisant, il pourra aussi garantir l’expansion et œuvrer en faveur d’une croissance partagée par tous.
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Christine Lagarde est la Directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été choisie en juillet 2016 pour effectuer un second mandat. De nationalité française, elle a auparavant exercé les fonctions de ministre des Finances de juin 2007 à juillet 2011 et aussi de ministre déléguée au Commerce extérieur de la France pendant deux ans.
Mme Lagarde a aussi à son actif une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du droit du travail. Elle a été associée du cabinet d’avocats international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle a présidé le cabinet jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’Études politiques (IEP) et de la Faculté de droit de l’Université de Paris X, où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.